la feuille volante

Un personnage de roman

La Feuille Volante n° 1217

Un personnage de roman – Philippe Besson – Julliard.

 

C'est un destin politique ou un destin tout court qui passe par une transgression des règles qu'on considérait comme immuables, ou par une opportunité qu'on saisit d'autant plus volontiers qu'on pense que c'est le moment, que les choses ont changé dans l'opinion, qu'elle est prête pour une véritable réforme et qu'on peut l'incarner. C'est sans doute ce qui détermine Emmanuel Macron à démissionner de son poste de ministre et de se lancer dans cette bataille. Ici, il ne s'agit pas d'un roman comme l'auteur en a l'habitude et ce même si le personnage dont il est question peut aisément avoir une dimension stendhalienne, flaubertienne, balzacienne ou fitzgeraldienne, comme on voudra, à condition toutefois que son histoire se confonde avec celle de la nation. C'est un récit, écrit à la première personne où Besson nous confie son intuition d'avoir eu affaire au futur Président de la République dès sa déclaration de candidature et ce malgré tous les obstacles classiques dressés devant lui pour arriver au pouvoir. Une gageure quand on sait que pour gagner une élection présidentielle en France, il faut avoir derrière soi un grand parti et de l'argent. Or, à cette période, il n'a ni l'un ni l'autre et l'image de Brutus assassinant César lui colle déjà à la peau. Pourtant, notre auteur n'avait pas vraiment cru, au début, au succès de cette ambition qui déjà pointait. Pour autant, il va observer cet homme qui peu à peu va s'imposer grâce à l'énergie que lui donne le couple fusionnel et atypique qu'il forme avec son épouse. De septembre 2017 à mai 2018, il va donc suivre sa campagne, hésitante au début, puis de plus en plus convaincante et rendre compte par le menu à travers les rumeurs, les discours, les sondages de l'ascension de cet homme jeune, cultivé, inconnu et qu'on disait sans expérience politique, ni programme au début et dont on dénonçait l'absence de mandat électif, mais qui avait choisi de mettre en avant les atouts de la France quand les autres discours faisaient dans l’alarmisme et, surtout sur qui bien peu pariaient. Pourtant, la France est considérée depuis longtemps comme ingouvernable, les Français rebelles à toute réforme, prompts à la critique, engoncés dans leurs contradictions, suspicieux vis à vis des élites politiques, mais fascinés par l'homme providentiel. Pourtant cette campagne, il le sait, sera un long chemin de croix parce qu'il incarne « les riches » détachés des difficultés du peuple et toujours susceptibles de démagogie. Il sera finalement élu, mais avec un fort taux d'abstention ce qui trahit quand même quelques défiances à son égard.

Philippe Besson quitte ici son costume de romancier pour endosser celui d'observateur voire de commentateur politique. Pourquoi pas après tout et s'intéresser à la vie et à l'avenir de son pays est une chose louable, d'ailleurs nombre d'artistes ont l'habitude de soutenir des hommes politiques. On le sent fasciné par le personnage après il est vrai avoir été quelque peu dubitatif, par sa volonté et l'ambition de faire changer les choses et l'énergie qu'il déploie pour cela, tout en voulant se garder de toute manipulation. J'apprécie depuis longtemps l'univers créatif de Philippe Besson, cette chronique en atteste. J'avoue avoir été un peu surpris par le parti-pris de ce livre mais le personnage a tellement bouleversé le paysage et les habitudes politiques, est tellement hors normes et porteur d'espoirs après deux précédents quinquennats si désastreux que les Français ont dénié le droit à leur responsable de se représenter, qu'il fallait faire quelque chose. Que Besson s’intéresse à ce phénomène ne me gêne pas puisqu'il le fait selon ses dires seulement aminé par l'amitié qu'il porte au couple présidentiel. Pour ma part, je m'en tiens à ce compte-rendu original d'un écrivain que j'apprécie depuis longtemps. Pourtant, « et en même temps », je ne peux pas ne pas penser qu'une telle démarche, même si elle souhaite être neutre, n'a pas des relents de subjectivités. Ce récit à au moins le mérite de nous remettre en mémoire toutes les phases de cette campagne atypique et de détailler cette ascension spectaculaire d'un homme jeune, inconnu au départ, qui finalement s'impose au milieu de la déconfiture des partis politiques traditionnels dont il profite des voix, quelque chose comme une transition, une révolution tranquille dans un paysage trop longtemps sclérosé par une alternance droite-gauche inefficace et démagogique. Alors, personnage de roman Macron ? Peut-être après tout (dans ce domaine il me semble qu'il ne faut pas non plus oublier son épouse). Il a ce côté fascinant qu'on retrouve rarement chez les hommes politiques, mais en revanche, je n'ai pas retrouvé chez Besson la plume que d'ordinaire j'apprécie. C'est certes bien écrit, peut-être un peu trop dans le style journalistique à cause du sujet traité, et qu'il ait sacrifié à l'amitié qui les lie, que cela se soit transformé au fil des pages en panégyrique, pourquoi pas ? À condition toutefois qu'il n'y ait pas d'arrières-pensées de sa part. Pourtant je le préfère en romancier qu'en chroniqueur factuel.

 

© Hervé GAUTIER – Février 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com

 
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