la feuille volante

Ile de Ré secrète et insolite

La Feuille Volante n° 1229

Île de Ré secrète et insolite – Robert Béné – Éditions Chasse-marée/Glénat.

Photographies Jacques Boulay.

 

En ouvrant ce livre on plonge déjà dans le passé et Robert Béné aurait pu, paraphrasant Charles Aznavour qui chanta aussi « Le petit bois de Trousse-chemise », débuter son propos par « Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », un temps pas si lointain cependant, celui d'avant le « pont », qui faisait de « Ré » la plage de La Rochelle qui n'en avait pas vraiment, à part celle, surpeuplée de « la Concurence » et qui offrait aux Rochelais l'espace, la nature, la senteur des pins.... Elle est maintenant quasiment une presqu'île, la banlieue de Paris où on rencontre l'été, parmi la foule des estivants cyclistes, des vedettes de la politique ou du show-biz qui en ont fait leur lieu de résidence temporaire. En ce temps-là, finalement pas si lointain, il fallait faire longtemps la queue pour prendre le bac, et surtout ne pas manquer le dernier au départ de Sablanceau, sauf à passer la nuit sur l'île. On avait en prime, au large, dans le pertuis, la cheminée de Champlain, les vestiges du « Mur de l'Atlantique », le clocher noir et blanc d'Ars qui jadis servait d'amer aux pêcheurs, les vieux marins du port, les ânes en culottes et les quichenottes des femmes que Suire a si bien su immortaliser dans ses aquarelles. Bien sûr elle a changé, comme tout en ce bas monde, et, en vieux rétais, Béné ne peut oublier ce temps mais reste attaché à son île parce qu'elle ne peut laisser personne indifférent et attire toujours artistes et amoureux de la mer.

C'est un « navire échoué » qui regarde les bateaux, chalutiers, plaisanciers ou porte-conteneurs. Ceux-ci ne font ici qu'une trop brève escale au « môle », face au vieil embarcadère désaffecté. Ils sillonnent toujours les mers du globe mais jadis les marins avaient le temps d'envahir les bouges de La Pallice. De Ré ils ne verront maintenant, et à la jumelle, que des plages familiales, le pas de chevaux sur le sable, l'éclosion des parasols, les cerfs-volants qui ponctuent l'azur de leurs couleurs d'arcs en ciel, les voiles multicolores gonflées par le vent, les toits de tuiles et les volets verts, les volets bleus...

Ré, c'est aussi le chalutage dans les pertuis, et, les jours de « maline » (marées d'équinoxe) quand le littoral se découvre plus qu'à l'ordinaire et abandonne un jardin caché aux pêcheurs à pied, sur l'estran. C'est une explosion de couleurs et de senteurs, entre vignes folles, varech, tamaris, oyats, œillets sauvages, salicornes et roses trémières. Le sel, la vigne et les produits de la mer (sans oublier des recettes de cuisine) sont une richesses que le tourisme vient maintenant compléter. C'est aussi la note d'une musique jouée depuis toujours sur la portée des dunes, sur l'écume des vagues et sur le cadastre régulier des marais salants. Le blanc des façades et le bleu du ciel colorent le paysage, le vent et la mer se conjuguent pour pincer, en un cliquetis incessant, les haubans métalliques des voiliers au mouillage qui se reflètent dans l'eau calme du port.

C'est aussi un espace mystérieux, plein de l'univers énigmatique des chats, fait de légendes et d'Histoire, de belles demeures et de remparts guerriers parce que l'île a toujours été l'objet de convoitises et d'affrontements violents. Les venelles au sol tapissé de vieux pavés usés, arrivés ici dans le ventre des grands voiliers, sont les témoins d'un temps passé. Ils servaient de lest dans les cales et venaient d'outre-atlantique.

 

Robert Béné n'est pas seulement l'auteur de romans historiques et de thrillers qui ont pour cadre l'île de Ré. Il nous offre ici des textes d'un rétais amoureux de son île que les photos de Jacques Boulay illustrent. Avec des souvenirs personnels, un brin d'humour et un peu de la nostalgie du temps qui passe, ce livre souligne la chance de vivre ici toute l'année, surtout quand le froid et la brume la font ressembler à un immense village aux volets clos, dans la lumière crue de l'hiver qui annonce le printemps et lui redonne son aspect sauvage, quand la mer polit les galets et rejette ses bois flottés aux formes tourmentées et sculptées par le sel et la houle et qui sont le prétexte à autant de compositions artistiques.

© Hervé GAUTIER – Mars 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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