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la feuille volante

SANS SANG

 

N°931– Juin 2015

 

SANS SANG - Alessandro Baricco – Albin Michel.

Traduit le l'italien par Françoise Brun.

 

Apparemment il y a eu une guerre dont nous ne saurons rien, mais peu importe. Celle-ci est terminée mais elle a laissé des traces. Comme à la suite de tout conflit, il y a des rancœurs et des règlements de compte pour venger quelqu’un ou récupérer quelque chose. Ainsi Salinas trouve enfin Manuel Roca, médecin devenu tortionnaire, caché dans une ferme isolée avec ses deux enfants dont sa fille Nina encore petite. Elle échappera au massacre, épargnée par Tito pourtant chargé de la tuer elle aussi comme il a tué son père. C'est ce genre d'événement qui marque définitivement une vie.

Dans ce court roman divisé en deux parties on peut voir l'allégorie de la vengeance et de son contraire, le pardon. En effet, pourquoi Nina adulte, animée par la volonté de venger la mort de son père choisit-elle de sauver la vie de Tito ? Le fait-elle pour acquitter une dette personnelle où par volonté d'oublier le passé fangeux de son père ? Le titre prend alors tout son sens. Je suis toujours frappé par cette évidence : Nos sociétés ont toujours été habitées par la violence qui est une caractéristique inhérente à l'homme. Quand elle a trop secoué le monde on réclame la paix, surtout après un conflit long et meurtrier mais dans le même temps et un peu contradictoirement on met en avant la nécessité de l'oubli qui est aussi une grande particularité de l'humanité. Généralement cela marche et il ne manque pas de gens pour endosser cette doctrine officielle qui bien souvent enfante des liens et des amitiés un peu surréalistes… Jusqu'à la prochaine fois parce que l'esprit revanchard existe et avec lui toute cette fureur parfois longtemps contenue. Cela n'empêche nullement les rancunes individuelles et les règlements de compte. En revanche, il y a des gens qui refusent cette invitation à l'oubli et qui restent figés dans le passé. Pour cela aussi, on fait appel à la mémoire collective, à la nécessaire expiation des exactions commises pendant ce conflit et qui en temps ordinaire serait du ressort des tribunaux.. Ici Nina choisit non seulement de laisser la vie sauve à Tito alors qu'au cours du récit on a vraiment l'impression, et lui aussi d'ailleurs, qu'elle vient pour le tuer, mais fait pour lui un geste assez inattendu. On peut se demander pourquoi. Ce dénouement me laisse quelque peu perplexe, sans doute à cause de la notion personnelle que j'ai du pardon mais ce roman ne lève pas cette ambiguïté qu'il a créée. En réalité, l'épilogue reste à mon avis en suspension et offre au lecteur le soin d'imaginer la suite.

Je redis ici que j'ai apprécié la sobriété du texte, servi par une traduction qui ne le trahit pas. Cela correspond certes au style de l'auteur mais peut-être aussi à l’esprit de ce roman. La volonté d'oublier, d'anéantir le passé ne se produit qu'au terme d'un temps nécessairement long et d’une volonté intime, certes silencieuse mais aussi contenue et peut-être animée de fatalisme ou d'un désir d'apaisement. Nina tient Tito à sa merci mais l'épargne, non sans lui avoir asséner des vérités…Le contexte du billet de loterie que l'homme vend à cette femme n'est sans doute pas innocent et procède de la fable, avec la chance en contre-champ qui semble servir Tito qui vraiment en s'y attendait pas. Ils se rencontrent bien des années plus tard, alors qu'il est très vieux et elle plus très jeune mais encore belle, se reconnaissent et pour qu'il n'y ait pas d'erreurs possibles parlent ensemble de leur passé commun mais sur un mode alternativement apaisé et agressif. Dès lors tout devient possible, même le pire et le hasard qui bien souvent gouverne nos vies peut favoriser les choses, ou pas ! Nina porte en elle des cicatrices indélébiles mais n'a rien oublié puisqu’elle est vraisemblablement à l'origine de l’élimination des autres assassins de son père. On la sent donc aussi déterminée à passer à l'acte que l'homme en face d'elle est prêt à mourir… et portant rien ne se passe comme on peu l'imaginer

Alors, une leçon d'humanité, de tolérance, de pardon … Pourquoi pas ?

 

Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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