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la feuille volante

Les prénoms épicènes


 

La Feuille Volante n° 1379 Septembre 2019.

LES PRÉNOMS EPICÈNES - Amélie Nothomb - Albin Michel

En prenant ce livre sur les rayonnages de ma bibliothèque préférée, je me suis dit que j'allais encore lire le traditionnel roman qu'Amélie Nothomb publié chaque année pour la rentrée littéraire (celle ce 2018). J'ai pensé en moi-même que j'allais encore m’ennuyer à sa lecture, un peu comme d'habitude. Je dois à la vérité de dire qu'il n'en n'a rien été. Outre le titre un peu original, les parents de la jeune Epicène Guillaune, Dominique et Claude, portent ce genre de prénoms qui se donnent autant aux filles qu'aux garçons (épicènes) et de plus ils ont donné ce prénom à leur fille en l'honneur de l'écrivain anglais Ben Jonson, un contemporain de Shakespeare.

Je passe sur l'histoire d'amour de Dominique et Claude, sur la spectaculaire réussite sociale de ce dernier. Renfermée au début du mariage, Dominique s'affirme à la quarantaine et entre vraiment dans la société parisienne guindée et suffisante pour soutenir l'ascension de son mari à mesure que le niveau de vie du couple augmentait, privant au passage leur fille d'une sincère amitié d'enfance devenue encombrante. Si les relations mère-fille sont acceptables, elles se révèlent vite détestables avec le père uniquement occupé par le chiffre d'affaires de sa société et son entrée dans les cercles très fermés de "la rive gauche", ce que Dominique facilite avec succès. A cette occasion l'auteure excelle à rendre l'ambiance pesante et artificielle des réceptions mondaines parisiennes. Nous avons aussi droit à la crise d'adolescence de la jeune fille que des dons exceptionnels et un caractère entier isolent du reste de ses congénères.

Au fur et à mesure des pages tout s'éclaire, on comprend facilement qui est Claude, bien différent de celui du début, menteur, manipulateur, déterminé, égoïste, arriviste, dominateur, qui est aussi Dominique qui découvre petit à petit le rôle qu'on lui a fait jouer, sa réaction face à cette prise de conscience et la métamorphose d’Épicène.

je retiens que les relations entre les gens, hommes et femmes, sont bien loin de l'image idyllique qu'on en donne souvent dans le mariage, que la réussite sociale reste un critère éphémère et discutable, que l'amour, s'il existe vraiment, est consomptible et parfois même illusoire et laisse la place aux calculs, aux apparences, à la recherche d'intérêt, à l'indifférence, à la haine, à la trahison, à l’adultère... Les relations entre Épicène et son père, prennent un tour dramatique qui bien souvent, dans la vraie vie, s'arrêtent aux simples intentions. L'auteure introduit une réflexion autour de la justice immanente qui frapperait ceux qui ont semé l'iniquité et la souffrance autour d'eux, de la dernière image qu'ils veulent laisser face à la camarde, comme une ultime et dérisoire manière de venir à résipiscence, de la possibilité qu'ils ont, une dernière fois, de cacher définitivement, en les emportant dans leur tombe, par honte ou par facilité, des vérités qui un jour peut-être éclateront, de la légitimité de la vengeance souhaitée qui fonctionne ou non, de la jouissance intime qu'ils peuvent ressentir face à leurs victimes et de leur attitude face à des actes commis spontanément ou avec préméditation, mais aussi de la culpabilité éventuellement ressentie face à une action que le Code pénal et la morale condamnent...

Contrairement à ce que j'ai souvent dit dans cette chronique, j'ai ici pris plaisir à cette lecture parce que le roman est bien construit et, comme d'habitude, bien écrit et surtout parce qu'il aborde des questions qui dépassent l'histoire d'un simple roman, même si je ne suis pas très sûr que que les faits tels qu'ils sont relatés correspondent toujours à la réalité, notamment sur cette fameuse justice immanente ou sur le hasard qui favorisent la vengeance. Après tout, nous sommes dans un roman et l'auteure qui tient la plume est maîtresse du jeu. Je ne connais pas la biographie de l'auteure mais, au long de cette lecture, je n'ai pu me départir d'une impression qui me soufflait qu'un tel texte devait peut-être avoir quelques connotations autobiographiques.

©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

 
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