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la feuille volante

indulgences à la carte

N° 1557 - Juin 2021

 

Indulgences à la carte – Andrea Camilleri – Le promeneur.

Traduit de l’italien par Louis Bonalumi.

 

Andrea Camilleri était sicilien et à ce titre témoin de ce qui se passe sur cette île si convoitée et colonisée depuis des siècles par des peuples étrangers au point que les choses n’y sont pas exactement comme ailleurs. En effet l’accommodement, le compromis voire la compromission, s’ils sont une constante de la condition humaine, sont ici élevés au rang de coutume sociale. Il a tenté, lors de dix-huit courts chapitres, d’en démonter le mécanisme. Il règne en effet ici une règle évidemment non écrite, « la componenda »(la composition) où la mafia rend une certaine forme de justice, en dehors des lois officielles, avec même la connivence des autorités qui en retirent bénéfice, en plus de l’ordre public sauvegardé. Notre auteur, curieux, s’avise que l’Église catholique, loin de sauvegarder la moralité a, dans le passé, usé de contestables pratiques, notamment avec la commercialisation des indulgences auprès du peuple, procédure qu’elle pratiquait déjà à l’égard des nobles sous la forme de constructions d’églises, de monastères ou de la participation aux croisades. Même si cette pratique fut plus tard prohibée, elle consistait à s’assurer de la rémission de ses péchés par l’achat d’une « bulle ecclésiastique » tarifée, garantissant la bienveillance divine après la mort du bénéficiaire. Cela eut pour conséquence, au XV° siècle, outre l’enrichissement de l’Église et de certains de ses représentants, l’émergence du protestantisme… et l’édification de la basilique Saint Pierre de Rome ! On était donc en plein accommodement !

En Sicile rien n’est pareil qu’ailleurs, ne serait-ce qu’à cause de la mafia qui, dans l’ombre, mène un jeu efficace avec la bénédiction de l’Église catholique et de son hypocrisie. Ainsi le responsable d’une faute, un vol par exemple, en ressent normalement une certaine culpabilisation. Auparavant, grâce à la « bulle de componenda » (bulle de composition) il pouvait avoir la conscience tranquille puisque, contre de l’argent (un véritable impôt perçu au profit du clergé) , il en obtenait l’absolution et même la bénédiction, autrement dit, les instances qui devaient normalement guider les hommes vers la vertu contribuaient largement au climat moral délétère qui régnait ici. Pire peut-être, non content d’être religieux, le Sicilien est superstitieux et trouve dans ces pratiques une justification non seulement à sa réticence au travail mais aussi à l’exercice du vice et donc du délit (mais pas du meurtre). En effet, dans le passé, le Sicilien était traditionnellement un ouvrier agricole, contraint de travailler une terre ingrate pour le compte d’un riche propriétaire terrien qui l’exploitait et cette situation ne pouvait que verser dans la révolte, par ailleurs absoute par l’Église. La vente par les curés, dans les églises et seulement les jours de festivités religieuses de « la bolla di componenda » était, même si l’Église s’en défendait, une forme d’indulgence qui apaisait en quelque sorte les consciences. Cette loi perdura pendant des siècles et, dans sa version « laïque », consistait en un véritable pacte, forcément non-écrit, souscrit entre les délinquants et la police locale et les autorités italiennes continentales ont vainement tenté de mettre fin. Une étude a cependant insisté sur le rôle pivot de la femme dans le cadre de la structure familiale sicilienne fermée que les prêtres ont manipulé sans vergogne. De plus, les Siciliens qui ont la maîtrise du langage, c’est à dire du non-dit et du mensonge, souhaitent que les choses perdurent sous l’égide de la « componenda » et qu’on en parle moins possible.

 

Andrea Camilleri (1925-2019) est connu en France à travers son personnage fétiche, le commissaire Montalbano, popularisé par le télévision, un peu comme Simenon l’était grâce au commissaire Maigret. Ces deux auteurs n’en sont pas moins intéressants notamment quand ils abandonnent le registre du « polar » et mettent leur talent au service d’une autre forme de littérature, notamment le roman traditionnel. Ici Andrea Camilleri quitte le domaine de la fiction (encore que, à la fin, il ne peut s’empêcher de s’y livrer quand même un petit peu) pour se faire historien et polémiste. Je ne connais de la Sicile que les paysages et les idées reçues qui circulent sur elle. J’avoue que j’ai été étonné par ce texte pertinent et passionnant paru en 1993 en Italie qui contribue un peu à expliquer le spécificité de la société sicilienne. Selon son propre aveu, c‘est dans ce but qu’il écrivit cet essai tout autant qu’en cherchant à expliquer les comportements étonnants les Siciliens face aux événements. Si la « Bulle de composition » a aujourd’hui disparu son état d’esprit demeure et cette île reste attachée pour moi à l’image de la mafia qui dans l’ombre peut frapper où et quand elle veut et tuer de simples citoyens, des policiers, des magistrats....

 

 

 

 
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