la feuille volante

LES VIES DE CERVANTES

N°733 – Mars 2014.

LES VIES DE CERVANTES– Andrés TRAPIELLO- Buchet-Chastel éditeur.

Traduit de l'espagnol par Alice Déon.

 

Si j'en crois le titre, Cervantès aurait eu non pas une vie mais plusieurs. C'est généralement ce qu'on dit des gens dont on ne sait pas grand chose ce qui complique quelque peu la tâche de leur biographe. Si on est sûr de la date de sa mort à Madrid en 1616 on l'est en revanche bien moins de celle de sa naissance, à Alcala de Henarès en 1547 (?), il appartenait à une famille pauvre et plus ou moins itinérante à cause de sa mauvaise fortune, apparemment « convertie au christianisme », qu'il a aurait été l'élève des Jésuites à Séville mais qu'il n'a pas fait beaucoup d'études, qu'il était légèrement bègue. Nous le retrouvons à 22 ans, participant à un duel qui tourne mal ce qui fait de lui un fugitif exilé à Rome pour échapper à une condamnation certaine. Il s'est fait camérier chez le cardinal Acquaviva puis s'engagea dans la flotte en 1570 pour aller combattre les Turcs en Méditerranée, séjourna à Naples et à Venise et participa à la bataille de Lépante (1571) où il fut gravement blessé et perdit l'usage de sa main gauche. Il erra en Italie et se retrouva captif des Turcs à Alger pendant 5 ans et ce malgré quatre tentatives d'évasion. Libéré grâce au paiement par ses parents pourtant pauvres d'une rançon, il revint en Espagne, vivota quelques temps puis se lança timidement dans l'écriture sans grand succès. Il aurait eu une fille d'une liaison avec une femme mariée mais rien n'est sûr. En revanche il se maria se qui marqua sans doute son intention de se ranger. C'est probablement le mariage qui le détermina à écrire encore davantage notamment des comédies et des poèmes mais interrompit cette carrière littéraire prometteuse.

 

Il devint commissaire de réquisition pour l'Invincible Armada ce qui ne lui apporta pas la fortune mais deux excommunications pour avoir voulu toucher aux biens des ecclésiastiques. Il ne fut jamais un homme riche même s'il pratiqua le jeu et peut-être la spéculation, puis pour survivre, il devint collecteur d'impôts mais mal lui en prit, il fut jeté en prison pour mauvaise tenue de ses comptes. Pourtant la chance finit par lui sourire, littérairement parlant. Bien qu'il ne passât, à l'époque, pas pour un écrivain de grand talent, Don Quichotte fut publié en 1604 (c'est à dire à un âge avancé pour Cervantès) et ce roman surprit parce qu'il ne correspondait pas du tout à son auteur. Considéré d'emblée comme un livre drôle, il connut un succès immédiat et fut rapidement l'ouvrage le plus lu non seulement dans toute l'Espagne mais aussi en Europe, au Mexique et au Pérou. Il fut traduit en anglais puis en français, réédité et même piraté. Il fit également l’objet de polémiques. A titre personnel, Cervantès célébra également, dans un écrit de commande, la famille royale mais cela ne lui valut pas la faveur des nobles et ne le rendit pas riche pour autant. Il dût faire face à des problèmes familiaux, devint dévot dans sa vieillesse, même si en cela Don Quichotte différait fondamentalement de lui. Il espérait sans doute profité tranquillement de la notoriété que lui avait conféré la publication du premier tome de Don Quichotte quand, en 1614 parut un roman apocryphe signé Alfonse Fernandez Avellanedas qui l'indigna. Certes le plagiat était courant à l'époque, mais quand même ! On se perdit en conjectures sur la véritable identité du faussaire mais cette publication pirate détermina Cervantès, qui y mêla fiction et réalité, à faire mourir Don Quichotte, sans doute pour éviter qu'on ne le ressuscite.

 

S'il est principalement connu pour son Don Quichotte, il est également l’auteur de comédies, de romans et de nouvelles. Comme tout bon homme de Lettres, sa vie mouvementée a nourri son œuvre sans pour autant enrichir son patrimoine. Mais aurait-il été un aussi grand écrivain s'il avait été un homme fortuné ?

 

André Trapiello quitte ici son rôle de romancier (La Feuille Volante n°732) pour se faire le biographe de Cervantès. Malgré pas mal de digressions, c'est assez réussi.

 

 

 

 

©Hervé GAUTIER – Mars 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

 
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