Mort à crédit
- Par hervegautier
- Le 07/12/2014
- Dans Louis-Ferdinand CELINE –
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N°839 – Décembre 2014.
Mort à crédit - Louis-Ferdinand CELINE – Gallimard.
« Voyage au bout de la nuit », le premier roman de Céline qui avait manqué de peu le prix Goncourt fut cependant un succès. Dans sa quête de mémoire, l'auteur choisit de nous livrer son enfance mais Bardamu qui avait été le personnage central du « Voyage » perd son nom mais se prénomme toujours Ferdinand. Cela n'en est par moins un roman autobiographique mais où il choisit des épisodes particuliers en leur donnant une dimension dramatique et en en bouleversant la chronologie. Il commence par évoquer son rôle de médecin, puis, assailli par la fièvre replonge dans son enfance et son adolescence, celles d'un fils de boutiquier parisien des année 1900, marquées par l'échec au niveau familial et professionnel. Son père, Auguste, est employé de bureau chez un agent d'assurances et sa mère Clémence ouvre une boutique de dentelles dans le « Passage des Bérésinas». Leurs relations sont difficiles et parfois violentes. Il insiste sur cette « Belle époque », qui ne l'a pas été pour tout le monde et spécialement pour les petites gens guettés par l'endettement et finalement par la misère. Le progrès technique qui caractérise ces années ne leur profite pas. Et lui de conclure que vivre c'est acheter sa mort à crédit, ce qui donne son titre au roman.
Le style est à peu près semblable à celui du « Voyage » fait de points de suspension, de phrases parfois hachées ou laissées en suspens qui veulent sans doute évoquer le délire qui a caractérisé sa manière de s’exprimer. Quant aux descriptions, elles ont plus élaborées mais prennent parfois une dimension scatologique et nauséeuse. Elles sont insistantes et parfois dérangeantes. L'argot, quant à lui est toujours présent mais le délire verbal, les propos de l'auteur parfois obscènes autours du sexe reste sa caractéristique, un peu comme une obsession..
Les personnages sont des inadaptés, des gens qui vivent en dehors de leur époque, ses propres parents d'abord mais aussi le père Gorloge, M. Merriwin, Roger-Martin Courtial des Pereires, inventeur farfelu et un peu escroc. L'oncle de Céline, Édouard qui lui vient en aide à plusieurs reprises et Caroline, la grand-mère de Céline représentent pour l'enfant une manière de s'échapper de ce contexte familial difficile. L'école ne réussit guère au jeune Ferdinand qui accompagne sa mère sur les marchés. Il devient ensuite commis puis employé chez le bijoutier Gorloge mais malheureusement pour lui cela tourne mal. Son séjour en Angleterre, chez les Merriwin est aussi un échec et l'ambiance délétère qui règne chez ses parents à cause de la misère qui s'y installe détermine son oncle Édouard à recevoir Ferdinand chez lui. C'est grâce à lui qu'il rencontre Courtial, génial inventeur mais complètement marginal et dont l'expérience d'agriculture tellurique tourne au fiasco. Son séjour chez lui quelque peu chaotique se termine par le suicide de son protecteur, le retour de Ferdinand à Paris et son engagement dans l'armée. On peut y voir une référence à son premier roman de même que son évocation de son rôle de médecin.
La mort est omniprésente dans ce texte, celle de Mme Berenge, celle de la grand-mère, le suicide de Nora Merriwin et celui de Courtial. Il y a aussi de la vie, à travers les expériences sexuelles décrites par Céline ce qui en fait un roman différent du « Voyage ». Le texte évoque l'immense malheur du monde et le lecteur a l'impression que la vie de Ferdinand est un cauchemar tout juste adouci par son séjour chez les Courtial et par la présence de son oncle.
Comme toujours chez Céline, la relation est un peu décousue. Il fut beaucoup moins bien accueilli que « Voyage au bout de la nuit », fit scandale et subit même des censures, ce qui perturba Céline qui y vit une injustice. Il a sans doute voulu parler en le grossissant du malheur de l'humanité mais la dimension sexuelles du texte a sûrement dérangé le lectorat de l'époque et choqué la morale publique. Ferdinand est un personnage souffrant, victime de la malchance..
Je reste fasciné par le verbe de l'auteur, « cette petite musique célinienne »par sa compassion pour la misère humaine. Derrière les anecdotes, j'y ai surtout lu un profond désespoir. Ce roman publié en 1936 est le premier d'une trilogie autobiographique qui se poursuivra par « Casse-pipe » , inachevé, et « Guignol's band ».
©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com
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