la feuille volante

LOIN D'ODILE

N°781 – Août 2014.

 

LOIN D'ODILE - Christian OsterLes Éditions de Minuit.(1998)

 

J'avoue que j'aime assez les auteurs qui, dans un roman, m'interpellent dès la première ligne. Là, ça a été le cas, jugez plutôt «  Exagérons. Disons qu'il fut un temps, pas si éloigné du reste, où je vivais avec une mouche ». Voilà, me suis-je dit, qui menace d'être intéressant ou à tout le moins original !

 

En effet, en plein mois de novembre, une mouche s’introduit dans l’appartement parisien du narrateur, ce dernier, Lucien, 45 ans semble ne rien avoir à faire d'autre que de rédiger son journal intime. Il l'y fait donc figurer tout en cherchant à la chasser, car, c'est bien connu, rien n'est plus agaçant qu'une mouche. Puis il se reprend et après l'avoir un peu étourdie choisit de partager son espace avec elle. Jusque là, ça va. Mais nous sommes dans un roman d'Oster et, bien que je n'ai pas vraiment exploré tout son univers, je n'ai pas l'impression qu'il accorde beaucoup d'importance aux diptères. Quoique ? Effectivement, cet homme solitaire qui confie à la feuille blanche ses états d’âme, fait rapidement mention d'une femme, Odile, qui a un temps partagé sa vie mais cela fait trois ans déjà qu'ils se sont quittés. Il nous narre par le menu le détail de leur rencontre, dans une soirée, un peu par hasard. Il ne savait pas trop s'il l'aimait, a fini sans doute par s'habituer à sa présence, mais ce ne fut pas un « coup de foudre ». C'est vrai que cette femme était fascinante, c'est en tout cas lui qui le dit mais on sent bien aussi que la solitude lui pesait et que cette rencontre a été la bienvenue. Pourtant leurs relations se révèlent à la fois ardentes et sans lendemain et c'est bizarrement lui qui choisit de les rompre, un peu comme s'il avait peur de l'avenir avec une femme et que la solitude était son véritable lot. Odile accepte sa décision avec regret quand même et cet acceptation un peu inattendue introduit en lui une sorte de fatalisme. Il note « Je crus alors réellement que j'allais mourir, puisque aussi bien le vide qui se creusait parut prendre toute la place que j'occupais jusqu'alors pour donner quelque forme à la vie que j'imaginais de vivre et révéler, derrière la fiction de mon être, la tranquille et blanche vérité de sa fin » . Il compense par l'écriture de ce journal ce qui est un moyen efficace de sublimer les épreuves les plus intimes. Puis il rencontre André, un ami de 21 ans son cadet qui lui présente sa compagne, Jeanne, dont il tombe évidemment amoureux. Du coup, depuis qu'il a rencontré Jeanne, ses rapport avec la mouche changent. Il se met à l’invectiver dans son journal et lui donne le nom d'Odile, celui de la femme qui, dit-il, avait précipité son destin! Il est amené à l'abandonner dans son appartement en souhaitant qu'à son retour elle serait simplement morte puisque ses amis le convient à une séjour d'une semaine aux sports d'hiver, ce qu'il accepte. Pendant cette période le couple se déchire mais se réunit, le laissant seul à la montagne. Il rencontre une autre femme Meije, dont il tombe amoureux...

 

La vie de Lucien est oisive mais encombrée de femmes qu'il aime, laisse partir ou ne peut toucher par timidité, par peur ou par volonté de ne pas s'engager. Cette histoire où finalement il ne se passe pas grand chose, surtout à propos de cette mouche, est une tranche de vie d'un homme ordinaire, frustré sans doute, qui fantasme beaucoup à propos des femmes. Il m'apparaît que les héros d'Oster sont ainsi. Ce n'est pas que cela m'ennuie, au contraire puisque finalement je m'y retrouve un peu et, au fond, je ne dois pas être le seul. Lucien est un homme qui aime les jolies femmes, ce qui prouve son goût, mais il se révèle incapable de les retenir. Il séduira peut-être Meije comme il a séduit Jeanne mais surtout elle ne restera pas avec lui soit parce qu'elle préféra son ami, soit parce que Lucien finira par se séparer d'elle comme il l'a fait avec Odile. En réalité, c'est un homme à qui le bonheur conjugal et peut-être le bonheur en général est tout simplement interdit. Il est sûrement séduisant, la femme qui est dans son lit est « belle comme la femme d'un autre » mais il ne s'y attachera pas et se retrouvera irrémédiablement seul face à la page blanche de son journal à laquelle il pourra confesser ses déboires. Je suis donc personnellement reconnaissant à l'auteur de ces romans intimistes d'être en phase avec la réalité, même si elle est un peu triste.

 

Le style est agréable, la phrase est, il est vrai est un peu longue parfois, mais l'émailler d’imparfaits du subjonctif ne me gêne guère, au contraire, cela lui donne un petit côté suranné qui me plaît bien.

 

La quatrième de couverture présente ce roman comme irrésistible et drôle. Je ne suis pas de cet avis et je dois dire que je n'ai pas beaucoup ri, peut-être au contraire. J'y ai trouvé quelque chose qui ressemble à la vraie vie et j'ai apprécié.

 

©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

 
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