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la feuille volante

Mourir d'aimer

La Feuille Volante - N° 2012 – Septembre 2025.

 

Mourir d’aimer – Un film d’André Cayatte (1971)

 

C’est l’histoire d’amour d’une professeure de lycée rouennais, Danièle Guénot (Annie Girardot) avec un de ses élèves âgé de 16 ans, Gérard Leguen (Bruno Pradal) . Danièle, divorcée, mère de deux enfants, est une prof passionnée par son métier et qui noue avec ses élèves des liens forts, un de ces profs qui nous ont fait aimer l’école quand tant d’autres n’ont fait que nous en dégoûter.

Le film retrace, un peu comme un témoin, la genèse de la relation entre Danièle et Gérard, dans la façon que cette professeur porte son enseignement et accompagne ses élèves hors de la classe jusque dans les bars et les manifestations de Mai 68.

On peut admettre la réaction des parents de Gérard, alors mineur, qui, selon eux, est victime de « envoûtement » d’une femme adulte. On peut comprendre qu’ils sont dans leur rôle, qu’ils reprouvent la différence d’âge, qu’ils souhaitent avant tout l’avenir de leur fils, qu’ils redoutent peut-être aussi l’absence probable de petits-enfants et qu’ils n’avaient pas vraiment prévu cet événement. Éloigner Gérard pour que les choses reviennent à une normalité plus recevable est plausible, lui-même finit par l’accepter pour sauver sa relation avec Danièle, mais le faire interner dans un asile psychiatrique où on se chargera de le shooter à coup de médicaments et porter plainte contre Danièle pour enlèvement et détournement de mineur en espérant lui faire perdre son poste et donc la détruire, c’est autre chose. L’intransigeance du père de Gérard (François Simon), refusant de retirer sa plainte est de ce point de vue révélatrice. C’est pour Danièle qui est réellement amoureuse un combat perdu d’avance puisqu’elle a contre elle sa hiérarchie qui, comme d’habitude, ne veut pas faire de vagues mais surtout la loi, Gérard étant encore mineur. Elle doit non seulement affronter ses juges mais auparavant la Force Publique et ses harcèlements, une perquisition à son domicile, la menace de placement de ses enfants à l’Assistance Publique, la presse avide et destructrice, l’appel du procureur devant le jugement en première instance qui, compte tenu d’une relative clémence et assorti du sursis sera annulé par l’amnistie consécutive à l’élection du nouveau président de la République. En effet, Danièle est l’image du désordre de Mai 68, ce qui à ses yeux de magistrat protecteur de la société, est inacceptable. C’est une battante et croit en la force de l’amour d’autant qu’elle et Gérard ont des soutiens dans leur entourage mais devant cet acharnement, elle finira par craquer. Dès lors, la mort est la seule solution. J’imagine la culpabilisation ressentie par les parents de Gérard, le désarroi de celui-ci, leurs relations durablement voire définitivement affectées, sa vie bouleversée…

 

Ce film fait évidemment référence à l’affaire Gabrielle Russier (1937-1969) dont il reprend les faits et qui ont ému ou scandalisé la France entière. J’ai souvenir d’une conférence de presse télévisée de Georges Pompidou, alors président de la République, qu’un journaliste interrogea en fin de séance sur cette affaire. Surpris, presque gêné, marquant un long silence que l’image en noir et blanc semblait souligner, hésitant aussi, prononça quelques mots laconiques sur ce qu’il en avait pensé et sur ce qu’il avait fait, ne parvenant cependant à convaincre personne malgré une décontraction feinte, s’en tirant assez piteusement, lui le normalien, agrégé de Lettres, l’auteur notamment d’une anthologie de la poésie française, en citant Paul Eluard , avant de quitter la salle de presse,

 

« Comprenne qui voudra, moi mon remords ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts, qui sont morts pour être aimés »

 

Au moins, à cette époque, nous avions un président cultivé, ça a bien changé depuis !

 

Ce genre de relation amoureuse entre deux êtres d’un âge différent est déjà arrivé et arrivera encore sans qu’elle soit heureusement conclue par cet épilogue tragique. Ce que le journaliste, interrogeant le président, avait qualifié de « fait divers » donna lieu notamment à deux films, celui-ci qui obtint un immense succès et fut couronné par « Le grand prix du cinéma français » en 1970 et distribué dans le monde entier, un téléfilm de José Dayan de 2009 avec Muriel Robin dans le rôle principal, une chanson écrite et chantée avant la sortie du film mais qui n’y figure pas par Charles Aznavour. Le nom de Gabrielle Russier et de sa tragique histoire sont gravés dans la mémoire collective un peu comme si l’espèce humaine dont la principale caractéristique est l’amnésie voulait exorciser ce malheureux épisode.

 

 

 

 
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