LA STRADA – Un film de Federico Fellini.
- Par hervegautier
- Le 30/10/2013
- Dans Cinéma italien
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N°689– Octobre 2013.
LA STRADA – Un film de Federico Fellini.
(Mardi 28 octobre 2013 – 20H50 – Arte)
Je n'ai vraiment aucun mérite à vanter ce film devenu célèbre dès sa sortie en 1954 et qui l'est encore aujourd'hui, même dans sa version noir et blanc, mais quand tout s'effondre dans notre pauvre pays, quand, au sommet de l’État on sent plus qu'un flottement et que l'économie, l'emploi, la paix sociale et donc la démocratie sont durablement ébranlés, il est plus que réconfortant d'oublier un moment ces tristes réalités avec un roman ou un film de qualité.
Ce film donc met en scène dans une Italie d'après-guerre un minable petit cirque forain qui circule au hasard des villes et des campagnes en présentant devant de rares spectateurs un unique numéro de force. Il est composé au départ d'un homme costaud, ivrogne et rustre, Zampano (Anthony Quinn), qui, pour quelques sous achète à sa mère trop pauvre, une jeune fille un peu attardée, Gelsomina (Giuiletta Masina, épouse de Fellini) qu'il intègre à son « spectacle ». Elle est naïve et innocente et son regard seul porte toute la détresse du monde. Elle incarne la sensibilité, l'humanité [scène de l'enfant malade mais aussi la faculté qu'elle a de s'émerveille d'un simple caillou] mais tout cela fait d'elle une proie facile. Elle aime cette vie d'artiste et cherche à lui plaire avec obstination mais lui la traite comme une bonne sans lui accorder la moindre attention. Elle n'est ni belle ni vraiment drôle dans le numéro de clown, mais s'attache à cette vie qui la fait voyager et peut-être sortir peu ou prou de la misère. Elle tentera de partir, envisagera de répondre aux sollicitations de la jeune religieuse ou du cirque ambulant mais finalement choisira l'errance et le voyage avec ce compagnon d'infortune. Lassé d'elle, il finira par l'abandonner au bord d'une route et quelques années plus tard ce ne seront que les quelques notes langoureuses qu'elle réussissait à sortir d'une pauvre trompette qui lui rappelleront qu'elle a existé mais qu'elle est morte.
Un autre personnage est également attachant, celui du funambule, « le fou », joué par Richard Basehart qui importune constamment Zampano. Dans cet univers tragique il incarne la bonne humeur, le sourire, l'avenir, un rayon de soleil dans ce tableau déprimant et peut-être l'amour qu'il éprouve pour la jeune fille qu'il est le seul à vraiment comprendre. Sa mort sous les les coups de Zampano, annoncée par le bris de sa montre, anticipe celle de Gelsomina qui elle est seulement évoquée à travers les mots d'une femme qui étend son linge ; elles soulignent la solitude de Zampano. Si on le souhaite, on peut voir dans la dernière image du film où Zampano qui se sait coupable du meurtre du « fou » regarde désespérément le ciel après l'annonce de la mort de Gelsomina, une sorte de contrition ce qui donnerait à ce film une dimension chrétienne tout comme le funambule, personnage aérien, est figuré avec des ailes d'ange. Zampano lui pourrait incarner tout ce que l'humanité porte en elle de mauvais face à l’innocence, à la candeur des deux autres personnages ! Pourquoi pas ?
Jusque là, Anthony Quinn n'avait eu que des rôles secondaires. En lui offrant d'interpréter le personnage principal, certes antipathique et violent de ce chef-d’œuvre, Fellini a fait de lui un acteur majeur qu'on retrouvera souvent au cinéma notamment dans « Zorba le Grec » mais aussi dans « Viva Zapata ! » ou dans « La vie passionnée de Vincent Van Gogh ». Le personnage qu'il campe est révoltant mais tranche sur les deux autres qui ne peuvent pas ne pas bouleverser le spectateur par leur authenticité et par leur mort. En tout cas aucun d'eux ne laisse indifférent.
Fellini a puisé dans sa vie les thèmes de ses films. Il y a dans certains d'entre eux (Amarcord, Fellini Roma, Huit et demi...) des connotations nettement autobiographiques. « La Strada » incarne sans doute son enfance en Émilie-Romagne où de petits cirques parcouraient cette province. C'était une des rares distractions de cette époque. Avec la symbolique de la route (La strada) qu'on retrouve notamment chez Kérouac (La Feuille Volante n° 579) c'est la liberté que Fellini choisit de privilégier. Liberté dans sa vie peut-être mais surtout dans sa créativité cinématographique qui était foisonnante puisque l'une de va pas sans l'autre et que son génie débordant se conjuguait mal avec avec les entraves.
A ce scénario néoréaliste sur le vide de l'existence s'attache évidemment une musique inédite. Elle est signée Nino Rota et reste présente dans nos mémoires. Cette mélodie simple, populaire et réellement intemporelle ne peut qu'émouvoir celui qui l'entend. Ce compositeur est demeuré fidèle à Fellini, composant notamment pour la « Dolce Vita », « Huit et demi » ou « Amarcord », s'adaptant à chaque fois à l'univers très particulier de Fellini[1920-1993] fait de foisonnement des thèmes, de fantasmes, de rêve mêlé à la réalité mais aussi de personnages souvent difformes ou contrefaits, aux visages parfois tourmentés, des femmes aux corps plantureux, le tout contribuant à une écriture cinématographique étonnamment originale.
Pour cela, Fellini, authentique fabriquant de rêve, imaginatif plein de sensibilité tient définitivement une place à part dans l'histoire du 7° art.
© Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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