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la feuille volante

Littérature américaine

  • Quelques réflexions personnelles sur l'oeuvre de Patricia Cornwell

    N° 243–Septembre 2002

     

    Quelques réflexions personnelles sur l’œuvre de Patricia CORNWELL.

     

    Je n’ai pas honte de l’avouer, en ce qui me concerne, la première lecture d’un auteur inconnu se fait souvent à partir d’un amical conseil, d’un article de presse ou tout simplement d’un livre pris, parfois au hasard, sur les rayonnages d’une bibliothèque !

    De telles méthodes ont leurs insuffisances et bien souvent leurs limites et si au bout de cinquante pages l’intérêt n’est pas au rendez-vous, j’abandonne.

     

    Je ne sais pas comment le nom de Patricia Cornwell a suscité mon attention, mais ce qui est certain c’est que le roman policier, aussi bien en ce qui concerne l’écriture que la lecture, prend de plus en plus de place dans ma vie et dans mes loisirs… Je ne m’en plains pas !

    Au-delà de l’auteur, dont la biographie révèle une réelle réussite d’écrivain et une générosité notable d’autant plus appréciable qu’elle sait rester discrète, pour le progrès de la médecine légale et donc de la justice, il y a les personnages, les histoires…

     

    Tout d’abord je dois dire que ses romans sont servis par une remarquable traduction française, car, s’agissant d’un texte original écrit en américain, il est injuste d’oublier le nom du traducteur (ou de la traductrice) c’est à dire celui qui rend l’ouvrage lisible en français et contribue largement à son succès.

     

    L’héroïne principale, le docteur Kay Scarpetta, d’origine italienne comme son nom l’indique est médecin légiste qui prend d’ailleurs des allures de policiers. La vie du personnage se nourrit des expériences professionnelles et personnelles de l’auteur puisque Patricia Cornwell a été, outre chroniqueur judiciaire, informaticienne à l’institut médico-légal de Richmond (Virginie) où elle noue des liens d’amitié avec le docteur Marcella Fierro, directrice de la morgue, ce qui donnera naissance, sans doute malgré elle, au personnage de Kay Scarpetta. Richmond sera bien entendu le lieu géographique de la plupart de ses romans.

     

    Avec ses collègues, dont l’inséparable capitaine Marino, un peu macho et entretenant avec la bière des liens étroits, elle mène inlassablement ses enquêtes qui l’entraînent parfois à l’autre bout des Etats-Unis.

     

    Ici le rythme est rapide et fascinant à la fois et Kay risque sa vie dans chaque enquête. Elle y perdra même l’homme de sa vie dont la mort continue de l’obséder. Mais elle fait face malgré les chausse-trappes que lui tendent les tueurs désireux de l’éliminer physiquement ainsi que les brimades de sa hiérarchie, le monde macho de la police…

     

    Elle a des relations intimes avec Benton Wesley, un « profileur » du FBI. Elle partage sa vie par intermittente et ses sentiments pour lui montrent combien un auteur peut se révéler dans une de ses œuvres (« Combustion »). Un roman policier n’est pas seulement le récit d’histoires sordides où la mort est présente à chaque page. Dans les cas des œuvres de Patricia Cornwell, j’ai ressentis, personnellement du moins, une forte charge émotionnelle au moment notamment où elle décrit avec moult détails l’atrocité d’un meurtre autant que les différentes sentiments qui habitent Kay Scarpetta quand elle disperse les cendres de son amant sur une plage selon la volonté du défunt. On met toujours un peu de soi dans son écriture et l’œuvre en témoigne !

     

    Pete Marino, omniprésent à ses côtés tel un ange gardien, respectueux cependant de sa vie privée est un peu son double inversé, mais j’aime surtout qu’elle soit cette mère de substitution pour sa nièce, la fragile Lucy, agent du FBI, surdouée, homosexuelle, mais toujours un peu en marge de cette société qu’elle contribue à défendre mais qui la rejette parce qu’elle est une femme œuvrant dans un monde essentiellement masculin.

     

    Il y a deux styles sinon deux manières d’écrire chez Patricia Cornwell. Bien sûr, il n’y a pas de roman policier sans crime et sans atrocités. C’est là le parti pris de l’auteur qui puise largement dans son expérience glanée en médecine légale, mais il ne faut pas oublier que la mort fait partie de la vie et que notre société est aussi composée de criminels, de sadiques, de psychopathes. C’est donc cette face cachée que Patricia Cornwell nous donne à voir… et elle le fait non seulement avec talent mais aussi avec des précisions scientifiques et un goût du détail qui rendent, même pour un non initié comme moi, l’histoire d’autant plus crédible et intéressante.

     

    Il n’en existe pas moins deux séries de personnages-phares : Kay Scarpetta qui vit imprime sa marque dans onze roman. Elle y côtoie Marino, Benton et sa nièce Lucy. A mon avis ce sont de loin les plus intéressants ; puis il y a une seconde série d’où tous ces personnages sont absents. Ce sont les romans les plus récents. Les chefs de la police locale sont des femmes telles Judy Hammer (« L’île aux chiens »-« La griffe du Sud ») ou Virginia West (« La ville des frelons »). Dans cette série émerge un personnage masculin qui sans doute prendra de l’importance dans son œuvre à venir, c’est celui d’Andy Brazil, ex-journaliste de talent devenu policier.

     

    Patricia Cornwell entraîne son lecteur dans une série d’aventures passionnantes qui révèlent autant les bas fonds de la société américaine que la cupidité la cruauté des hommes, quand ils sont des criminels, mais aussi l’humanité des êtres dits « normaux ».

     

    L’auteur est de son temps et l’informatique, inévitable, incontournable de nos jours, tient une grande place dans son œuvre. Internet aussi, évidemment et c’est souvent à cause de ce vecteur que le docteur Scarpetta et ses autres personnages sont entraînés, presque malgré eux dans des enquêtes où le macabre le dispute à l’horreur ! Il est vrai que nous sommes loin des fictions lentes et lénifiantes aux trop heureuses conclusions !

     

    Elle décrit sans complaisance la vie de son temps, de Richmond, cette ville de Virginie qu’on pourrait croire assoupie, mais aussi de cette société américaine, avec ses travers, son quotidien, cette « américan way of life », rêve pour certains, cauchemar pour d’autres, minée par le racisme, la drogue, la corruption, l’omniprésence des armes, le profit, la réussite, la situation centrale des Etats-Unis dans le monde, son goût pour le pouvoir ! Cette société qui a souvent attiré les hommes du monde entier parce que c’est un espace de liberté mais elle masque à peine son autre visage d’insécurité et de violence, d’injustice aussi !

     

    Elle a du se battre pour faire reconnaître son talent et ce n’est pas là la moindre de ses qualités personnelles, même si maintenant on lui rend justice par l’attribution de prix prestigieux tels que le « Edgar Poe Award » ; l’ « Anthony Award », le « Macavity Award », le « Dagger Award ». »

     

    La France, pays de la culture, n’a pas non plus été en reste qui lui a accordé le « Prix du roman d’aventure » (1992) qui récompensait, pour la première fois une Américaine/

     

    Je serai pourtant toujours attentif à cet écrivain dont la notoriété dépasse largement et heureusement les frontières de son pays.

     

    © Hervé GAUTIER. http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

     

     

    P.-S. Patricia Cornwell a notamment publié « Postmortem » (1992) – « Mémoire mortes » (1993) – « Et il ne restera que poussières… » (1994) – « Une peine d’exception (1994) » - « La séquence des corps » (1995) – «  Une mort sans nom » (1996) –«  Mort en eaux troubles » (1997) – « Mordoc » (1998) – « Combustion » (1999) – « Cadavre X » (2000) – « Le dossier Benton » (2001) – « La ville des frelons » (1998) – «  La griffe du sud » (1999) – « L’île des chiens » ( 2002)

     

  • la pste écarlate

    N°472– Novembre 2010.

    LA PESTE ÉCARLATE et autres nouvelles – Jack London - Phébus Libretto.

     

    Le seul nom de Jack London évoque l'aventure, la nature, la liberté.

     

    Dans la première nouvelle, qui est plutôt un court roman et qui donne son nom au recueil, un vieillard qui fut jadis professeur évoque pour ses petits-enfants sauvages et illettrés ce qu'était, soixante ans plus tôt la vie en 2013, date de l'apparition de la peste écarlate, ainsi nommée parce qu'elle colore le visage en rouge. Elle décima la population de la terre et réduisit les humains pourtant civilisés et cultivés, à l'état d'êtres égoïstes, défendant le seul bien qui leur reste : leur vie ! Nous sommes donc en 2073 et l'ex-professeur Smith raconte ce qu'était la société civilisée et organisée et comment, épargné par la pandémie, il a survécu dans ce monde hostile redevenu sauvage où les opprimés d'alors ont réussi à s'affirmer grâce à leur brutalité et à prendre le pas sur leurs oppresseurs d'avant. Ses petits-enfants ne peuvent se figurer ce qu'il décrit pour eux mais il place son espoir dans les livres et la clé de lecture qui permet de les déchiffrer. Il a caché le tout dans une grotte et espère que l'espèce humaine retrouvera, grâce à cela, sa splendeur passée.

    La seconde nouvelle, intitulée « Le dieu rouge » évoque la croyance d'une tribu sauvage en un dieu extraterrestre matérialisé par une sphère rouge qui émet un son. Un blanc, perdu dans la forêt, tente de percer ce mystère qui ne peut s'expliquer qu'au prix de la vie.

    La troisième intitulée « Qui croit aux fantômes ?» met en scène deux rationalistes qui se sont donnés rendez-vous dans une maison hantée. Ils vont se trouver « possédés » par deux fantômes qui reviennent pour disputer une partie d'échecs dont leur vie dépendra.

    « Mille morts » parle d'un fils de famille parti sur les mers et récupéré par un navire commandé par son père. Ce dernier va se servir de ce fils pour mener à bien des expériences où la mort est suivie de résurrections successives. Mais le fils ne saurait, jusqu'au bout être son cobaye.

    L'auteur change de registre avec« la seconde jeunesse du major Rathbone » où il analyse, sur le mode humoristique, les conséquences des tentatives de rajeunissement du corps et de l'esprit d'un vieillard. Il faudra quand même compter avec Déborah, son ancien amour de jeunesse qui, elle aussi, bénéficia de cette expérience.

     

    L'architecture d'un recueil de nouvelles n'est pas chose facile. Avec celui-ci, paru en 1912, Jack London (1876-1916) passe du registre tragique à l'humour, au moins en apparences. Avec la première nouvelle, publiée peu de temps avant sa mort, il semble nous avertir d'une possible fin du monde, provoquée par la maladie. Songeait-il à la Grande Guerre qui allait bouleverser le monde? Peut-être? Encore qu'il nous confie que les survivants restent capables de le reconstruire au moyen des livres refaire et de la connaissance que le Professeur Smith a sauvegardés. Il explore ici un registre plus mystérieux voire apocalyptique, jouant à la fois sur le fantasme de la fin du monde, de la mort, de l'éventuelle résurrection, l'anéantissement de la vie et la responsabilité humaine dans ce cataclysme ?

     

    Avec la se seconde nouvelle, c'est clairement l'angoisse de la mort et une certaine désespérance qui transparaissent ici. La couleur rouge rappelle celle de la peste du premier texte et les mots évoquent une certaine perfection des formes et des sons, comme quelque chose qu'on découvre enfin après l'avoir tant recherché. Ce qui est ici suggéré c'est à la fois l'attrait de l'inconnu et la fascination et l'acception de la mort, une sorte de sérénité devant elle, le terme du parcours qui fut le sien durant sa vie et que l'écriture magnifia. Même la présence de Balatta n'y fera rien. Il la repoussera faisant prévaloir Thanatos sur Eros. Rappelons-nous que ce texte a été écrit quelques mois avant sa disparition.

    Avec les deux autres textes, il semble présenter les choses sous un angle différent, peut-être plus léger? Voire. Celui où il évoque la présence de fantômes et qu'il écrivit à dix-neuf ans, doit sans doute beaucoup à Edgar Poe dont il fut le lecteur attentif. C'est la fascination de l'étrange qui habite la condition humaine avec son cortège de névroses, de perversions, de dérèglements... la mère de l'auteur était une spirite convaincue et celui qui fut son père et qui les abandonna tous les deux, versait lui aussi dans l'ésotérisme. Voulut-il régler ainsi, par l'écriture et l'imaginaire, ses comptes personnels avec eux? Quand il choisit le thème des expériences sur l'humain, sur le vivant, on songe à un médecin fou mais le registre ici est le fantastique. Derrière des considérations techniques difficiles à suivre, il évoque des expériences un peu déjantées qui procurent la mort mais aussi qui redonnent la vie. C'est certes de la pure fiction, mais c'est aussi une autre forme de réflexion sur la mort. N'oublions pas que Jack London est avant tout un athée, lecteur de Marx et que donc l'idée de Dieu est absente de ces textes.

    On peut aussi y voir une forme de victoire de l'homme sur les événements qui pèsent sur sa vie, le triomphe du pessimisme, du défaitisme. Au dernier moment il réagit et fait prévaloir sa liberté. Le héros de « Mille morts » s'échappe, le vieux major redevenu jeune convole avec son amour de jeunesse,

     

    Avec ce recueil, Jack London qui fut un auteur prolifique de plus de 50 livres qui, pour la plupart évoquent l'aventure explore ici un registre différent. Encore une fois, sa vie personnelle ses expérience ont nourri son écriture, mais celle-ci a joué pour lui un rôle d'exorcisme, mais c'est aussi le sien!

     

     

     

  • Le bureau des assassins

    N°332– Mars 2009

    LE BUREAU DES ASSASSINATS – Jack LONDON [1876-1916]– Stock.

     

    Deux protagonistes principaux dans cette drôle d'histoire écrite par Jack London, laissée inachevée et terminée par Robert L Fish, un spécialiste de l'auteur d'après ses propres notes et finalement publiée de manière posthume en 1963.

     

    D'une part Yvan Dragomiloff qui dirige un syndicat d'assassins comme au meilleur temps de la prohibition américaine, de l'autre Winter Hall qui a recours aux services du premier. Jusque là, ça va et tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles comme on dit quand on a des lettres, sauf que, pour être un authentique thriller, cela ne peut se passer comme cela. Cette organisation criminelle veut bien exécuter ses victimes pour de l'argent, mais encore faut-il que ce meurtre soit justifié! C'est à dire que celui qui doit mourir doit avoir attenté à l'existence de la société en perpétrant des méfaits tels que leur auteur doit effectivement être éliminé... pour le bien de tous! C'est là une condition sine qua non sur laquelle cette organisation ne transige pas. On devrait d'ailleurs plutôt parler de « bureau des exécutions ». C'est déjà peu banal, mais là où cela se complique vraiment, c'est que cet Hall entend passer un contrat avec Dragomiloff... pour tuer ce dernier, et comme on est franchement en plein délire, ce contrat est accepté par celui-là même qui dirige cette association, autant dire qu'il va lui-même organiser son propre assassinat, tout en ayant notifié à son commanditaire son intention de ne pas cependant se laisser faire et de vendre chèrement sa peau. Cette idée l'enthousiasme même et quand l'autre s'en étonne, il lui déclare tout de go qu'il a accepté cela par goût de « l'aventure », pour rompre une routine devenue trop pesante! Et comme nous sommes en pleine fiction délirante, Dragomiloff accepte ce contrat parce qu'il le juge moral et répondant totalement aux critères mis en place par lui-même dans le cadre de ce bureau des assassinats. C'est donc Hall qui devient en quelque sorte le dirigeant par intérim de cette organisation composée, on le verra, non d'assassins comme on pourrait s'y attendre mais d'érudits plus obsédés par les idées, la logique et les engagements moraux que par le respect de la vie humaine. A leurs yeux, ces principes surpassent tous les autres, jusqu'à l'absurde!

    Pour compliquer le tout, Dragomiloff n'est pas exactement celui qu'il prétend être et a usurpé une identité... et bien entendu l'amour va venir aggraver en peu plus ce cas qui n'en avait vraiment pas besoin, en la personne de Grounia, la « nièce » de ce dernier dont Hall va bien entendu tomber amoureux! Là, cela devient franchement cornélien! Cette traque mortelle va-t-elle déboucher sur la destruction totale du « bureau », puisque, après avoir longuement hésité, chacun de ses membres se met en chasse pour éliminer celui qui en est le chef...et bien souvent y laisse sa vie.

    Voilà donc le décor planté qui est le point de départ de cette rocambolesque histoire pleine de rebondissements et d'interrogations intimes et existentielles de la part des membres de cette organisation qu'il faut lire jusqu'à la fin.

    Je dois dire que j'ai eu du mal, au début, à entrer dans cet univers romanesque. J'ai, cependant, une attirance particulière pour Jack London, pas seulement à cause de son talent littéraire qui n'est plus à démontrer, mais surtout parce que il était l'archétype de l'autodidacte. Il a été tour à tour marin, chercheur d'or, ouvrier, vagabond et j'aurais toujours une tendresse particulière pour ses hommes à qui la vie a réservé ses troubles, ses bouleversements, ses chagrins aussi et qui les ont sublimé dans l'art. Leur expérience protéiforme a nourri leur écriture qui vaut bien celle des intellectuels patentés. Elle est authentique parce que, non seulement ils savent prêter au lecteur le dépaysement de leur aventure, mais aussi parce qu'ils le font avec un naturel que seul les créateurs de leur trempe sont capables de recréer!

     

     

     

  • Quelques mots sur Walt Witman

    N°287– Décembre 2007

    QUELQUES MOTS SUR WALT WITMAN [1819-1892]

    Je crois que c'est Saint Augustin qui demandait qu'on se méfiât de l'homme d'un seul livre. Walt Witman fut pourtant cet homme puisque son recueil de poèmes « Feuilles d'herbe »[Leaves of grass), même s'il ne fut pas son oeuvre unique [Il est moins connu pour Good by my Fancy, Spécimen Days and Collecte...], il reste qu'il est surtout célèbre pour ce recueil de textes souvent remaniés et réédité neuf fois de son vivant, parfois sans l'aide d'un éditeur. On ne sait d'ailleurs pas s'il s'agit de prose ou de poésie, tant sa prosodie emprunte la forme nouvelle pour son époque du vers libre, pourtant le film « Le cercle des poètes disparus » de Peter Weir [1989] a remis à l'honneur un de ses poèmes, écrit à la suite de l'assassinat d'Abraham Lincoln [Oh capitaine, mon capitaine]. Son style est à la fois baroque et les grandes envolées lyriques voisinent avec des banalités étonnantes et quotidiennes. Son écriture passe sans grandes transitions de phrases prétentieuses voire pédantes, à l'usage de mots argotiques, abstraits, voire des néologismes ou des mots créés à partir de langues étrangères ou d'onomatopées, pour repartir en évocations mystiques, usant d'une langue faite d'éléments hétéroclites donnant au lecteur une impression mitigée, déconcertante même, sans réelle différence entre la langue parlée et la langue écrite. C'est un peu comme si l'auteur se sentait grisé par les mots et leur musique. On a voulu en faire le précurseur des symbolistes en ce qu'il a voulu exprimer l'inexprimable puisqu'existe dans sa créativité des correspondances entre le monde matériel et spirituel. On a même été jusqu'à voir en lui l'annonciateur des surréalistes. C'est dire l'importance de cet écrivain qui ne laisse personne indifférent.

    On a beaucoup parlé de Witman, et il est vrai qu'il s'agit d'un grand poète américain, autodidacte et humaniste. L'expression peut d'ailleurs surprendre chez un peuple traditionnellement plus attaché à la recherche du profit et à la réussite sociale qu'à la culture et qu'à la poésie dont on sait qu'elles ne rapportent rien ou pas grand chose, mais c'est ainsi! Ce fils de fermier de Long Island s'est très tôt tourné vers l'écriture, comme journaliste d'abord, comme homme de Lettres ensuite. Il reste un écrivain spécifiquement américain qui croit en l'homme, en ses capacités de construire l'avenir dans le respect de la démocratie et la foi dans le bonheur sur terre et l'égalité entre hommes et femmes. Il était en cela tout à fait en phase avec son temps, mais aussi un précurseur notoire.

    C'est vrai qu'il a été un auteur controversé, mais il a évoqué l'humanité toute entière, ce qui a fait de lui un poète universel. Il a été un être complexe, comme nous le sommes tous, à la fois poète de la terre, du peuple, célébrant les valeurs physiques, celles du travail, de la vie au grand air et volontairement oublieux des barrières sociales, mais étonnament moderne et intellectuel. Pour autant son écriture trahit un être angoissé, désespéré parfois ou bizarrement optimiste, mais sans la souffrance et le mélange de sentiments que seule nous inspire la vie, il n'y a pas de création artistique, d'autant que son existence ne fut pas exempte de passions tumultueuses [on a même évoqué l'homosexualité] dont il parla.

    En cela, Witman était un être humain, avec ses passions, ses contradiction, ses doutes, ses espoirs et ses découragements. Il fut à la fois un écrivain mythique et mystique en ce sens qu'il parla de la vie sous toute ses formes, évoqua Dieu, source de toute création mais aussi force qui donne l'impulsion à toute l'humanité. Pourtant il n'était pas chrétien, mais célébra l'âme comme intimement liée au corps, aux sens. Il fut un visionnaire, chantre de la liberté et de l'égalité entre les hommes, désireux de voir d'avènement de « l'homme moderne »mais étonnamment individualiste, voire anarchiste parfois, un romantique et un prophète aussi!

    Un poète disparu et injustement oublié!

    © Hervé GAUTIER - Décembre 2007.

  • Le vieil homme et la mer

    N° 1437 - Mars 2020.

     

    Le vieil homme et la merErnest Hemingway. Gallimard

    Traduit de l’américain par Jean Dutour.

     

    C’est la courte histoire de Santiago, un vieux pêcheur cubain malchanceux qui n’a pas attrapé de poisson depuis quatre vingt quatre jours au point que les parents de Manolin, le garçon qui d’ordinaire l’accompagne, ont embarqué le gamin sur un autre bateau qui, lui, rapporte du poisson, mais le petit aime bien Santiago et en prend soin. « Le vieux » prend la mer, attrape un gros marlin et après une longue lutte de deux jours et trois nuits qui l’amène bien au-delà du Gulf-Stream, sa zone coutumière de pêche, l’arrime à sa barque mais à ce moment il subit l’attaque de requins qu’il combat également mais c’est un squelette d’espadon qu’il ramène au port. Il retrouve Manolin et s’endort en rêvant à sa jeunesse.

    C’est un cour roman ou un longue nouvelle, comme on voudra, qui se lit d’une traite et qui commence comme un conte par « il était une fois », comme une de ces histoires merveilleuses pour enfants qu’il faut aussi que les adultes comprennent comme un message. Cet ouvrage a fait l’objet de nombreux commentaires sur l’amitié entre ce vieil homme et ce jeune garçon qui prend soin de lui, mais ce sont sans doute les monologues de Santiago qui soulignent sa solitude qui est aussi probablement celle de l’auteur. C’est peut-être une vue de mon esprit mais dans cette lutte aussi bien du poisson que du vieux j’y vois quelque chose qui ressemble à la quête d’Hemingway pour acquérir sa qualité d’écrivain, que certes il portait en lui depuis toujours, mais qu’il devait reconquérir et réaffirmer à la publication de chacun de ses livres. Le combat du vieux contre le poisson, avec les souffrances que cela implique pour lui , c’est un peu la même chose. Ce que Santiago ramène au port et qui ne lui rapportera rien, c’est peut-être aussi la conquête de l’inutile ou la reconquête de son honneur de pêcheur, une victoire sur la malchance ou l’intuition de l’humilité face à un trop grand appétit de réussite. J’y vois aussi le simple cours de la vie qui pour l’auteur a sans doute été belle mais qu’il sent petit à petit lui échapper. Quand il écrit ce roman il a 52 ans et décédera 10 an plus tard. Peut-être se ressent-il déjà des maux qui précéderont sa mort [il n’a d’ailleurs pas été à Stockholm recevoir son Prix en raison de sa santé défaillante]. On peut y voir aussi un dernier combat, une sorte de baroud d’honneur avant de se retirer définitivement. Le sommeil du vieux à la fin ressemble symboliquement à la mort inévitable avec ses regrets et ses remords d’une vie qui s’achève. Il y a dans la démarche de Santiago qui demande pardon au poisson pour l’avoir tué et en ressent de la culpabilisation une dimension religieuse, c’est à mes yeux, le dernier message de quelqu’un qui va mourir. Les requins pourraient tout aussi bien symboliser les « autres », tous ceux qui, par nécessité, par jalousie ou par plaisir font obstacle à la bonne volonté de quelqu’un et s’acharnent sur lui. Sa réussite littéraire, son talent ont à coup sûr suscité des rivalités et chacun d’entre nous, à sa suite, peut donner un visage à tous ceux qui souhaitent la disparition, la mise sur la touche de son semblable qui a réussi.

     

    Cet ouvrage, écrit en 1951 et, comme à son habitude dans un style fluide et agréable à lire a été un immense succès qui relança sa carrière et lui valut le Prix Pulitzer en 1952 et, pour l’ensemble de son œuvre le Prix Nobel en 1954. Hemingway met beaucoup de lui-même dans cette dernière œuvre majeure publiée de son vivant, comme un ultime message qui lui ressemble. Il parle du base-ball, de Di Maggio en particulier, de sa passion pour la pêche au gros qu’il a longtemps pratiquée et dont il donne force détails techniques

    Hemingway est un monument de la littérature américaine.

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • Paris est une fête

     

    N° 1436 - Mars 2020.

     

    Paris est une fête – Ernest Hemingway. Gallimard

    Traduit de l’américain par Marc Saporta.

     

    Après la première Guerre mondiale pendant laquelle il servit comme ambulancier volontaire dans la Croix-Rouge italienne, Hemingway(1899-1961) fut engagé comme journaliste et arriva à Paris avec femme, enfant et chat en 1921, quelque peu désargenté. Ils y resteront cinq ans. Ce livre est, selon son auteur, un mélange d’imaginaire et de réel, un récit autobiographique qu’enchante la ville et son aura insouciante. On le voit déambulant dans les rues de la capitale, s’arrêtant dans les cafés pour y écrire à l’invitation de l’ambiance du lieu, de l’alcool ou du regard d’une belle inconnue, visitant les musées de peinture ou les librairies, flânant sur les bords de Seine en discutant avec les bouquinistes ou les pêcheurs, s’intéressant aux courses hippiques ou cyclistes. Il retrouve ici son travail de journaliste en ce sens que ce roman peut aussi être regardé comme un reportage, écrit dans un style fluide comme à son habitude. Il est attentif à tout ce que cette ville lui réserve, même si les vrais Parisiens en sont absents, aux événements les plus banals de la rue, la pratique du turf comme à une rencontre à la Closerie des Lilas ou dans les bars de Montparnasse. Il doute certes mais croit en lui, en son talent, abandonne le journalisme pourtant lucratif, veut sortir de l’anonymat par l’écriture mais ça s’avère difficile et la faim fait partie de son quotidien. Il constate, amer, que lui qui sera Prix Nobel de littérature ne parvient pas à s’imposer dans un milieu qui boude son talent, mais il ne perd pas espoir. Il fait la rencontre d’autres américains comme la riche collectionneuse Gertrud Stein qui tient salon, plus âgée que lui elle jouait à la mécène découvreuse de talents, l’écrivain Scott Fitzgerald pourtant bien différent de lui mais déjà célèbre, le poète Ezra Pound, l’Irlandais James Joyce, Picasso, Blaise Cendras… Il faut cependant souligner le fait que les contacts avec les écrivains français n’ont pas vraiment déterminants pour Hemingway à cause peut-être de la barrière de la langue. Il se tient au courant des potins littéraires parisiens, se laisse aller à son côté épicurien et on le sent amoureux de cette ville mythique où il faut être en ce début du XX° siècle surtout pour de jeunes écrivains américains qui peinent à être reconnus aux USA et aussi du style de vie à la française, et ce même si l’auteur fait partie, comme Pound, d’une « génération perdue » selon le mot de Gertrud Stein. Il y avait certes un taux de change plus intéressant pour les Américains mais Paris était en quelque sorte un milieu littéraire de référence et de légitimation, une éducation créatrice à laquelle l’exil pouvait sans doute un peu contribuer. La France, c’était un contexte de liberté qui contrastait avec la côté puritain d’Outre-Atlantique. Pour Hemingway, c’est aussi un moment fort de son histoire d’amour avec sa femme Hardley Richardson, dont pourtant il divorcera.

    Certes aujourd’hui nous sommes loin du Paris des années 20, emblématique et même allégorique, loin aussi de la vie un peu bohème qu’y menait l’auteur alors jeune auteur talentueux. L’ambiance y était différente, on sortait d’une guerre qu’on voulait oublier parce qu’elle évoquait les souffrances et la mort. Cette ville représentait un espoir de reconnaissance pour lui, un lieu où il voulait vivre ce moment de sa vie, lui l’Américain alors inconnu qui sentait grandir cette envie d’écrire. Certes Paris reste encore aujourd’hui ce lieu d’une réussite potentielle où, plus qu’ailleurs sans doute, des rencontres d’exception peuvent décider de toute une vie, même si les fantasmes y ont une large place et que la désillusion peut aussi faire partie de la réalité. J’ai apprécié que ce roman moins connu d’Hemingway, composé au départ de notes éparses, écrit longtemps après son séjour parisien puis remanié et publié après sa mort, soit redécouvert et brandi par les Parisiens, et par les Français, au lendemain des attentats de novembre 2015 en réponse à l’obscurantisme meurtrier de Daech.

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Dans l'épaisseur de la chair

    La Feuille Volante n° 1218

    Dans l'épaisseur de la chair - Jean-Marie Blas de Roblès - Zulma.

     

    Cette saga familiale commence bizarrement par un chavirage de Thomas, le narrateur, lors d'une promenade solitaire en méditerranée. A la suite d'une altercation avec son père qui lui reproche de « ne pas être un vrai pied-noir » il prend seul la barque familiale et passe par-dessus bord. Ce séjour dans l'eau, rendu assez long par l'impossibilité de remonter dans son « pointu », lui donne l'intuition de sa mort inéluctable. C'est pour lui l'occasion de revoir, un peu sa propre vie comme dit-on celui qui va quitter ce monde, mais, remontant les traces de la mémoire, également celle de son père, la probabilité de la noyade lui rappelant les risques auxquels cet homme a dû faire face pendant sa longue vie. Par le biais de l'écriture, il lui rend un authentique et émouvant hommage et cela donne lieu à de nombreux analepses, sous forme de courts paragraphes, où il égrène les grands et les petits moments de cette famille déchirée entre l'Espagne, l'Algérie et la France. Il y a certes ce témoignage en faveur du père, mais, au fil de ma lecture, j'ai cru comprendre que le narrateur-auteur mena la vie dure à cet homme pendant quelques temps et fut invité par sa mère à plus d'indulgence envers lui, ainsi ce livre peut-il être aussi une manière de rachat. Ainsi il évoque son papa, Manuel Cortes, ancien chirurgien, engagé volontaire au côté des Alliés en 1942 qui, à 93 ans, vit retiré sur la côte d'Azur. Il est fils d’immigrés espagnols établis à Sidi-Bel-Abbès, une ville de garnison de la Légion étrangère, en Algérie, où son père, Juan, tenait un bistrot. C'est donc un roman de « pieds-noirs », plein du soleil de ce pays, des illusions entretenues de son rattachement à la France qui se termineront avec le triste slogan « la valise ou le cercueil », la découverte d'un pays lointain, inconnu et hostile, pas mal de regrets, d'incompréhensions et de trahisons politiques. C'est la petite histoire de cette famille qui se confond avec celle de ce pays, de son époque coloniale et militaire qui s'inspirait selon lui de la conquête romaine, de cette cohabitation cahoteuse entre européens, juifs, musulmans et bien entendu Espagnols, ces erreurs politiques qui ont jalonné la présence française en Algérie et de son issue, des épisodes de la deuxième guerre mondiale du retour au pays. Le lecteur découvre par le menu la libération de l'Italie puis de la France à travers l'épopée personnelle de Manuel, incorporé comme médecin auxiliaire dans un tabor marocain puis dans un régiment de génie, avec blessures, décorations et citations. Il partage les actions d'éclats de ces soldats, déplore leurs exactions sur les populations civiles mais profite aussi aussi ces moments d'exception où l'on oublie la guerre et, au milieu de ces combats, Manuel, avec une baraka insolente, semble immortel, en plus d'être un séducteur impénitent dans la vie ordinaire. Puis ce sont les événements de Sétif qui ont lieu en Algérie et sont le départ de ce processus d'indépendance qui fera de lui et de sa famille des «rapatriés ».

    L'architecture de ce roman s'articule comme un jeu de cartes espagnol avec ses figures caractéristiques et différentes des nôtres, « l'as de deniers », le« de deux d'épée », le «  trois de bâton » et le « quatre de coupes ». Cette progression symbolise la vie qui s'écoule, mais peut-être surtout ce que le hasard ou la destiné donnent à chacun en lui confiant le soin de le faire fructifier, sans oublier la chance et son contraire, la scoumoune, les événements extérieurs ou l'action des autres qui viennent favoriser ou contrecarrer les projets personnels, une image assez fidèle du parcours individuel en ce bas monde entre liberté, fatalité, erreurs et succès... A l'occasion de ce roman, l'auteur-narrateur remet en cause nombre d'idées reçues sur la guerre et sur la colonisation, mais c'est la nostalgie de ce pays et du temps passé qui transparaît. Il porte sur son histoire un regard critique égrenant les phases qui iront irrémédiablement vers les combats, les attentats, l'indépendance et le départ en catastrophe, un travail d'historien d'une remarquable précision. Ce faisant, il porte aussi un jugement sur la condition humaine.

    A titre personnel, je ne lis jamais une saga sans ressentir une sorte de vertige que me procure le temps qui passe et la vie qui s'écoule malgré soi et malgré sa volonté d'y imprimer sa marque. Ce fils de pauvres immigrés espagnols devient, à cause de la guerre, un brillant chirurgien, mais les événements, et aussi ses semblables se chargèrent de briser ses rêves et sa volonté. Il a mené une vie à la fois longue, aventureuse et tellement romanesque qu'on croit lire une fiction.

    Thomas est accompagné des railleries de son perroquet qui, bien qu'absent, hante son esprit au point de pouvoir être regardé comme la voix de sa conscience, ce qui donne à ce roman une incontestable dimension humoristique.

    J'ai retrouvé avec plaisir le style fluide et agréable à lire que j'avais déjà rencontré dans « Là où les tigres sont chez eux » (La Feuille Volante n°329). J'ai, avec ce roman, à nouveau passé un bon moment de lecture, dépaysant et passionnant.

    © Hervé GAUTIER – Février 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com

  • La musique du hasard - Paul AUSTER

    La Feuille Volante n° 1109

    LA MUSIQUE DU HASARD - Paul Auster – Actes sud

    Traduit de l’américain par Christine Le Bœuf.

     

    Après avoir hérité une coquette somme d'un père perdu de vue depuis longtemps, Nash, ex-pompier divorcé, entreprend un long voyage sur le territoire des États-Unis, en voiture, seulement guidé par le hasard. Il est libre puisqu'il vient de confier sa fille Juliette dont il a été longtemps séparé, à sa sœur. Après avoir donné un grand coup de balai dans sa vie, son but est de voyager jusqu'à son dernier dollar. Ce qu'il souhaite surtout c'est emprunter les routes peu fréquentées, comme s'il voulait complètement fuir ce monde et confier au seul hasard son itinéraire et ses rencontres. Il y a la musique de Mozart et de Verdi, les femmes et il croise par hasard Jack Pozzi qui est un champion de poker nomade momentanément ruiné mais qui propose à Nash d'investir le reste de son argent dans une partie de poker contre deux milliardaires farfelus que bien entendu il plumera. Parce que les choses ne tournent pas exactement comme prévu, nos deux compères sont sommés de construire un mur pour leurs créanciers. Ces travaux étant presque réalisés Jack s'enfuit, est retrouvé à moitié mort et Nash, en proie à une sorte de folie, finit par se tuer en voiture. Tel est le synopsis de ce roman.

    Au départ, j'avoue que je m'attendais à autre chose, avec le titre et la quatrième de couverture, je me serais bien laissé entraîner dans un autre univers créatif. Le hasard tient, si on veut le voir ainsi, une place dans le déroulé de cette tranche de vie de Nash mais ici j'ai pourtant vu beaucoup plus de libre-arbitre que de fatalité véritable. Nash jouit de beaucoup de liberté, symbolisé dans la première partie du roman par la route, à moins que cela ne soit qu'une illusion mais dans la deuxième partie c'est plutôt l'absence de cette liberté qui prévaut (addiction au jeu, obligation de construire le mur puis de rembourser la nourriture) sans que le hasard puisse être vraiment invoqué. Il faut cependant prendre en compte que nous sommes dans une fiction où l'auteur tient la plume et le destin de ses personnages [On pourrait ici parler également de le liberté des personnages de roman mais c'est un autre sujet]. C'est vrai aussi que nous avons là tout l’univers d'Auster où le réalisme le dispute à l'imaginaire et que c'est un terrain sur lequel je suis, à titre personnel, tout prêt à le suivre. De plus, j'accorde une grande place au hasard et contrairement à nombre de mes contemporains, je crois beaucoup à l'impact qu'il peut avoir sur chacune de nos vies. Les deux milliardaires enrichis ont chacun une obsession : Pour l'un c'est un château acheté en Irlande qu'il veut faire rebâtir pierre par pierre chez lui en Amérique, pour l'autre c'est une « cité du monde » une maquette qu'il construit et reconstruit en permanence. Deux folies, deux obsessions où le hasard ne me paraît pas avoir une grande place...Face à cela, il y a cette partie de poker que Nash et Pozzi sont sûrs de gagner mais, est-ce le hasard qui pèse sur les événements et en modifie le cours ou simplement la suffisance et l’assurance un peu trop grande de Pozzi et de Nash? Ce qui m'a frappé aussi c'est la solitude des personnages, Nash et Pozzi et leur rencontre, certes hasardeuse, ne fait pas d'eux des complices. Ils restent seuls jusqu'à la fin, c'est à dire face à la mort. Est-elle l'émanation de notre liberté, du hasard ou du destin, cette question reste posée.

    Le contexte de ce roman est très américain. Il y est question d’argent, de poker, de liberté, de grandes réalisations, mais ce roman m'a semblé laisser beaucoup de questions en suspens sur le destin et la liberté individuelle qui sont des sujets philosophiques qui n'ont pas fini de nous interroger. J'ai retrouvé avec plaisir l'art du conteur de Paul Auster ce qui fait de lui, à mes yeux, un romancier majeur. La fin brutale de cette histoire m'a cependant un peu déçu je le trouve un peu convenue, presque prévisible, un véritable suicide d'où le hasard me paraît bien absent.

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • ACCORDEZ-MOI CETTE VALSE

    N°738 – Avril 2014.

    ACCORDEZ-MOI CETTE VALSE- Zelda Fitzgerald- Robert Laffont.

    Traduit de l'américain par Jacqueline Remillet.

     

    Zelda (1900-1948)est l'épouse du romancier américain Scott Fitzgerald. Ce livre est son unique roman écrit en trois semaines en 1932 qui est le pendant ou peut-être une forme de réponse à « Tendre est la nuit »(La Feuille Volante n°721) mais vu par une femme au destin tragique. Il fut boudé par la critique à sa sortie mais Scott lui-même en corrigea les épreuves. Elle avait été une jeune fille séduisante mais excentrique et capricieuse, élevée avec ses sœurs dans une famille rigide mais heureuse du Sud. Elle était l'objet de l'attention des hommes qui la désiraient et dont elle se jouait à l'occasion en multipliant les flirts. En épousant Scott, ils formaient un couple mondain, emblématique de cet âge d'or de l'entre-deux-guerres. Cette union fut cependant orageuse, ponctuée par la lente décrépitude de Scott miné par l’alcool et par la folie de Zelda qui périt dans l'incendie du pavillon où elle était soignée.

     

    Il s'agit là d'un roman autobiographique où elle apparaît sous le nom d'Alabama Beggs qui épousa un jeune artiste peintre promis à un brillant avenir, David Knight, alors lieutenant de réserve. David devient rapidement célèbre et le couple s'étourdit dans des fêtes où l’alcool coule à flots. Ils s'installent à New-York où David pourra davantage s'épanouir mais à cause de la prohibition, ils partent pour la France et ce sera Paris et la côte d'Azur, ses palaces et sa douceur de vivre. La naissance de Bonnie fait d'eux un couple accompli. A cette époque Alabama rencontre un jeune aviateur français, mais ce qui est présenté comme un simple flirt révèle déjà une fêlure dans le couple et Alabama est délaissée. Ils reviennent à Paris puis David, torturé par la jalousie, s'installe en Suisse avec leur fille Bonnie et Alabama s’initie à la danse, part pour Naples et commence à prendre des tranquillisants peut-être pour combattre sa culpabilisation de s'occuper mal de sa fille, peut-être aussi pour exorciser l'échec de sa carrière de ballerine puisqu'un accident y met brutalement fin. Ce roman se termine par la mort du père d'Alabama.

     

    Tout au long de ce roman, Alabama cherche à se mettre en valeur par rapport à David qui lui devient de plus en plus un artiste célèbre. Elle choisit la danse et la travaille d'une manière effrénée pour devenir une grande ballerine mais le hasard s'en mêle et c'est un échec. C'est bien une femme blessée qui nous est présentée ici et qui cherche désespérément à combattre la célébrité de son mari en s'exprimant elle aussi par l'art. Qui fut donc réellement Zelda ? Une femme qui a vécu sa vie comme un rêve ou un être qui a poursuivi des chimères et existé dans l'ombre de son époux jusqu'à en devenir folle.

     

    J'avais lu « Alabama song » de Gilles Leroy (La Feuille Volante n° 337) qui est une entrée en matière, d'autant que l'auteur y présentait Zelda comme une sorte de victime de Scott et qui devait lutter contre lui pour exister. Le style de « Accordez-moi cette valse » est parfois déconcertant, laborieux même et m'a un peu gêné mais la post-face peut peut-être apporter une explication. Il semblerait d'ailleurs que ce texte ait été visé par Scott lui-même et que de cette correction ait donné un roman moins personnel. Ce style peu attirant veut probablement traduire un mal-être qui est celui de l'auteure. J'ai choisi de lire ce roman parce qu'il était complémentaire de celui de Scott Fitzgerald dans l'univers créatif de qui je ne suis pas jamais parvenu à entrer pleinement. Ce livre de Zelda m'a carrément déçu.

     

    ©Hervé GAUTIER – Avril 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • TENDRE EST LA NUIT- F. Scott Fitzgerald

    N°721 – Janvier 2014.

    TENDRE EST LA NUIT- F. Scott Fitzgerald- Belfond.

    Traduit de l'américain par Jacques Tournier.

     

    Ce roman a connu un accouchement difficile. Commencé en 1925 il n'a été terminé qu'en 1934 ; Il paraît d’abord en feuilleton puis en librairie mais la critique se montra assez réservée et le public plutôt indifférent. Il disparut même des rayonnages et à la mort de Fitzgerald en décembre 1940 il n'en existait plus aucun exemplaire. Ce retard dans l'écriture est surtout dû à la santé chancelante de Zelda, son épouse, soignée pour des troubles psychiatriques et aux deuils qui ont frappé le couple. C'est le quatrième roman de l'auteur qui est pourtant considéré comme son chef-d’œuvre.

     

    Nous sommes sur une plage du sud de la France dans les années 20 avec ses palaces, son farniente, sa population étrangère riche et désœuvrée faites de jolies femmes, de don juan, de snobs plus ou moins puritains, de bellâtres à la conversation inintéressante et frivole. Rosemary Hoyt, jeune actrice américaine de cinéma y prend quelques vacances en compagnie de sa mère. Elles ne devaient y passer que quelques jours mais finalement les deux femmes y restent. Rosemary y fait la connaissance de Nicole et Dick Diver, personnages flamboyants originaires d'outre-atlantique, entourés d'amis et la comédienne s'y attache au point qu'elle tombe amoureuse de Dick tout en témoignant beaucoup d'admiration à Nicole. Pourtant Dick est amoureux de sa femme mais n'est pas indifférent aux avances de Rosemary au point que cette dernière, mais sans sa mère, suit le couple à Paris et devient sa maîtresse. L'histoire du couple est assez étonnante. A l'origine, Dick est un séduisant médecin psychiatre qui se marie avec Nicole Warren, une riche héritière dont il tombe éperdument amoureux. En l'épousant, il épouse aussi son argent ce qui lui permet de fonder une clinique psychiatrique en Suisse pour riches patients. Il ne doit pas laisser passer cette opportunité et c'est pour lui une réussite sur le plan sentimental mais aussi sur le plan professionnel. Ils forment ensemble un couple parfait, avec deux merveilleux enfants qu'ils aiment, l'image d'une réussite familiale et professionnelle. Il est maintenant un praticien riche et célèbre. Parce qu'elle a subi de nombreux traumatismes dans son enfance (décès de sa mère, inceste) Nicole se révèle schizophrène et Dick le sait en l'épousant ; il la soignera puisqu’il l'aime. Fitzgerald révèle à son lecteur, à l'aide de la technique de l'analepse, ce parcours un peu cahoteux. Ce médecin représente cependant une formidable occasion pour cette famille riche de guérir Nicole de sa maladie mentale. Cette union, même si elle est gouvernée par l'amour que Dick éprouve pour Nicole n'empêche guère celui-là de désirer Rosemary tout en voulant éviter à son épouse fragile la moindre souffrance. En fait, il tient à la fois à sa situation et à cette actrice. C'est, si l'on veut le voir ainsi, l'illustration de la fragilité de l'amour que les hommes et les femmes se portent mutuellement.

    Il y a peut-être un autre thème, c'est celui de la culpabilisation et de l'intuition ressentie par Dick de ne plus être capable d'apporter le bonheur à une femme (« Parce que je suis une Peste Noire, je ne suis plus capable d'apporter le bonheur à quelqu'un »]. Il se révèle en effet incapable de répondre à l'amour de Rosemary et, à cause de ce blocage, il s'adonne à l'alcool , plaisir plus facile à obtenir, plus délétère aussi puisqu'il le précipite peu à peu sur cette pente descendante qui le met, mais sur un autre plan, au niveau de Nicole. Dick est attirant et le sait., il a sur les femmes un ascendant certain et Nicole « se sert de sa maladie comme d'une arme pour asseoir son pouvoir » sur son mari. Cette fêlure dans ce couple aussi apparemment parfait n’échappe pas à Rosemary devant qui cette belle façade se délite petit à petit.

    C'est un roman très autobiographique, même si l'auteur semble faire le compte-rendu comme un témoin étranger. Il y transparaît son penchant pour l’alcool à travers le personnage de Dick Diver, être sensible et fragile, autant que la schizophrénie de sa femme, la vie facile de cette époque pour les expatriés riches et souvent américains, les fêtes, l'alcool et même les duels. Le couple que forment Nicole et Dick se fissure au cours du récit et cela n'est pas sans rappeler la rupture de celui de Scott et de Zelda. C'est pourtant une génération perdue entre le désir impossible d'oubli de cette guerre mondiale qui a endeuillé les nations civilisées et la recherche un peu vaine d'une vie facile et désœuvrée,

     

    Ce roman est une sorte de chronique américaine de riches expatriés sur la Riviera française, à Paris et en Suisse qui cherchent à échapper à l'éphémère en faisant un usage immodéré du champagne, du caviar, des fêtes folles, des nuits et des grands hôtels. Il illustre un mal de vivre de toute une génération surtout que ce que l'auteur veut nous présenter c'est l'image même de la perfection qui fait de ce couple séduisant une sorte de modèle qu'on ne peut pas ne pas admirer. Pourtant la réalité se révèle bien différente. Rosemary devient rapidement le personnage central de ce récit puis Nicole prend le relais dans la troisième partie. C'est effectivement un roman d'amour ou plus exactement un roman sur l'amour apparent que se portent deux êtres présentés comme exceptionnels, or, les véritables histoires d'amour n'existent pas ou ne résistent pas à l'usure du temps . Elles tiennent aux circonstances les favorisent mais au moindre accroc les masques tombent et ce qu'on croyait indestructible se dissout rapidement sous les coups du boutoir du quotidien, du hasard, du mensonge, de la trahison. L'amour se mue rapidement en indifférence voire en haine, les serments s'oublient très vite et même si les apparences subsistent, ce n'est finalement qu'un décor un peu triste dont on se demande quand et comment il s'effondrera. C'est donc un roman sur la réalité ordinaire du couple même si cette dernière est habillée des apparences un peu trompeuses de l'argent et de la vie facile qu'il permet. On peut faire durer les choses et les artifices mais c'est alors le bonheur qui est absent !

     

    Le roman s'achève au même endroit où il avait commencé cinq ans avant, sur cette plage de la Côte d'Azur française mais les choses ont bien changé[« Le couple qu'elle formait avec Dick lui apparaissait désormais comme une ombre, imprécise, changeante, entraînée dans une sorte de danse macabre »] Dick est devenu alcoolique et se détruit lentement. Nicole, apparemment guérie, vit pleinement une liaison avec son amant qu'elle finit par rejoindre et épouser. Ce roman divisé en trois parties semble se terminer sur la disparition annoncée des membres de ce couple pourtant présenté au début comme séduisant et parfait. Nicole se remariera et regardera de loin Dick s'enfoncer petit à petit dans l’anonymat dans la solitude et dans l’alcool, un peu comme si sa présence aux côtés de ex-mari était indispensable à ce dernier. Dès lors qu'elle n'est plus là, il n'existe plus. C'est sans doute ce qui fait dire à l'auteur, reprenant les mots de John Keats « Avec toi maintenant ! Combien tendre est la nuit... »

     

    J'ai toujours eu un peu de mal a entrer dans l'univers littéraire de Scott Fitzgerald et ce roman ne fait pas exception à cela même si j'ai goûté les descriptions poétiques des paysages et l' analyse psychologique des personnages.

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CHRONIQUE D'HIVER – Paul Auster

    N°661– Juillet 2013.

    CHRONIQUE D'HIVER – Paul Auster – Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Pierre Furlan.

     

    Ce n'est pas la première fois que Paul Auster écrit un roman autobiographique. Il a déjà publié des ouvrages qu'on peut regrouper sous ce vocable [« Invention de la solitude » – « Le diable par la queue » – « Le carnet rouge »], mais, peut-on vraiment parler d’autobiographie puisque, de son propre aveu, quand il écrit, sous sa plume, elle le dispute à la fiction, comme une tentation en quelque sorte.

     

    Ce qui frappe le plus, dès l'abord, c'est l'emploi de la deuxième personne. D'ordinaire soit l'auteur emploie le « Je », soit il se cache sous les traits d'un personnage qu'il met en scène comme un peintre réalise un « trompe-l’œil ». Le tutoiement est sans doute ici une incitation au partage avec le lecteur, comme s'il y avait un autre témoin qui s'adressait à l'écrivain, qui lui racontait sa propre histoire. Mais cet artifice, car c'en est un, est-il vraiment nécessaire voire indispensable pour que le lecteur s'approprie ainsi un texte ? Les souvenirs personnels que l’auteur égrène sont-ils de nature à faire ressortir du néant ceux du lecteur ? Certes, Montaigne rappelait que tout homme porte en lui la marque de la condition humaine et nous la partageons donc tous. Quand Auster paie son écho au sexe, à l'enfance, aux premiers émois amoureux de l'école maternelle, à ses premières tentatives d’adolescent maladroit, quand il nous parle du quotidien, de ses sensations, de ses impressions, qu'il évoque ses propres peurs devant la mort, celle de sa mère qui préfigure la sienne, la vieillesse qui vient, les agressions que son propre corps a subi, cela peut parfaitement réveiller quelque chose en nous ! La mort, justement, elle est présente en filigranes dans tout ce texte mais c'est bien naturel puisqu'elle est le terme normal de la vie, même s'il s'émeut de sa survenue dans toutes les existences qu'ils évoque. C'est sans doute là une vaste question et il est légitime qu'un auteur souhaite entrer en communion avec celui qui le lit, lui montrer que finalement il n'est pas vraiment différent ! J'ai plutôt eu l’impression que cela fonctionnait bien et le texte m'a vraiment, par moment, donné l’impression de se dérouler sur le ton de la confidence. Je ne sais si cela tient à moi mais au fil de ma lecture, j'ai eu le sentiment, bien que ma vie soit fondamentalement différente, que quelqu'un s'adressait à moi, me parlait de quelque chose que je connaissais. Cette complicité avec son lecteur a sans doute ses limites puisqu'il avoue lui-même« qu'il est bénéfique pour la santé mentale d'un écrivain de ne pas savoir ce qu'on dit de lui. ». C'est un rappel à la réalité, une découverte pour moi qui ait largement et depuis longtemps pris la liberté de commenter son œuvre mais je reste persuadé qu'un écrivain est attaché à l'image qu'il donne à ses lecteurs. Parfois aussi, j'ai eu la certitude qu'il en faisait un peu trop notamment quand il nous parle de la prostituée parisienne qui, après son office, citait Baudelaire ! En outre, la liste exhaustive de ses différentes résidences, aux États-Unis où en France ne font que mesurer le temps et son parcours dans ce monde et à mon sens n'ajoutent rien d'autre.

     

    Dans ce récit, il est beaucoup question du corps, du froid, de la faim, et ce qu'Auster décrit peut parfaitement éveiller en nous des réminiscences. Pour un créateur, la vie reste le moteur de l'écriture et il y puise souvent ses meilleurs pages, que celles-ci lui soient inspirées par le bonheur ou la misère la plus noire. Il ne manque pas d'auteurs pour célébrer l'instant exceptionnel et disséquer ce que ce moment unique révèle pour lui. Les sentiments qu'ils expriment leur sont éminemment personnels, n’appartiennent qu'à eux. Parfois aussi, ces moments intimes vont au-delà du souhait de l'auteur. Ce dernier nous raconte une histoire qui peut nous passionner ou nous laisser de glace. Si le lecteur est aussi un artiste ou simplement s'il entre dans le texte au point de le faire sien simplement parce qu'il est évocateur, cette appropriation peut se muer en intérêt particulier pour l'écrit, se transformer en recréation... La plupart du temps cela se fait dans le plus strict secret mais pour un auteur, transformer une vie, l'embellir, la bouleverser, et ce dans le plus strict anonymat, reste sans doute pour lui, s'il est un authentique créateur, un but ultime dont cependant il ne connaîtra jamais le résultat.

     

    La crise économique, la société telle que nous la connaissons, de plus en plus déshumanisée et peut-être éloignée de la culture peuvent considérer le roman ou l'art en général comme inutiles. Il n'en reste pas moins que cela résulte du travail de son auteur. Que cela suscite à ce point l'émotion de quelqu'un qui, l'instant d’avant ne connaissait pas l'existence de l’œuvre, illustre le formidable pouvoir des mots, des idées des images et des sons. Pourtant, à titre personnel, ce que je recherche dans un texte écrit par un étranger ce n'est pas tant de retrouver mes propres souvenirs que de profiter de son style, d'apprécier une belle description, d'entrer dans l'histoire, d'affermir ma propre culture, de prendre une leçon d'écriture, de goûter un dépaysement salutaire, d'approfondir un thème de réflexion...

     

    Ici, Paul Auster raconte sa propre histoire, mais il le fait d'une manière désordonnée, sans le moindre souci de la chronologie. Au début d'une page il peut avoir 5 ans et à la phrase d'après il en a 50. Ce n'est guère dérangeant. A cet égard, le titre « Chronique d'hiver » est révélateur. Le récit s'ouvre sur l'hiver new-yorkais fait de glace, de neige, de vent et de tempêtes. Les éléments qui se déchaînent sont peut-être le moteur de son inspiration. Elle ne prévient pas, se manifeste de la manière la plus inattendue et quand l'impulsion de l'écriture est donnée, la faculté créatrice se déclenche et ne s'achèvera que lorsque les mots l'auront épuisé. Dans ce thème, je vois personnellement la marque du temps qui s'impose à l'auteur. Né en 1947, il a 66 ans, ce n'est pas très vieux mais ce n'est plus vraiment la jeunesse et l'hiver est ici synonyme de la dernière phase de la vie. Écrire est le métier de l'écrivain et le temps pèse sur lui davantage sans doute que sur le commun des mortels puisqu'il a quelque chose à dire et qu'il souhaite le faire rapidement « Parle tout de suite avant qu'il ne soit trop tard » est-il écrit au début, parce que le livre qu'il vient de commencer doit impérativement être terminé et ce qu'il porte en lui être exprimé, de peur d'être, comme chacun d'entre nous happé par la mort qui frappe sans prévenir. La camarde signifie pour l'écrivain plus que pour tout autre le silence.

     

    Finalement, le livre refermé, il me reste personnellement une impression plutôt bonne comme celle déjà éprouvée lors de mes lectures précédentes, pas vraiment enthousiaste cependant, un moment le lecture agréable dû au style de l'auteur ou au talent du traducteur, une sorte de sentiment de complicité que je ne saurais moi-même pas très bien caractériser ni expliquer, quelque chose d'humain, de personnel, de nostalgique.

     

     

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     


     

     

     

     


     


     

     

     

  • LES ROMANCIERES AMERICAINES

    N°662– Juillet 2013.

    LES ROMANCIERES AMERICAINES – Le Magazine Littéraire n° 532 -Juin 2013.

    Je fais partie de ceux, nombreux sans doute, pour qui la littérature américaine est surtout un univers d'hommes. Certes il y avait Harriet Beecher Stone [« La case de l'oncle Tom »51852)] et Margaret Mitchell [«  Autant en emporte le vent »(1937)] mais elles faisaient en quelque sorte figure d'exception. Le dossier du Magazine Littéraire fait une liste non exhaustive de femmes de lettres qui ont enrichi par leur créativité et leur diversité la culture d'Outre-atlantique. Certaines sont nées au XIX° siècle telles Edith Wharton (1862-1937), traduite en français et dont un roman, « Le temps de l'innocence » a été porté à l'écran par Martin Scorsese aussi classique que Gertud Stein (1874-1946) était une adepte du modernisme, célébrant à la fois Matisse et Picasso. Toutes deux ont vécu en France, ont admiré Proust et Henry James mais se sont superbement ignorées. Dorothy Parker (1893-1967) poète, romancière et critique qui se caractérisait par un esprit aiguisé et subtil, rendra compte de la littérature américaine de son temps. Cela lui vaudra aussi d'être victime du maccarthysme. Hitchcock fit de Patricia Hightsmith (1921-1995), et un peu malgré elle, un auteur de roman policier à succès (« L'inconnu du Nord-Express »). C'est le cinéma qui a aussi apporté la célébrité à Annie Proulx (née en 1935) avec « Le secret de Brokeback mountain », une nouvelle portée à l'écran en 2005, mais c'est William Faulkner qui adouba Willa Carther (1873-1947) malheureusement mal connue en France. Nombre de ses romans ont pour cadre les grandes plaines des États-Unis.

    Moins paisible est sans doute, sinon l’œuvre, à tout le moins la vie de la sulfureuse Anaïs Nin (1903-1977) dont le « Journal », commencé à l'âge de 11 ans explore certes le « moi », mais surtout l'érotisme, hésitant parfois entre diariste et fiction, rend compte de sa vie privée très riche en rencontres et en liaisons amoureuses.

    Avec Eudora Welty (1909-2001), c'est le sud qui est mis en scène. Célèbre pour ses romans (Prix Pulitzer 1975 pour « La Fille de l'optimiste »), mais aussi pour ses nouvelles, elle s'interroge sur la vie, sur la mort, sur le racisme et toutes les formes de violences qu’elle associe au Mississipi notamment pendant la période de la « Grande Dépression ». Avec Kay Gibbons ( née en 1960) c'est toujours le sud dont elle est un peu la mémoire qui revient sous sa plume. Ces deux auteurs écrivent un peu dans l'ombre de William Faulkner. Carson McCullers (1917-1957) incarne aussi ce sud avec son racisme, sa géographie, son climat mouvementé mais aussi la solitude de cette société très compartimentée et, la lutte qu'elle mena contre la maladie qui l'emporta. Ses romans sont volontiers provocateurs. Chez Flanery O'Connors(1925-1964) qui elle aussi était minée par la maladie, c'est la Géorgie qui est mise en scène dans une œuvre réduite mais lucide avec un style lapidaire, caustique et une violence contenue. Elle est considérée comme une voix importante de la littérature américaine.

    Avec Alison Lurie (née en 1926), à la fois prix Pulitzer 1984 et Prix Fémina étranger 1988, écrivain et universitaire, c'est le nord qui est évoqué dans ses romans, avec des personnages petits, ambitieux mais timorés. Elle se moque volontiers des enseignants et des écrivains dont elle fait partie. Le tableau serait incomplet s'il ne comportait aussi la figure de Toni Morrison (née en 1931), afro-américaine qui, à son tour traque les fantômes de l’esclavage. Insoumise et volontiers provocatrice elles est reconnue comme un écrivain national bien qu'elle se sente exclue de cette société majoritairement blanche et gouvernée par des hommes. Son style est cinglant, décrit la misère des noirs du début du XX° siècle et le ségrégationnisme américain tout en explorant les registres du merveilleux, du fantastique et de l’irrationnel. Son œuvre a été couronnée par le prix Pulitzer en 1988 et le Prix Nobel en 1993. Louise Erdrich (née en 1954) quant a elle est d'origine indienne et est souvent comparée à Toni Morrison. Elle parle de la spoliation des indiens, de leur perte d'identité et de leur culture, de l’alcool. Elle est d'une profonde tendresse et son style est alternativement dramatique et humoristique. Joan Didion (née en 1934) est davantage journaliste que romancière et ses œuvres n'ont reçu Outre-Atlantique qu'une consécration tardive. A 78 Ans elle fait pourtant autorité, incarnant véritablement l'écrivain californien. Elle se concentre sur l'observation d'elle-même, de l'Amérique et de ses habitants. A titre personnel son introspection porte aussi sur les deuils qu'elle a subi à la suite de la mort de son mari et de celle de sa fille. Elle parle de la solitude, de la maladie, de la mort à venir, raconte sa vie, ses périodes dépressives qui ont fait suite à des phases plus fastes. Face à ses épreuves, l'écriture est pour elle une sorte de baume contre l'adversité. C'est à peu près la même démarche à laquelle se livre Joyce Carol Oates (née en 1938). Brillante universitaire et écrivain à succès, elle aussi parle d'elle, de sa vie, des faites divers mais il lui semble difficile de connaître ceux qui l'entourent et qui sont pour elle une énigme angoissante. Elle parle de l'enfance malheureuse, de la séduction exercée par les adultes, de l'échec conjugal mais aussi peint l'Amérique de l'ouest sans ménagement et sans rien cacher de la violence, de l'alcool, de la drogue, de la sexualité, des trafics... Pour elle aussi, l'écriture est un bouclier. Enfin Susan Minot (née en 1956) est surtout scénariste et n' a écrit que 4 romans. Elle obtenu le Prix Fémina étranger en 1987 mais n'a rien publié depuis 2003. Elle a choisi d'évoquer des scènes familiales dans la Nouvelle-Angleterre fortement teintées d'autobiographie entre révoltes soumissions, affrontements, jalousies et joies simples. Les personnages, surtout celui du père et de la mère sont caractéristiques mais le portrait qu'elle fait de la famille symbolise toutes les familles du monde.

    Il s’agit d'un catalogue certes incomplet, d'un tableau rapidement brossé tant les femmes de lettres sont nombreuses Outre-atlantique. Leurs romans ont été couronnés notamment par le prestigieux prix Pulitzer mais pas seulement et le rayonnement de leurs œuvres a largement dépassé les frontières du pays. Ce numéro du Magazine Littéraire fait sur cette question un point intéressant et suscite l'intérêt du lecteur.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • Quelques mots sur Tenessee Williams[1911-1983]

    N°638– Avril 2013.

    Quelques mots sur Tenessee Williams[1911-1983]

     

    Mort oublié dans une chambre d'hôtel new yorkais , Tennessee Williams est un écrivain américain, auteur de nombreuses pièces de théâtre dont la plupart ont été portées à l'écran. Il a également écrit des romans, des poèmes et des nouvelles mais il est plus spécialement connu en tant que dramaturge. Connu, ce n'est pas si sûr puisque si les films qui ont été réalisés à partir de son œuvre, qui ont fait le tour du monde et dont les titres restent dans la mémoire collective ["Une chatte sur un toit brûlant", "Soudain, l'été dernier", "Un tramway nommé désir", "La nuit de l’iguane"], son nom est bien souvent passé sous silence au profit de metteurs en scène célèbres [ Richard Brooks, Joseph Mankiewicz, Elia Kazan] et surtout d'acteurs [Élisabeth Taylor, Katherine Hepburn, Vivian Leigh, Paul Newman, Marlon Brando, Burt Lancaster ]. Il doit sa notoriété au cinéma mais, paradoxalement peut-être, il déclarait volontiers qu'il n'aimait guère les adaptations cinématographiques de ses œuvres.

     

    En France, il a été évoqué dans la très belle chanson [paroles et musique] de Michel Berger interprétée par la voix cassée et pour une fois mélancolique de Johnny Hallyday. Pourtant, si on ne prête pas attention aux paroles pourtant explicites, beaucoup de nos contemporains ont tendance à n'y voir qu'une allusion... à un état des États-Unis !

     

    Thomas Lainer Williams [son surnom de Tennessee ne viendra que plus tard en hommage à son sud natal] est né dans l’État du Mississippi. Il passe son enfance avec sa mère et sa sœur Rose chez ses grands parents maternels. Son père, alcoolique et joueur et qu'il déteste, est le plus souvent absent . Thomas tombe gravement malade à l'âge de 5 ans et commence à écrire sous les encouragements de sa sœur. En 1928, il est alors adolescent, il effectue avec son grand-père maternel qu'il adore un voyage en Europe. Pendant ce périple il prend conscience de son homosexualité [Déjà son père l’appelait "Miss Nancy" parce que, rescapé d'une diphtérie, il était chouchouté par sa mère] mais aussi de sa vocation d'écrivain. En 1937, après que la schizophrénie de Rose ait été diagnostiquée et qu'elle eut subi une lobotomie qui l'a laissée très diminuée, il rompt avec sa famille, part pour New-York où il exerce divers petits métiers qui lui laissent du temps pour écrire. En 1943, à l'entrée en guerre des États-Unis, il est réformé pour homosexualité, alcoolisme et troubles nerveux et cardiaques. Il tente alors sa chance à Hollywood comme adaptateur de romans chez MGM à laquelle il propose une de ses œuvres où il met en scène sa mère et sa sœur. C'est un échec. Il réécrit ce texte qui devint une pièce autobiographique, "La ménagerie de verre" qui, montée à New-York, aura un succès inattendu et consacrera sa notoriété. Il a alors 34 ans. Puis suivront une vingtaine de pièces, toutes montée à Broadway. Ce sera, en 1948 "Un tramway nommé désir" que met en scène Elia Kazan et qui consacrera un nouvel acteur, Marlon Brando. Cette œuvre sera adaptée en France par Jean Cocteau. Avec ce film en 1948 puis avec "Une chatte sur un toit brûlant" en 1955 il remporte par deux fois le Prix Pulitzer.

     

    Son œuvre met en scène des personnages marginaux, écorchés-vifs, frustrés, fragiles, solitaires et en butte contre la société comme il l'était lui-même. Ses personnages sont souvent coincés entre la réalité et leurs illusions["Cette force qui nous pousse vers l'infini y a un peu d'amour avec tellement d'envie, si peu d'amour avec tellement de bruit"] leurs fantasmes sexuels["Un tramway nommé désir"], leur mémoire ["La ménagerie de verre"] "l'inconscience de leurs désirs.["Cette volonté de prolonger la nuit, ce désir fou de vivre une autre vie, ce rêve en nous avec ses mots à lui"].

     

    Ses pièces de théâtre font toutes référence à sa biographie et il y parle bien entendu de l'homosexualité, mais à mots couverts ("Une chatte sur un toit brûlant"). Tennessee Williams était homosexuel, pourtant, les personnages de ses pièces ne le sont pas ouvertement, ou ils sont morts avant le lever de rideau. Il est vrai qu'il ne fallait pas choquer la très puritaine Amérique des années 50. Il semblerait même qu'il n'aurait pas été favorable à un militantisme homosexuel. Pourtant, il n'affichera sa préférence sexuelle qu'à la fin de sa vie, menant une relation longue avec Franck Merlo. Sa mort en 1963 le laissera définitivement meurtri, s'adonnant sans frein à l'alcool et à la drogue. Pourtant, il est un fait que toute la vie de Williams a été vouée à tous le excès. Michel Berger évoque très bien cela " Le corps en fièvre et le corps démoli, avec cette formidable envie de vie". Il lui survivra cependant mais il s'éteindra à New-York en 1983 dans un relatif anonymat. .["Comme une étoile qui s'éteint dans la nuit, à l'heure où d'autre s'aiment à la folie, sans aucun éclat et sans un bruit, sans un seul amour et sans un seul ami, ainsi disparut Tennessee"].

     

    Il a, comme chacun d'entre nous, fait son parcours original et douloureux sur terre. Son œuvre en a gardé la mémoire, témoigne de ses espoirs, de ses fantasmes, de ses peurs, de ses échecs ["Cette volonté de prolonger la nuit, ce désir fou de vivre une autre vie, ce rêve en nous avec ses mots à lui." "A certaines heures de la nuit, quand le cœur de la ville s'est endormi, il flotte un sentiment comme une envie"]. Il reste, aux États-Unis en tout cas, un auteur majeur.

     

    On ne peut, évidemment, limiter l'évocation d'un écrivain aussi considérable que Tennessee Williams aux paroles d'une chansons si belle soit-elle, mais j'ai voulu, dans ce court article lui rendre ce modeste hommage, en prélude peut-être au trentième anniversaire de sa mort, cette année.

     

    Montaigne l'a dit autrement mais cette chanson garde son empreinte, celle de la condition humaine qui nous est commune " On a tous en nous quelque chose de Tennessee".

     

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Sur la route - Jack Kerouac

     

    N°579– Mai 2012.

    SUR LA ROUTE Jack KEROUAC (1957) - Gallimard

    Traduit de l'américain par Jacques Houbard.

     

    Il est des artistes comme des produits de grande consommation, leur nom suffit à évoquer leur pays. Jack Kérouac (1922-1969) est de ces écrivains emblématiques des États-Unis qui ont caractérisé un style, un mode de vie, qui ont inspiré toute une génération à la quelle il sont imprimé leur marque, parfois malgré eux. Ce roman fut le texte fondateur de la « Beat génération » et dans ce domaine le nom de Kérouac est associé à celui de Allen Ginsberg.

     

    C'est un roman écrit à la première personne ce qui laisse à penser qu'il est autobiographique. Il met en effet en scène un écrivain, Sal Paradise, en quête de nouvelles expériences :« Quelque part sur le chemin je savais qu'il y aurait des filles, des visions, tout quoi ; quelque part sur le chemin on me tendrait la perle rare » Ainsi donc, en juillet 1947, il part de New York à destination de la côté Ouest par Chicago, c'est à dire par la route du nord. Il accomplit son périple en car puis en auto-stop, fait des rencontres extraordinaires, des hommes mais surtout des femmes, fait des petits boulots dans les champs de coton ou dans les vignes pour survivre, atteint San Francisco puis revient à New-York par le sud. Il effectuera ainsi plusieurs voyages en 1949 et 1950, notamment dans le sud et au Mexique mais toujours devant lui il y aura la route et ses promesses d'aventures,(« Mais qu'importait, la route, c'est la vie ») des occasions de visiter des « paradis artificiels ».

     

    Il raconte son récit comme une épopée, sans recherche de style, d'une manière spontanée et rapide (« La prose spontanée »), inspirée semble-t-il du rythme de jazz Be Bop qu'il aimait. On pourra objecter que certains passages sont longs et monotones, mais ils traduisent ainsi ce que peut-être un tel voyage en voiture. Le personnage central de ce roman est Dean Moriarty, à la fois héros romantique, « pauvre gosse », « saint truqeur » et « ange de feu », animé par une rage de vivre, l'amour de la vitesse et du jazz. C'est un texte brut, écrit, selon une légende remise en cause, en trois semaines sur un rouleau de téléscripteur de 36 mètres de long mais refusé par les éditeurs à cause de son côté non conventionnel. Ce tapuscrit fut cependant vendu aux enchères en 2001 pour un prix exceptionnel et, une décennie après sa rédaction, ce roman a été reconnu comme un chef-d’œuvre, adapté au cinéma, notamment par Walter Salles en 2012 (film actuellement en compétition au festival de Cannes 2012) et à la radio (Radio France en 2005). Il influencera aussi le genre cinématographique connu sous le nom de « road movie ».

     

    Kerouac, bien qu'il soit issu d'une famille canadienne-française aux origines bretonnes, incarne l'Américain confronté aux changements de son époque et amoureux des grands espaces qui sont l'apanage des États-Unis, mais aussi, et peut-être paradoxalement, c'était un homme qui avait du mal à se positionner dans cette société, en rejetait les valeurs traditionnelles, les certitudes mais aussi le mensonge social qui l'étouffaient, ces écrits donnant naissance à la « Beat génération ». Est « Beat » celui qui rejette le passé et même le futur, celui qui voit sa vie au quotidien comme un mélange d'alcool, de sexe, de drogue, vitesse en voiture, de voyages, et, dans le cas de Kérouac, également de spiritualité, l'exact contraire de la société américaine de son époque ! On ne peut pas ne pas penser à James Dean en lisant ce livre où il y a la marque de Louis -Ferdinand Céline et de Rimbaud. Il fut un précurseur et ses romans qui inspirèrent d'autres auteurs américains furent à l'origine du bouleversement social de la jeunesse et du pacifisme des années 60, déclarant qu'il fallait préférer l'amour à la guerre. Il fut pourtant, à cause notamment de sa vie marginale mais aussi de son style littéraire personnel, en proie à de violentes critiques dans les médias et de la part des auteurs reconnus.

     

    C'est le roman le plus connu de Kerouac, mais ce n'est pas le seul. Il ne cessera d'ailleurs d'écrire, de la prose comme de la poésie toute sa vie malgré les vicissitudes qu'elle lui réservera et trouvera dans la création littéraire notamment un moyen d'exorciser son mal de vivre.

     

    Il fut un personnage controversé, refusant la célébrité, inspirant des auteurs notamment dans le domaine de la chanson et du cinéma, trouvant sa consolation dans l'alcool qui aura raison de sa vie, aux opinions parfois changeantes qui l'éloignèrent quelque peu de son image primitive. Il fut un auteur qui ne laissa pas indifférent de son vivant et qui étend encore son ombre sur notre société contemporaine.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • cité de verre - Paul AUSTER

     

    N°506 – Février 2011.

    CITE DE VERRE – Paul AUSTER – Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Pierre Furlan.

     

    C'est le 1° roman de la trilogie new-yorkaise de Paul Auster (la Feuille Volante n° 497 et 500). Bizarrement, j'ai l'impression qu'il faudrait en commencer la lecture par la fin. En effet, c'est un étrange récit raconté par un narrateur qui écrit : « Je suis rentré en février de mon voyage en Afrique... J'ai téléphoné à mon ami Paul Auster...(il) m'a expliqué le peu de choses qu'il savait de Quinn puis il a continué à me décrire l'étrange affaire dans laquelle il il avait été fortuitement impliqué ».

     

    Un lecteur attend d'un roman qu'il lui raconte une histoire, mais comme souvent chez Auster, cela ne se passe pas exactement comme cela. Ici l'histoire existe, certes, mais elle est non seulement compliquée, fait intervenir des personnages inattendus, parfois furtifs, parfois quasi-réels que l'auteur abandonne, explore des thèmes de réflexion intéressants, brouille parfois le jeu... Ici le narrateur prend la parole en premier, évoque Daniel Quinn, écrivain new-yorkais de romans policiers. Il a 35 ans, a perdu son épouse et son fils et vit seul, modestement et sans grandes ambitions. Il signe ses romans policiers du nom de William Wilson [C'est le nom d'une nouvelle d'Edgar Poe écrite sur le thème du double]. Ce n'est pas là une simple fantaisie d'auteur puisque puisqu'il nous est dit que « Même s'il n'était qu'une invention, s'il était né de Quinn, il menait désormais une vie indépendante ». Quinn met également en scène dans ses romans un personnage fictif du nom de Max Work, détective privé, mais qui, avec le temps prend de la consistance au point que Quinn voit le monde à travers lui [il est intéressant de s'attarder sur le jeu de mots qui nous est offert entre « I » et « eye »]. Il peut donc s'agir d'un prétexte qui joue sur le dédoublement d'un même personnage.

     

    En pleine nuit, Quinn reçoit un coup de téléphone et l'interlocuteur demande à parler au détective privé du nom de... Paul Auster ! Il ne peut donc s'agir que d'une erreur. Pourtant la voix se fait convaincante, parle de danger de mort et Quinn accepte de rencontrer une femme énigmatique, Virginia Stillman, mariée à Peter, jeune homme mystérieux qui prétend que son père qui l'a torturé pendant toute son enfance veut l'assassiner. Peter se révèle étrange, tient des propos désordonnés sur la vie, sur son épouse, sur Dieu et émet des doutes sur son propre nom. Quinn accepte un chèque à l'ordre d'Auster pour protéger Peter, découvre le père Stillman (qui s'avère, dans un premier temps être deux personnages), mène son enquête en notant ses remarques sur un cahier rouge. Il suit donc Stillman à travers New-York, reconstitue ses itinéraires aléatoires, en donne des interprétations qui se révèlent être erronées, étudie ses habitudes... Cet homme souhaite inventer un nouveau langage [« Un langage qui dira enfin ce que nous avons à dire. Car les mots que nous employons ne correspondent plus au monde »].

    Quinn fait des rapports téléphoniques réguliers à Virginia Stillman et, à l'instar de son héros Max Work, se met à désirer ardemment cette femme. Quinn finit, sous son vrai nom par rencontrer le père Stillman. Chacune de leurs rencontres est quelque peu surréaliste, soit il est question de la quête d'objets hétéroclites, soit Quinn se fait passer pour le fils de Stillman que celui-ci ne reconnaît pas, soit Quin qui se présente comme étant Henry Dark. Il se trouve que ce nom, choisi par hasard par Quinn correspond au personnage d'un roman que Stillman a écrit autrefois. [ Et les initiales H.D. lui évoquent Humpty Dumpty, personnage en forme d'œuf du roman de Lewis Caroll « De l'autre côté du miroir » !]

    Puis Stillman disparaît (nous saurons plus tard qu'il s'est suicidé en se jetant du pont de Brooklyn), Quin rencontre le vrai Paul Auster qui lui avoue être écrivain et non détective,et lui donne le chèque libellé à son nom. Ensemble ils parlent littérature et évoquent Don Quichotte et Cervantes, dissertant à la fois de la folie du chevalier, du bon sens de Sancho Penza et surtout de la façon dont a été écrit le fameux roman puisque Cervantes prétend en avoir trouvé le manuscrit dû à l'auteur arabe Cid Hamet Ben Engeli au marché de Tolède. C'est une manière comme une autre de parler de ce roman dans le roman, de cette mise en abyme tant prisée par Auster, de cet ouvrage où le lecteur se perd et où les noms se mélangent sans qu'on ne sache plus très bien qui est qui.

    Puis Auster abandonne sans crier gare l'intrigue initiale autour de Stillman. En effet Quinn constate que le téléphone ne répond plus, que le chèque qu'il avait reçu au non d'Auster est sans provisions... Il décide donc de changer de vie, devient marginal, reprend la rédaction du fameux « cahier rouge » qu'il avait un peu abandonné, revient à son ancien appartement maintenant habité par une femme, puis investit celui de Peter Stillman dont il n'a aucune nouvelle et qui a définitivement disparu. Dans l'état où il se trouve, il constate que William Wilson et Max Work sont morts et que lui-même disparaît petit à petit du décor que les ténèbres envahissent. Le cahier rouge n'a d'ailleurs plus de pages. C'est un peu comme si cette histoire s'était révélée transitoire «  Cette affaire avait servi de pont vers un autre lieu de sa vie, et maintenant qu'il l'avait franchi, Quinn en avait perdu le sens. Il ne s'intéressait d'ailleurs plus à lui-même. Il parlait des étoiles, de la terre, de ses espérances pour l'humanité. »

    Quant au cahier rouge, la dernière phrase qui y est inscrite est « Que sa passera-t-il quand il n'y aura plus de pages dans le cahier rouge ? » Un familier de l'œuvre d'Auster notera opportunément que dans un autre roman («  La nuit de l'oracle »), l'auteur accorde aussi une grande importance à un cahier bleu !) ]. De plus, le narrateur, qui prétend s'être brouillé avec Auster à cette occasion, termine par ces mots «  Pour ce qui est de Quinn, il m'est impossible de dire où il se trouve actuellement. ». Une manière comme une autre de laisser son lecteur libre d'imaginer une fin qui lui convienne.

     

    Dans ce roman, il faut noter une nouvelle fois l'art de la narration labyrinthique qui est allié à une imagination débordante? Cela étourdit le lecteur et c'est sans doute l'effet recherché. C'est en effet une sorte de vertige qui ne peut pas ne pas le prendre à la lecture d'un tel roman. Je ne suis pas sûr cependant d'avoir bien tout compris, mais j'ai poursuivi ma lecture jusqu'à la fin, et avec plaisir !

    Est-ce une remise en cause du langage et du sens des mots ? Est-ce que Auster s'interroge sur les concepts d'identité ? Veut-il, à l'occasion d'un roman à la fois s'attacher son lecteur et ne pas lui imposer complètement un texte en le laissant libre d'imaginer ce qu'il veut ? Explore-t-il ici une forme de folie qui peut s'emparer des hommes des grandes villes tentaculaires (New-York ?) ou des écrivains qui créent autour d'eux un univers de fiction et des personnages qui peuvent finir par leur échapper ? A chacun de répondre !

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • La nuit de l'oracle - Paul AUSTER

     

    N°504 – Février 2011.

    LA NUIT DE L'ORACLE – Paul Auster – Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Christine Le Boeuf.

     

    Le jeune écrivain new-yorkais d'origine polonaise, Sidney Orr revient chez lui après une longue hospitalisation. Il est marié à une femme, Grace, qui l'aime et il est heureux avec elle. Cette période a été cependant difficile pour lui puisqu'il semble avoir perdu tous ses repères « Quand arriva le jour de ma sortie de l'hôpital, c'est à peine si je savais encore marcher, à peine si je me rappelais qui j'étais censé être. ». Il est à nouveau désireux d'écrire et commence à rédiger une histoire dont le personnage principal, Nick Bowen, est à la fois romancier et résident à New-York [comme Auster lui-même]. Sydney Orr commence donc l'histoire de Nick tout en la rapprochant de la sienne propre, esquissant les ressorts complexes qui existent dans la création romanesque. Dans l'histoire du narrateur, Nick qui est aussi éditeur, reçoit le manuscrit d'un roman inédit attribué à Sylvia Maxwell par l'intermédiaire de sa petit-fille, Rosa Leigthman et qui s'intitule « la nuit de l'oracle ». Ce roman met en scène Lemiel Flag, un héros aveugle qui a de pouvoir de deviner l'avenir. Nick manque d'être tué par la chute d'un objet, quitte sa femme sans raison et part au hasard pour Kansas City.

     

    Résumer un roman a toujours quelque chose de frustrant. Dans le cas de Auster, l'intrigue n'est jamais simple et il balade son lecteur dans les arcanes d'un récit plein de rebondissements. Il se trouve que l'auteur introduit également dans son texte un autre personnage, John Trause, écrivain lui-même qui conseille à Orr de s'approprier le personnage [Flitcraft] d'un autre roman [« le faucon maltais »] dont il n'est pas l'auteur et de le mettre en situation dans sa création personnelle. De fait, les deux histoires se rejoignent sous la plume d'Orr. Cette mise en abyme est peut-être un peu difficile à suivre mais elle met en évidence le hasard et le poids qu'il a sur la vie des hommes. Cela a toujours été pour moi un thème de réflexion intéressant et pas seulement du point de vue littéraire. Pour autant, le narrateur révélera à la fin de ce roman les liens qui l'unissent à Trause. Orr reste le maître de ce récit jusqu'à la fin, nous décrivant sa vie parfois mouvementée avec Grace.

     

    On peut aussi s'interroger sur le processus créatif au terme duquel un personnage de roman, nécessairement fictif, prend vie sous la plume d'un créateur, ce qu'il doit à la culture de ce dernier à ses fantasmes. D'où vient ce Ed Victory, chauffeur de taxi que rencontre Nick, mais aussi collectionneur d'annuaires téléphoniques de Varsovie dans les années 30 ? Dans ces bottins Nick retrouvera trace du patronymes de la famille de Orr. Ed est un personnage secondaire mais qui va prendre de l'importance dans la vie de Nick au point qu'il pourrait parfaitement devenir le héros... d'un autre roman !

     

    A l'occasion de cette histoire labyrinthique et pleine de mises en abyme ainsi que Auster les affectionne, l'auteur engage une réflexion sur l'écriture et sur la création artistique en général et les rapports qu'un écrivain peut entretenir avec la réalité. A quel point cette dernière peut-elle influencer l'œuvre qui est du domaine de l'irréel, de la fiction ? [« Perdu dans les affres du chagrin il se persuada que les mots qu'il avait écrits au sujet d'une noyade imaginaire avaient provoqué une noyade réelle, que sa fiction tragique avait donné lieu à une tragédie réelle dans le monde réel. »]. Après tout, ce n'est pas un hasard si on parle aujourd'hui de l'auto-fiction comme un moteur de la création littéraire. Il note jusqu'à l'obsession l'existence de ce petit carnet bleu de fabrication portugaise que vend son ami Chang et qui recueille ses mots. Mieux, il les suscite ! Pourtant il finit par le détruire. Grâce à cela, il invente l'histoire de John Trause qui est lui-même écrivain et de son éditeur, Nick Bowers à qui il prête des pérégrinations pour le moins fantastiques, mélange judicieusement le roman de Sylvia Maxwell et que sa petite-fille Rosa Leigthmann souhaite voir publier par Bowers, met en situation des différents personnages de ces fictions, leur prête des aventures extraordinaires qui ont pour seules limites l'imagination de l'auteur qui est aussi le narrateur...

     

    Je suis un peu surpris par le nombre et surtout par la longueur des notes de bas de page. Elles participent largement aux digressions chères à Auster et entretiennent cette impression d'égarement que ne manque pas de ressentir le lecteur. On se perd d'autant plus facilement dans l'histoire principale que le narrateur y introduit des évocations secondaires. Dans celles-ci, il inclut toute une arborescence de personnages qu'il crée et qu'il abandonne, toute une série de situations qui complètent et éclairent l'intrigue mais qui pourraient tout aussi bien être le départ d'une nouvelle fiction. Cela rompt sans doute le processus narratif mais nourrit l'imaginaire du récit.

    Cela met en évidence une caractéristique du style de Auster qui est le culte du détail dans la narration. On pourrait le rapprocher du « pointillisme » en peinture... D'autre part, le lecteur ne sera pas sans remarquer de Trause est l'anagramme de Auster, ce qui accentue les ressemblances entre eux. Ces deux écrivains ont traversé une période de sécheresse analogue [symbolisée sans doute par une période d'hospitalisation] et le narrateur, dans une sorte de dialogue improvisé et improbable entre lui et Trause, s'interroge sur la couleur bleue de ce carnet qu'ils ont en commun [« Le carnet était fermé et posé sur un petit dictionnaire et, sitôt penché pour l'examiner je constatais que c'était le double exact de celui qui se trouvait chez moi, sur ma table »] autant que sur leur rôle dans la société [« Ça ne veut rien dire Syd, sinon que tu as le cerveau un peu fêlé. Je suis tout aussi fêlé que toi. Nous écrivons des livres, non? Que peut-on attendre de gens comme nous ? »]. Il tente d'analyser le processus créatif que l'imagination mais aussi la réalité et le hasard alimentent, mais aussi ce simple assemblage de feuilles vierges et reliées sous la forme de ce fameux « carnet bleu » qui est une invitation forte à l'écriture. Le narrateur prend en compte que l'inspiration peut parfaitement manquer tout d'un coup au plus prolixe des écrivains !

     

    Paul Auster s'interroge sur la démarche des écrivains en général par rapport à leurs personnages. Qu'ont en commun ces créations fictives et donc inventées et le vécu de celui qui les invente. Peuvent-il s'échapper du moule que l'auteur leur a assigné ? Sont-ils libres de leurs mouvements (et de leur destin ?) à l'intérieur d'une histoire inventée par un auteur. Je goûte à titre personnel cette sorte d'introspection et le questionnement d'un auteur sur lui-même autant que sur ces personnages me paraît être une démarche intéressante et révélatrice à la fois pour le lecteur et pour l'auteur lui-même. Comme on le voit chez Auster, l'histoire peut assez facilement passer au second plan au profit de ses interrogations personnelles.

     

    J'ai bien conscience de m'être un peu perdu dans le dédale la lecture de ce roman comme sans doute le seront tous les lecteurs. Je n'ai peut-être pas tout compris tant la démarche créatrice d'Auster est labyrinthique, mais j'ai pris du plaisir à entrer dans cet univers narratif auquel la traduction doit probablement beaucoup. Il m'a tenu en haleine jusqu'à la fin et c'est sans doute ce qu'un lecteur peut demander à un roman.

     

    ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

  • Tombouctou - Paul AUSTER

     

    N°503 – Février 2011.

    TOMBOUCTOU – Paul Auster – Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Christine Le Boeuf.

     

    Le titre d'abord. Il évoque une ville mythique, à la fois mystérieuse et lointaine dont l'origine serait, selon la légende, rattachée à un puits et à une femme. Elle reste dans notre inconscient ou peut-être dans notre histoire une cité qui a été explorée par René Caillié en 1828.

    Mais, avec Paul Auster, on est jamais au bout de ses surprises et la lecture d'un de ses romans est toujours un moment d'exception, plein de curiosités pour le lecteur attentif. C'est que ce récit commence par l'évocation de Willy, un personnage un peu bizarre, à la fois vagabond et rimailleur qui se prend pour l'assistant du Père Noël. Il erre dans la ville de Baltimore en compagnie de son chien, Mr Bones, un authentique bâtard. Pourtant cet animal n'est pas le commun des canins, il est plein de sensibilité et son maître ne le tient pas pour un inférieur mais au contraire pour un véritable ami. L'animal est même animé d'aspirations métaphysiques ! Willy va mourir, il le sait, mais avant de faire le grand saut, il tient à assurer à son compagnon un nouveau gîte en lui conseillant d'éviter la police, la fourrière... et les restaurants chinois ! Le mieux serait qu'il le confie à Bea Swanson, son ancienne professeur d'anglais. Il veut aussi assurer un avenir à ses écrits consignés sur soixante quatorze cahiers. Ce sont des poèmes mais aussi les premiers balbutiements d'une longue épopée « Jours vagabonds » où il évoque ce qu'a été sa vie personnelle. Las, il meurt misérablement avant d'avoir mené à bien ce dernier projet. Ainsi, happé par la mort, il doit bien se résoudre à faire une croix sur ses légitimes et littéraires ambitions !

    Mr Bones se retrouve donc seul, orphelin, et recherche vainement l'ancien professeur de Willy. Il va donc errer et rechercher un maître. Après un long voyage « à pattes » qui peut, si on veut le voir ainsi, ressembler à une démarche labyrinthique (et que Paul Auster affectionne) analogue à celle de son maître, il trouve enfin une famille qui l'adopte, s'occupe de lui et l'aimera... Poursuivant ses préoccupations philosophico-religieuses, l'animal, qui rêve parfois à son maître et entreprend avec lui des dialogues d'outre-tombe, s'imagine que cet homme réside maintenant dans un lieu de félicité paradisiaque qu'il a du mal à situer sur la carte du monde et qu'il nomme Tombouctou ! Willy lui parle, lui donne des conseils sur la façon de survivre...

     

    C'est que cette fable romanesque, pleine de sensibilité où les hommes portent des noms d'animaux et vice versa, donne la parole à ce brave chien qui va faire part de ses remarques sur sa vie devenue aussi vagabonde que celle de feu son maître. Perdu dans ce monde, il se révèle un peu naïf, parfois malchanceux mais se montre plus humain que bien des hommes. Il mènera à son terme sa quête personnelle pour, le pense-t-il, retrouver Willy dans cet ailleurs

     

    Ce roman a la caractéristique, rare à mes yeux, de capter l'intérêt du lecteur dès la première ligne, de le prendre par la main en quelques sorte et de ne l'abandonner qu'à la fin sans que l'ennui se soit insinué dans sa lecture. Paul Auster s'y révèle encore une fois un narrateur exceptionnel. Son style fait d'humour, de tendresse et de réflexions parfois grinçantes sur la vie a quelque chose d'attachant, de magique même !

     

    J'ai vraiment bien aimé et je continue d'explorer l'univers tissé par cet auteur qui ne cesse de m'étonner.

     

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • La chambre dérobée - Paul AUSTER

     

    N°500 – Février 2011.

    LA CHAMBRE DÉROBÉE - Paul AUSTER– Actes sud.

    Traduit de l'américain par Pierre Furlan.

     

    Ce roman s 'ouvre sur l'écrivain américain Fanshawe, où plus exactement sur son fantôme. Cet homme semble avoir disparu et probablement est mort puisque sa femme Sophie contacte le narrateur, qui est aussi critique littéraire, mais également l'ami d'enfance de son défunt mari, pour qu'il juge si son œuvre demeurée inédite, est digne d'être publiée. En cela elle exécute une de ses dernières volontés explicitement exprimées. Non seulement les poèmes, romans et pièces de théâtre de Fanshawe sont éditées et sont un succès, mais le narrateur, sur la demande expresse de son ami, épouse sa femme et adopte son fils. Il lui propose en quelque sorte une vie par procuration ou, si l'on veut, une certaine forme d'imposture. Par la suite, non seulement le narrateur apprend que son ami n'est pas mort, mais ce dernier lui enjoint de n'en rien dire à Sophie et surtout de ne pas chercher à le retrouver. S'ouvre donc avec son épouse une période de vie commune qui sera heureuse bien que fondée sur le mensonge. Devant la réussite littéraire de la publication posthume, on demande au narrateur de rédiger une biographie de Fanshawe. A partir de ce moment, il va découvrir un être différent du garçon qu'il a connu enfant et prendre conscience qu'il a fait une erreur en acceptant ce travail qu'il finira par abandonner. Derrière l'élève brillant qu'il admirait, il découvre un jeune homme distant de ses parents, abandonnant ses études pour fuir sa famille et qui refuse d'éditer ses écrits pourtant prometteurs. Dès lors, il ne sait plus si Fanshawe est toujours vivant où s'il se confond avec l'image de la mort. A la fin, il lui révèle son existence qui ressemble à une fin de vie en lui confiant un cahier manuscrit passablement abscons « Tous les mots m'étaient familiers, mais ils semblaient pourtant avoir été rassemblés bizarrement , comme si leur but final était de s'annuler les uns les autres... Chaque phrase effaçait la précédente, chaque paragraphe rendait le suivant impossible. » . C'est un peu comme si le narrateur et probablement Auster lui-même, considéraient l'écriture comme une impossibilité !

     

    Il est curieux que le nom de Fanshawe donné à cet écrivain soit en réalité le nom d'un roman écrit par Nathaniel Hawstorne, auteur américain [1804-1864] dont il est question dans « Revenants » qui est le deuxième roman de cette « Trilogie New-Yorkaise ». Son épouse se prénomme Sophie, tout comme celle de Hawstorne. Cela dit, Auster, avec ce roman labyrinthique écrit à la première personne, avec ses fréquentes digressions, tisse un suspens qui confine à l'interrogation, à tout le moins en ce qui me concerne. Au cours de ce récit, Auster lui-même (le narrateur?) lors d'une de ces parenthèses qu'il affectionne, révèle que ce roman se rattache à sa « Trilogie new-yorkaise », précisant «  Ces trois récits sont la même histoire, mais chacun représente un stade différent de ma conscience de ce à quoi elle se rapporte... Si les mots ont suivi, c'est que je n'ai pu faire autrement que de les accepter. Mais cela ne rend pas les mots nécessairement importants. Il y a longtemps que je me démène pour dire adieu à quelque chose, et, en réalité, seule cette lutte compte. ». Que doit-on comprendre ici ? Que les mots sont un simple outil pour exprimer la pensée, qu'ils peuvent se dérober, que l'écriture est un moment de sa vie qu'il souhaite peut-être abandonner ? Est-ce une fascination pour la mort ou pour la quête perpétuelle d'une chose impossible à atteindre ? Est-ce une interrogation métaphysique sur le sens de la vie [« Les vies n'ont pas sens. Quelqu'un vit puis meurt et ce qui se passe entre les deux n'a pas de sens »], sur la destinée, sur la solitude, sur la quête que quelque chose dont on porte la réponse en soi-même ?[« Cette chambre, je m'en apercevais à présent, était située sous mon crâne »].

     

    Ce roman qui clôt la série de la « Trilogie new-yorkaise » est d'une lecture facile mais m'a quand même laissé dubitatif. Pour autant, je continuerai à explorer l'univers de l'auteur à cause d'une attirance que je ne m'explique pas moi-même.

     

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • SEUL DANS LE NOIR - Paul AUSTER

     

    N°499– Janvier 2011.

    SEUL DANS LE NOIR- Paul AUSTER– Actes sud.

    Traduit de l'américain par Christine Le Bœuf.

     

    August Brill, critique littéraire à la retraite, contraint à l'immobilité à la suite d'un accident de voiture se réfugie dans le Vermont, chez sa fille divorcée qui héberge également sa propre fille. La solitude, les insomnies, l'inaction suscitent chez lui un retour sur lui-même avec ses regrets, ses remords ... Pour fuir le noir de la nuit, il se recréé un monde imaginaire dans une Amérique qui n'aurait connu ni le 11 septembre ni la guerre en Irak [ On peut penser qu'il nie cet épisode historique parce que l'ex-compagnon de sa petite-fille Katia a été tué en Irak. Elle aussi se réfugie, aux côtés de son grand-père, dans le visionnage de vieux films], mais qui serait déchirée par une sorte de deuxième guerre de sécession. Dans ce décor surréaliste, Brill place son personnage principal, Owen Brick, magicien professionnel, la trentaine, chargé de tuer un homme qu'il ne connaît pas mais qui est présenté comme le seul responsable de ce conflit. Cet homme se révèle être Brill lui-même, l'inventeur de toute cette histoire. Son élimination physique mettra fin aux combats. Pour l'inciter à mener à bien cette mission, Brick fait l'objet d'un chantage : s'il n'élimine pas August Brill, c'est lui et son épouse Fortuna qui seront tués. Et tout cela, bien qu' imaginé par Brill lui-même, prend l'aspect d'une réalité. Pire peut-être, Auster n'imagine pas que Brill puisse renoncer à cette histoire [« Or Brill ne peut en aucun cas renoncer puisqu'il doit continuer à raconter son histoire, l'histoire de cette guerre dans cet autre monde qui est aussi ce monde-ci, et il ne peut se laisser arrêter par rien ni par personne. »]

    Brill, déroule donc son histoire. Il permet à Brick de rencontrer une multitude de personnages dont pas mal de femmes. Ils ont tous leur place dans ce monde parallèle qu'il imagine ! Dans ce processus « d'histoire dans l'histoire », l'auteur mélange allègrement réel et virtuel et la nuit favorise cette « création » ! Dès lors cette introspection fait défiler dans sa tête toutes sortes de scénarii, des plus vraisemblables aux plus échevelés, allant même jusqu'à évoquer le suicide de Brick, pour éviter un sort tragique à son épouse.

     

    Ce roman est composé un peu comme un patchwork un peu déroutant pour le lecteur. Cela commence par une référence à Giordano Bruno, ce moine philosophe du XVI° qui fut brûlé par l'inquisition italienne pour avoir soutenu qu'il existait d'autres mondes analogues au nôtre. Dans un texte gigogne, Auster mélange plusieurs fictions, juxtapose des morceaux de textes, passe brutalement d'une narration écrite à la première personne par Brill à un épisode du parcours de Brick. On a même parfois l'impression d'être carrément dans l'irréalité d'un conte de fée. Le narrateur évoque son enfance, sa rencontre avec sa défunte épouse, Sonia, son divorce, son remariage, le divorce de sa fille, parle longuement avec sa petite fille... Tout cela au cours d'une seule nuit d'insomnie !Ce pauvre vieil homme qui revient sur sa vie, la raconte à sa petite-fille, est en réalité en train de se distraire lui-même [« Je me suis surtout raconté une histoire, c'est ce que je fais quand je ne peux pas dormir. Je reste couché dans l'obscurité et je me raconte des histoires »]

    Mais « Ce monde étrange continue de tourner » comme l'écrit le poète. La nuit se termine, le jour se lève, l'imagination s'arrête, l'inspiration se dissipe, la magie prend fin... Auster cesse tout d'un coup les « aventures » de Brick et aussi la rédaction de son roman !

     

    Paul Auster est vraiment un écrivain étonnant à plus d'un titre. Sa créativité semble ne pas avoir de bornes, mélangeant autobiographie et chimères, jouant avec les mises en abymes, il tisse lentement un univers kafkaïen et labyrinthique. Non seulement il raconte une histoire, mais aussi il en profite, dans la seconde partie, pour s'interroger sur le rôle de l'écrivain par rapport à ses personnages, mène une réflexion sur la guerre et sur l'engagement américain, compare livre et film [« Un livre vous oblige à échanger avec lui, à faire travailler votre intelligence et votre imagination , alors qu'on peut regarder un film dans un état de passivité décérébrée. »], se livre à une analyse assez longue de certains longs-métrages [ Renoir, de Vittorio de Sica, Ray...], parle, sous forme d'aphorismes de Dieu, de la bonté, l'éducation, de la culpabilité [ Katia pense que le départ de son ex-compagnon pour l'Irak où il sera tué est la conséquence de leur rupture], met en perspective la douleur et la création artistique, sa genèse aussi parfois. Un écrivain doit souffrir pour créer[Brill vit « dans une maison d'âmes en peine, blessées » et sa fille, également meurtrie par la vie, écrit, elle aussi]ou simplement laisser aller son imaginaire ? Sa propre création est-elle un baume à la douleur, tant le monde extérieur est peu attirant. L'imagination serait-elle une antidote à la vie et pourquoi pas au temps qui passe ?

     

    Je ne sais pas pourquoi, mais je continue avec plaisir à explorer l'univers de Paul Auster.

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

  • REVENANTS - Paul AUSTER

     

    N°497– Janvier 2011.

    REVENANTS – Paul AUSTER– Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Pierre Furlan.

     

    Trois personnages principaux à qui l'auteur donne des noms de couleurs : Bleu, Blanc, Noir. Un lieu : New-York près du Pont de Brooklin. Une année : 1947. voilà pour le décor. Le narrateur de cette histoire demeure inconnu.

     

    Blanc demande à Bleu de surveiller Noir et pour cela lui loue un appartement depuis les fenêtres duquel il peut voir Noir et observer ses faits et gestes. Il devra seulement, contre paiement, établir des rapports hebdomadaires qu'il déposera dans une boîte postale. C'est donc un travail facile d'autant que Bleu est détective privé. Ce qu'il voit au début, c'est que Noir écrit beaucoup. Cela semble être sa seule activité. Cette filature monopolise tout le temps de Bleu qui ainsi néglige sa fiancée a point de ne plus lui téléphoner. Cela laisse pour lui la place aux craintes, voire aux fantasmes... A force de rédiger ses rapports qui n'entrainent aucun commentaire, Bleu en vient à douter du bien-fondé de sa tâche. Suivre Noir lui paraît inutile tant il lui semble que sa vie ne recèle aucun secret. A partir de ce moment, il se libère lui-même de son travail en s'accordant des répits, mais lors d'un de ces moments de liberté il s'aperçoit que sa fiancée lui préfère un autre homme. Il l'interpelle, lui apparaît « comme un revenant » et prend conscience qu'il a perdu toute chance de vivre heureux. Il se rabat sur Violette, une prostituée qui lui donne du plaisir. Il va aussi au cinéma parce qu'il aime les salles obscures et parce que « les images à l'écran ont une certaine ressemblance avec les pensées qui défilent dans sa tête ». Est-ce le fait d'assister à la projection du film « la griffe du passé » qui lui fait remonter le temps et revenir à l'histoire du pont de Brooklin et à la vie de son propre père ? Il en déduit que les vivants sont entourés de « revenants » puisqu'il est aussi question au cours de ce texte des écrivains américains tels que Walt Withman ou de Nathaniel Hawthorne

     

    En même temps que cette révélation, Bleu prend conscience que les mots qu'il utilise dans ses rapports sont insuffisants, inexpressifs pour parler complètement de Noir. Il décide donc, pour mieux sérier sa personnalité de faire ce qu'il fait, de lire ce qu'il lit... De même il s'aperçoit que cette tâche lui paraît bizarre et même impersonnelle. L'appartement est loué au nom de Blanc mais occupé par Bleu, les paiements se font par mandat et non par chèque. Est-ce là la certitude de vivre sa vie par procuration, comme si celle de Bleu se confondait avec celle de Noir ? Le temps passe ainsi sans que rien ne se produise et par une sorte de jeu de miroir, Bleu s'aperçoit qu'il n'est plus maître de cette activité d'observation. D'observateur, il devient observé, et par Noir lui-même, et ce d'autant plus que, nous l'apprendrons plus tard, Noir est lui-même un détective privé, chargé, dans les mêmes conditions d'établir des rapports sur les activités de Bleu. Ce dernier en vient à douter de sa propre personne, de sa propre tâche. Il en vient à penser qu'il est, en quelque sorte, désincarné, dépossédé de lui-même par cet homme qui joue ainsi un double jeu sans qu'il comprenne bien pourquoi.[« Car en épiant Noir de l'autre côté de la rue, c'est comme si Bleu regardait dans un miroir, et au lieu de simplement observer quelqu'un d'autre, il découvre qu'il s'observe aussi lui-même »]. Est-ce un message sur la précarité de l'identité, sur l'angoisse inévitable que génère pour un homme le fait de n'être rien, de ne servir à rien ? C'est un peu comme si, en rédigeant des rapports sur Noir, Bleu écrivait sur lui-même, comme si l'écriture avait le rôle progressif du bain révélateur dans le processus du développement photographique.

     

    Ce livre est présenté comme le deuxième volume d'une trilogie new-yorkaise[« la cité de verre » - « La chambre dérobée »]. On peut le lire comme un thriller. Moi, j'ai choisi de le voir comme un « roman à énigme » dont nous n'aurions même pas, à la fin, la moindre explication. Elle serait même laissée à la seule imagination du lecteur. (La dernière phrase est ainsi rédigée « A partir de ce moment-là, nous ne savons plus rien. »). Cela me paraît être révélé par le procédé de « mise en abyme » qui est inhérent à ce récit. Le lecteur s'aperçoit que les annotations qu'a faites Bleu sur Noir et qui sont consignées sur des feuilles, servent de trame au roman qu'il vient de lire. [« Ça à l'air d'un gros livre » dit Bleu à Noir quand il aperçoit une liasse de feuilles posées sur sa table]. Ce n'est autre que les rapports qu'il a lui-même adressés à Blanc sur les activités de Noir !

    Les personnages eux-mêmes ont la transparence et la consistance d'un ectoplasme, une sorte de non-existence [ils portent des noms de couleurs primaires] qui déstabilise le lecteur tout comme les nombreuses digressions qui émaillent le récit. Par une sorte de jeu de miroir, il est est complètement perdu, se demandant qui est qui et qui fait quoi ! Bleu et Noir sont devenus interchangeables au point que la personnalité de l'un éclaire celle de l'autre, ou la complique...

     

    Paul Auster pose des questions existentielles et, malgré les apparences, n'offre nullement une histoire policière dont nous aurions la solution à la fin. Je choisis d'y voir une méditation sur la solitude, sur la condition humaine, sur sa propre identité dans un monde de plus en plus déshumanisé et anonyme, et même sur le rôle de l'écriture et de l'écrivain [« L'écriture est une occupation solitaire qui accapare votre vie. Dans un certain sens un écrivain n'a pas de vie propre. Même lorsqu'il est là, il n'est pas vraiment là. »]. C'est un peu comme si lui, qui est le maître de cette fiction, avouait qu'il en est en réalité étranger, peut-être seulement le simple transcripteur, le transitoire et transparent témoin, seulement là pour livrer au lecteur ce qu'il voit, ce qu'il croit voir ou ce qu'il imagine. D'une certaine façon, il est un de ses personnages, aussi mystérieux qu'eux !

     

    Paul Auster évoque avec ce court roman un univers kafkaïen à la fois cauchemardesque, oppressant et absurde. Cela me plait bien et me donne envie d'en explorer les arcanes.

     

     

     ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • La ligne de partage – Nicholas EVANS

     

    N°496– Janvier 2011.

    La ligne de partage – Nicholas EVANS- Albin Michel.

    Traduit de l'américain par Françoise du Sorbier.

     

     

    Le roman s'ouvre sur la découverte par deux skieurs du cadavre d'une jeune fille emprisonné dans la glace à « Goat Creek ». Les recherches, difficiles au début, révèlent son identité: il s'agit d'Abbie Cooper recherchée par le FBI.

     

    Ainsi débute une histoire aux multiples rebondissements que le lecteur va découvrir grâce à la rétrospective. Derrière ce titre un peu sibyllin, il faut entendre « la ligne de partage des eaux » Cette histoire commence en effet il y a quelques années dans un hôtel de l'état de Montana aux États-Unis. En réalité cet établissement est un ranch, nommé « la Ligne » qui reçoit des hôtes et qui est situé « au sommet d'une vallée tortueuse ». A cet endroit précis, la rivière se divise en deux. D'un côté « Lost Creek », dont « l'existence est aléatoire » et de l'autre « Miller's Creek » dont le cours est impétueux. De chaque côté de cette colline, le paysage est bien différent et le filet d'eau d »une rivière ne donne vie qu'à une végétation maigre tandis que l'autre permet une flore luxuriante. Dans ce ranch, plusieurs familles se retrouvent chaque été. Sarah et Benjamin Cooper, les parents d'Abbie et de Josh, Les Bradstock, les Delroy. Apparemment ces couples sont satisfaits de se retrouver chaque année avec leurs enfants et Abbie, encore adolescente, s'imaginait que ses parents étaient heureux de vivre ensemble. Effectivement, leur vie est simple et normale, mais ils n'ont pas échappé à l'usure du couple, au temps qui passe, à l'envie de l'inconnu... Abbie vit sa vie d'adolescente et profite de ses amours de vacances en même temps qu'elle tombe amoureuse de la nature sauvage du Montana où habite Ty.

     

    C'est dans ce décor que Benjamin, que tout le monde appelle Ben, tombe amoureux, six mois auparavant, de Eve Kinsella ce qui acheva l'histoire du couple qu'il formait avec Sarah. Les deux époux se séparent ce qui bouleverse Abbie, mais laisse apparemment indifférent son frère Josh. Est-ce pour cela que la jeune fille devenue étudiante, se passionne au rythme de ses rencontres et de ses aventures amoureuses, pour l'écologie, pour la contestation et même pour la révolution ? Elle rencontre Ty, le jeune fils d'un couple d'agriculteurs dont la propriété est ravagée par des forages de gaz. Elle prend conscience des choses, s'engage dans le militantisme et la défense de la nature, s'émancipe en même temps qu'elle finit par admettre, malgré sa révolte, la séparation de ses parents incapables d'êtres heureux ensemble. Ce qui est vécu par elle comme un échec [a-t-on le droit, quand on a fondé une famille, de la sacrifier au nom d'un nouvel amour ?] est pour son père un nouveau départ. Avec Eve « il se sent revivre » tandis qu'Abbie bascule petit à petit dans un monde marginal qui menace de la broyer. Elle participe, au côté de Rolf, devenu son mentor mais aussi son amant à un incendie criminel contre ceux qui s'enrichissent en détruisant la nature. Ce malheureux épisode se solde par la mort d'un homme. Abbie et Rolf sont donc recherchés par la police. Il mènent ensemble une vie de traqués, un peu comme Bonny et Clyde. En fait Abbie est victime du syndrome de Patti Hearst (syndrome de Stokholm) : Une jeune femme, issue d'un milieu aisé tombe, à l'occasion d'une période difficile de sa vie, sous l'influence d'un homme charismatique, plus âgé qu'elle. Il parvient à la convaincre que le système d'éducation sous lequel elle a vécu jusqu'à présent est pervers et il l'entraîne dans une vie où le crime est à la fois une obligation morale et une nécessité romanesque. Elle devient donc une « eco-terrorisme » poursuivie. Sa fuite éperdue et son désir de se livrer à la police lui font à nouveau croiser la route de Ty qui fut un temps inquiété comme éventuel complice d'Abbie. L'idylle avec Rolf tourne court malgré la future maternité d'Abbie et le piège se referme sur elle.

     

    A travers cette histoire se mêlent le traumatisme du Worl Trade Center, les préoccupations écologiques et un drame familial. Les Cooper se déchirent sous les yeux de leurs deux enfants qui tentent comme ils peuvent de se raccrocher à leur vie et d'y donner un sens. Même si Sarah et Ben réussissent à refaire leur vie chacun de leur côté, même si Josh, muri par cette épreuve, parvient à s'insérer dans la société, il reste que l'éclatement du couple me semble responsable de la dérive d'Abbie et de sa fin tragique. La question de la responsabilité reste posée [autant que celle de la culpabilité !] et du hasard qui met les gens en situation et pèse sur leur choix. Je ne partage que très difficilement l'apaisement de l'épilogue et je doute que chacun puisse, après un pareil malheur, retrouver le bonheur perdu. En ce sens le roman me paraît un peu superficiel et semble privilégier une manière de « happy end » qui ne m'a guère convaincu.

     

    Malgré quelques longueurs et de nombreux personnages, parfois furtifs, l'auteur, grâce à des descriptions poétiques des grands espaces américains et un suspens savamment entretenu, tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin.

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • L'ÉTÉ OÙ IL FAILLIT MOURIR– Jim Harrison

     

    N°452 - Septembre 2010

    L'ÉTÉ OÙ IL FAILLIT MOURIR– Jim Harrison - Éditions Christian Bourgois.

     

    Ce sont de nouveau trois longues nouvelles que nous propose ici Jim Harrison.

     

    La première qui donne son titre au recueil met en scène « Chien Brun », un métis indien pas très intéressant, un peu marginal, menteur, buveur, obsédé par le sexe et qui se croit irrésistible. A la suite d'ennuis judiciaires, il a été contraint à un mariage un peu surréaliste qui ont fait de lui le père adoptif de deux enfants, Red et Baie, une petite fille originale qu'il tente de sauver de l'action des services sociaux qui veulent l'éloigner en la qualifiant d'handicapée mentale. Elle a en effet subi le traumatisme d'une mère qui a continué de boire pendant sa grossesse. Maintenant il travaille, mais par intermittence, cuisine, mais sa spécialité l'amène à confectionner des plats pas très ragoûtants. Il n'a cependant rien abandonné de son goût pour la pêche, l'alcool et les femmes. La nouvelle s'ouvre sur une rage de dents qui sera l'occasion d'une passade avec la dentiste qui le soigne et qui est comme lui obsédée sexuelle. Elle nous narre également ses aventures et son amour pour une assistante sociale lesbienne, la persistance de la pêche à la truite et une sorte d'obsessionnelle présence, par intermittence, d'un petit serpent noir et de la cueillette des morilles!

    La seconde intitulée « Épouses républicaines », l'auteur met en scène trois femmes américaines riches, mariées et oisives dont l'une d'elles a tenté de tuer son amant, un écrivain gauchiste suffisant et inintéressant qui a été également l'amant des deux autres. Elle parlent à tour de rôle de cette histoire...A-t-il voulu dénoncer le vide de la vies de ces trois femmes ou le dégoût qu'il ressent pour cette Amérique des années 50 et 60 qu'il rejette?

    La troisième, intitulée « Traces » a des accents autobiographiques d'une enfance dominée par la chasse et la pêche dans le pays qui a servi de cadre à son enfance.

     

    Ces trois nouvelles ont pour cadre la péninsule du Nord Michigan dont l'auteur est originaire, une nature que Harisson célèbre avec plaisir, les plaisirs de la vie, les femmes et la bonne bouffe. Il y met en scène ses obsessions, notamment sexuelles mais aussi son penchant pour l'alcool. Pourtant, je suis plus particulièrement attentif aux personnages, Gretchen, travailleuse sociale et homosexuelle, Delmore, oncle possible des enfants, avare impénitent, Baie qui communique volontiers avec les oiseaux. Ce côté anti-héros me plait bien...Cependant les trois femmes américaines me laissent un peu indifférent, quant à « Traces », je trouve cela sans grand intérêt si ce n'est d'apprendre des détails biographiques sur l'auteur.

     

    J'avais apprécié « Légendes d'automne » (La Feuille Volante n° 451) mais ici j'avoue que j'ai eu un peu de mal à accrocher avec ces trois nouvelles. Pourtant cet auteur passe pourtant pour un écrivain majeur!

     

     

    © Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • LÉGENDES D'AUTOMNE-Jim Harrison

     

    LÉGENDES D'AUTOMNE– Jim Harrison - Éditions Robert Laffont.

     

    Ce sont trois longues nouvelles que nous livre ici Harrison( même si la préface de Serge Lentz qui est aussi le traducteur préfère le terme de roman).

     

    Dans la première, intitulée « vengeance », c'est une histoire d'amour qui nous est contée, celle de deux hommes qui sont à la fois amis et amoureux d'une même femme. L'un d'eux Cochran est ancien pilote de chasse ayant combattu dans la Navy, l'autre, Mendez, dit Tibey, est un ancien souteneur. Ils vont donc se battre pour l'amour de Miryea, la femme de Tibey dont Cochran va tomber éperdument amoureux et qui partira avec lui. Le début s'ouvre sur son corps abandonné en plein désert autour duquel tournent déjà chacals et vautours. Ce combat qui est aussi une course-poursuite ne va pas se dérouler seulement entre ces deux hommes, mais aussi contre cette femme, véritable enjeu de ce conflit qui ne peut que mal se terminer.

    Le décor est celui du Mexique avec tout ce qu'on attend de ces paysages écrasés de chaleur, l'alcool, les bordels, les meurtres, cette chanson de Guadalajara que Miryea aimait tant mais aussi et surtout la vengeance qui broie chacun de ces trois personnages, cette femme d'abord mais surtout ces deux anciens amants qui sont comme réunis autour d'un cadavre sans qu'aucun d'eux puisse reprendre le cours normal de leur vie.

     

    La deuxième nouvelle « L'homme qui abandonna son nom » entraine le lecteur dans un tout autre contexte, celui plus conventionnel d'une famille établie et aisée. Le père a épousé la collégienne qui, adolescent le faisait rêver, mais, après 18 années de mariage, une vie sentimentale qui est devenue une routine et la naissance d'un enfant, le couple décide de se séparer. L'homme veut  changer radicalement de vie et découvre que même celle-ci ressemble à une longue léthargie.

    C'est, et de loin, le récit que j'ai préféré.

     

    La troisième qui donne son titre au recueil met en scène trois frères du Montana qui partent, au début du XX° siècle, faire la guerre en Europe. L'un deux, Samuel, ne reviendra pas et sa disparition provoque l'effondrement de la famille. Tristan, bouleversé par cette disparition, entame un voyage épique qui le mènera autour du monde. Dans ce récit, écrit par moments en termes poétiques, se mêleront mysticisme, meurtres et une incroyable aventure humaine où la vengeance, le doute et la rédemption ont aussi leur place.

     

    Le point commun de ces trois nouvelles est la violence sous quelque forme qu'elle se présente, qui fait partie de la condition humaine. Elle est une nécessité vitale, se joue des frontières et des époques mais elle est également maudite comme le souligne la préface et n'est en rien gommée par la civilisation dont l'homme aime à se parer. Ce qui nous est montré ici est une évidence, la civilisation n'est qu'un mot, un vernis, une apparence dont les hommes se satisfont et parfois se recommandent pour justifier leurs actions les plus inavouables, leurs compromissions les moins acceptables. Les grandes et généreuses idées savamment distillées et qui flattent sont chaque jour occultées et remises en cause par la réalité quotidienne. C'est donc à une prise de conscience urgente que nous invite cet auteur américain.

     

    le style est simple, précis, dépouillé même, poétique parfois mais assurément terrifiant. Il livre au lecteur, une image de l'homme bien éloignée des grands discours humanistes. Les personnages de Harrison sont humains, pas généreux et humanistes, mais sont l'incarnation de l'homme avec ses pulsions, ses grandeurs comme ses bassesses.

     

    Comme l'indique Yann Quefellec « Les romans d'Harrison font entrevoir en chacun d'entre nous l'ombre portée du criminel, du tricheur et du saint. Au surplus, le style est à lui seul un chef-d'œuvre, une leçon pour les auteurs français, plus habiles à sodomiser les mouches de la ponctuation, à sacraliser les arguties qu'à livrer une inspiration urgente. Jim Harisson est un écrivain passionné, donc il nous passionne !».

     

     

    © Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • LA BÊTE QUI MEURT - Philip Roth

     

    N°432– Juin 2010

    LA BÊTE QUI MEURT – Philip Roth - Gallimard.

     

    David Kepesh, 62 ans, professeur d'université, critique littéraire à la radio et à la télévision mais aussi séducteur impénitent va tomber amoureux d'une de ses étudiantes, Consuela Castillo, une jeune femme de 24 ans d'origine cubaine. D'évidence, ils n'appartiennent pas au même monde. Cette situation, sans être originale n'a rien d'exceptionnel, sauf que cet homme vieillissant va transformer, malgré lui sans doute et à cause de son âge, cette passion en véritable culte à la beauté, à la jeunesse, à la grâce féminine. Au début, leurs relations ont quelque chose de culturel et Consuela n'est pas exactement une étudiante comme les autres, ni d'ailleurs une femme puisqu'elle incarne pour lui la beauté par excellence. Lui qui a connu moult femmes et aussi la révolution sexuelle des années 60 aux USA, est en admiration béate devant ses seins. Là où cela devient du délire c'est lorsqu'il va jusqu'à se prosterner devant elle, contempler et même déguster son flux menstruel...

     

    Bien entendu, malgré le fait qu'il ne soit jamais attaché à la moindre conquête féminine, il va connaître les affres de la jalousie et la peur de la perte, de la séparation qui pourtant va intervenir. Huit ans plus tard, après que les deux amants se furent perdus de vue, c'est à nouveau Consuela qui fait irruption dans sa vie, mais pas dans le même registre! Si elle est encore la belle jeune femme qu'il a connue et follement aimée, elle porte en elle désormais et dans ce qu'il a plus apprécié chez elle, la souffrance et la mort!

     

    Ce bouleversement survenu dans la vie de David va provoquer la confidence, un long monologue (tout le récit se décline sur ce ton, il a alors soixante dix ans et parle avec nostalgie de cette femme à un témoin dont nous ne connaîtrons même pas le nom) où le vieil homme se livre sans fard, avec parfois des détails crus, dérangeants même (épisode des règles par exemple, mais pas seulement). Parfois aussi, il se laisse aller à des développements que son expérience lui inspire, sur l'adultère par exemple, ce qui n'est franchement pas le plus intéressant!

     

    L'auteur qui prend volontiers et comme toujours la place de son personnage reprend ses thèmes favoris, la vieillesse, la maladie, la mort, la fuite du temps, les années qu'on ne rattrape pas, l'homme qui, parvenu à la fin de sa vie, va faire le grand saut dans le néant, inexorable, inévitable pour chacun d'entre nous. Il n'oublie cependant pas la femme, peut-être la seule consolation de l'homme dans ce monde où tout est perdu d'avance. Consuela qu'il évoque en poses érotiques et même pornographiques est pour lui, en quelque sorte une ultime conquête qu'il n'oubliera cependant pas malgré le temps, la séparation, la souffrance... Chez lui c'est un peu Éros qui danse avec Thanatos. D'ailleurs est-ce une danse ou un combat?

     

    Je connais mal l'univers de l'auteur, mais cela pourrait passer pour quelque chose de monothématique, à tendance obsessionnelle même, mais au fond, non. Il y a le sexe qui est omniprésent dans ce livre, c'est incontestable (avoir une obsession pour la beauté des femmes me paraît être plutôt un bon signe et il me semble que l'auteur se pose ici en contradiction avec le puritanisme américain et anglo-saxon en général), mais cela me paraît surtout être une méditation de bon aloi sur la condition humaine dans tout ce qu'elle a de plus transitoire. L'auteur va analyser, disséquer même l'univers sensuel des femmes, ce que leur beauté, leur corps, leur jeunesse suscitent chez un homme vieillissant, l'émotion, l'attachement, l'attirance, le désir, les subtils rapports de domination, de soumission, de séduction et de capitulation...

     

    Je pense que je vais continuer à explorer le monde de cet auteur qui nous donne à voir une image de cette condition humaine que nous partageons tous.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • UN HOMME- Philip Roth

     

    N°430– Juin 2010

    UN HOMME- Philip Roth – Gallimard.

     

    L'histoire commence dans un petit cimetière juif un peu délabré où un homme va être enterré. Cette petite cérémonie réunit sa fille, née d'un second mariage qui l'adore et qui prononce quelques mots sur sa tombe, mais aussi deux fils, nés d'une première union houleuse, qui le méprisent parce qu'il a abandonné leur mère, son frère aîné, une infirmière qui s'était occupé de lui avant son décès et quelques collègues... Cet enterrement n'a cependant rien d'exceptionnel, juste quelques poignées de terre jetées sur le cercueil, quelques paroles puisées dans le chagrin et le souvenir mais aussi des marques d'indifférence, de soulagement, de rancœur même...

     

    Par une classique analepse, l'auteur va retracer la vie de cet homme, dont nous ne connaîtrons pas le nom. Enfant de santé fragile, il avait été l'objet des soins attentifs de ses parents. Il est devenu un homme torturé par des affections cardio-vasculaires mais il envie et même déteste ce frère aîné, à cause de sa bonne santé... Il ne reprit pas la profession de son père, bijoutier juif, mais devint un publicitaire célèbre puis s'est mis à la peinture pendant ces années de retraite. Ses trois mariages se soldèrent par autant de divorces entrecoupés de quelques liaisons amoureuses ...

     

    C'est une vie banale qui nous est ainsi livrée par le narrateur comme s'il nous prenait à témoin, celle d'un homme ordinaire, pleine de poncifs, de désillusions, de frustrations, avec son lot de joies, d'épreuves, d'amours et de rêves brisés, d'erreurs, de prises de conscience que les choses changent, que le temps perdu ne se rattrape pas... Lui qui fut un amant ardent, il connaît maintenant la perte du désir, l'impossibilité de séduire ..., Roth reprend devant nous, à l'occasion de cette histoire, tous les truismes habituels loin des préoccupations intellectuelles et philosophiques, avec la hantise ordinaire à tout humain, celle de la vieillesse, de la solitude, de la mort. Cet homme n'attend rien d'un hypothétique autre monde ou d'une vie éternelle, les choses s'arrêtent avec celle-ci, et tant pis si toute cette agitation n'a servi à rien et ne débouche que sur le néant.

    Sa vie n'aura donc été qu'un vaste gâchis qu'il a lui-même tressé, remettant en cause ce qu'il avait pourtant patiemment construit. Dans notre société, il est sûrement une sorte de parangon, lui dont la réussite professionnelle a été avérée, dont la vie familiale a été un savant mélange d'adultères, de mensonges, d'hypocrisies et de complicités malsaines et même coupables, d'humiliations imposées aux siens, comme si son existence ne se résumait qu'à une recherche effrénée de la jouissance sexuelle, du plaisir animal à tout prix, dût-il lui sacrifier la stabilité de sa famille, sa respectabilité, la vie et l'amour de ses enfants... Après tout il doit être comme un homme, cet être qui est en permanence habité par la folie de tout détruire autour de lui pour un peu de ce plaisir quêté dans une rencontre avec une inconnue!

     

    Face à ces renoncements successifs, il lui reste la peinture que pratique comme une sorte d'exorcisme ce Don Juan insatiable, toujours à la recherche de femmes qui lui procureront du plaisir, mais qui, à présent, ne peut plus que les suivre du regard en fantasmant sur leur corps, en espérant qu'elles lui feront l'aumône d'une étreinte. Quant au maniement du pinceau, cet exercice artistique devient lassant et il n'en retire plus rien...

     

    C'est un récit un peu mélancolique, un rien désabusé, un peu tragique aussi si on estime que vivre de la naissance à la mort en acceptant de n'être plus ce qu'on a été, est aussi participer à une sorte de tragédie. C'est assurément dramatique aussi d'accepter sans peur la réalité de la mort, cet inévitable saut dans le néant, parce que, quand on a goûté à la vie, on ne peut la quitter sans regret ni terreur.

     

    Le titre anglais (evryman : n'importe quel homme) résume assez bien le but de l'auteur; il s'agit de la vie de chacun d'entre nous qui est esquissée ici. Ce n'est donc pas exactement une fiction, mais la copie plus ou moins conforme dans sa diversité du parcours de chacun d'entre nous sur cette terre.

     

    Le style est dépouillé et atteint son but, celui de nous donner à voir « cet homme » sans nom, (et cela doit aussi valoir pour les femmes?), un véritable quidam, un être ordinaire dont on nous raconte la vie également ordinaire, celui de nous faire partager, avec cet art consommé du conteur, son passage sur terre plein de fougue mais finalement aussi plein de désillusions et de bassesses.

    Une véritable image de la condition humaine!

     

     

     

    Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

     

  • SEUL DANS LE NOIR - Paul AUSTER

     

    N°374– Octobre 2009

    SEUL DANS LE NOIR – Paul AUSTER- Actes Sud.

     

    Le cadre tout d'abord: August Brill, soixante douze ans, veuf, critique littéraire à la retraite, immobilisé par un accident de voiture, vit dans le Vermont chez sa fille, Miriam qui ne peut se libérer de la blessure que lui a infligé son divorce même si cela fait cinq ans que ce mariage a été dissout. Elle a recueilli sa fille, Katya, anéantie elle aussi par la mort de Titus qu'elle avait quitté et qui a perdu la vie dans des circonstances atroces en Irak. Elle est rongée par la culpabilité et s'accuse de cette mort absurde qui, à ses yeux, est motivée par leur séparation. Ce sont donc trois membres d'une même parentèle que la vie a meurtri et qui sont enfermés dans le microcosme de cette maison, chacun avec ses remords.

     

    Une nuit, pour échapper a ce quotidien autant qu'à ses souvenirs, Brill se réfugie dans l'imaginaire pour meubler ses insomnies. Dans ce monde, le 11 septembre n'a jamais eu lieu, la guerre en Irak n'existe pas mais les États-Unis sont en proie à une seconde guerre civile, et lui change de peau et d'identité, devient Owen Brick, le héros un peu irréel d'une histoire qui ne l'est pas moins et qui doit tuer l'instigateur de ce conflit. Dès lors, il craint pour sa vie et il devient lui-même l'enjeu de ce « contrat ».

     

    Petit à petit, au fil de la nuit, imagination et réalité viennent à se confondre et l'auteur mêle à son parcours imaginaire le sien propre et celui de ses proches, pratiquant, peut-être à l'excès les mises en abyme, s'inventant des passades amoureuses dont il n'aurait pas été capable dans la vraie vie. Il émet des considérations personnelles sur les livres, sur les films mais aussi sur la bonté et l'éducation comme pour questionner l'individu au regard de sa propre responsabilité.

     

    Puis August Brill met fin unilatéralement et brutalement à cette histoire de monde parallèle pour déboucher, à la fin, sur un dialogue intime entre le grand-père et la petite fille qui est un peu frustrant pour le lecteur.

     

    J'avoue que lorsque j'ai entamé la lecture de ce livre, j'étais plus intéressé par la puissance imaginative de l'écrivain, par cette faculté qu'il a, plus que tout autre sans doute, d'imaginer les choses et de s'identifier personnellement à elles, par les frontières qui existent entre l'imaginaire et le réel et par les ponts qui enjambent ces deux mondes, le pouvoir des mots, le talent narratif et évocateur de l'auteur. Il s'ensuit la création d'entités qui s'interpénètrent, des engrenages qui s'entrainent entre eux et broient. C'est là une quête dont les arcanes me passionnent que j'ai plaisir, parfois, à explorer pour moi-même, à entrer, virtuellement bien sûr, dans cette spirale où la pataphysique a sa place. Le parcours des autres sur ce thème m'intéresse aussi, ne serait-ce que pour éprouver si ce que je fais est digne d'intérêt. C'est aussi le mécanisme de la création artistique qui est étudié ici et son pouvoir sur les vicissitudes quotidiennes du monde.

     

    Pourtant, cet univers m'a paru inquiétant et comme à chaque fois que j'aborde un roman de Paul Auster, j'ai eu beaucoup de mal à entrer dans son écriture.

     

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

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