D'après une histoire vraie
- Par hervegautier
- Le 05/04/2016
- Dans Delphine de Vigan
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La Feuille Volante n°1028– Avril 2016
D’APRÈS UNE HISTOIRE VRAIE – Delphine de Vigan – JC Lattès. [Prix Renaudot 2015]
Le titre d'abord interpelle. Il s'agit d'un roman donc d'une fiction, écrite semble-t-il d'après une histoire vraie, ce qui est plus ou moins le cas de tous les romans puisque le domaine de l'imaginaire est généralement sous-tendu par la réalité, certes redessinée par le talent de l'auteur. Le livre débute par une confidence, la panne d'écriture, un blocage créatif consécutif à une précédente œuvre qui avait connu le succès ; écrire pour l'auteure était devenu impossible !
Quelle est donc cette histoire vraie ? C'est une rencontre avec L.[elle ?], une femme fascinante et mystérieuse qui semblait savoir tout de auteure avant même d'entrer dans sa vie et de la bouleverser. J'avoue avoir pensé à une histoire banale de séduction, voire d'homosexualité entre femmes mais en réalité L, devenue son amie, se révèle être un « nègre », c'est à dire une « plume » d’écrivains en mal de création. Cela tombait plutôt bien pour Delphine qui vivait mal cette période de sécheresse. Pourtant elle ne lui propose pas d'écrire pour elle, mais au contraire de favoriser sa propre écriture. Petit à petit, grâce sans doute à une sorte d'effet miroir, elle va l'amener à sortir de sa torpeur littéraire dans la douceur mais aussi par la prise de conscience pour l'auteure d'une certaine nécessité impérative et impérieuse d'écrire [« Je venais de comprendre quelque chose de terrifiant et vertigineux : J'étais dorénavant mon propre ennemi »] .
Au départ, bien que la chose puisse soulever quelque intérêt, je ne suis pas entré dans le subtil distinguo entre autobiographie, autofiction et fiction, ni dans la définition de « l'effet de réel » cher à Roland Barthes, pas plus d'ailleurs que dans les motivations qui peuvent légitimer la démarche d'écriture de l'auteur ou les exigences qui amènent les lecteurs à découvrir un roman et à y porter de l'intérêt [j'avoue avoir toujours une réelle passion pour les romans de Boris Vian qui n'ont avec la réalité qu'une lointaine parenté]. En revanche tout ce qui est dit sur l'écriture elle-même, son mécanisme, sa puissance, ses effets parfois dévastateurs, ses impossibilités, ses dérobades contre lesquelles on ne peut rien, tout cela m'a beaucoup parlé. Je pense toujours que l'écriture est une alchimie où l'imaginaire, le réel, la logique, l'analyse, le travail... se mêlent intimement sans bien souvent que l'auteur lui-même maîtrise tout cela et parfois, il est lui-même surpris du résultat ! Les personnages créés par l'auteur s'ancrent dans le réel, naissent, vivent, meurent, sont aussi complexes que celui qui les a créés, sont même parfois révélateurs et ont leur propre liberté... En outre, j'ai bien aimé la tension psychologique savamment distillée au long de ces presque cinq cents pages et l'ennui ne s'est jamais insinué dans ma lecture de ce roman passionnant. La démarche créatrice de l'auteure m'a aussi interpellé : c'est cette envie d'écrire qui, après l'avoir abandonnée, revient à pas feutrés, grâce à L. mais aussi à travers le quotidien, les souvenirs, et les épreuves. La violence des lettres, au départ anonymes, qui l'accusent et qui sont relayées sur les réseaux sociaux jouent aussi un rôle. Les encouragements de L. sont essentiels dans cette créativité retrouvée, mais il plane autour d'elle une sorte de halo mystérieux et même dérangeant, alors qu'il devrait s’estomper. Pourtant, au fil des chapitres le mystère s'épaissit autour d'elle, elle ressemble de plus en plus à une silhouette à la fois fuyante, surprenante, présente, compatissante, soufflant parfois le chaud et le froid, à la fois forte et fragile, jusqu'à en devenir obsédante, indispensable, destructrice, puis disparaît comme elle était venue, comme si elle n'avait jamais existé... La complicité entre les deux femmes est telle que le mimétisme entre elles fonctionne parfaitement au point qu'elles deviennent interchangeables. Pourtant, au fil des pages, j'ai eu le sentiment que l'auteure était sous la dépendance complète de L., était pour elle une véritable proie sous des dehors trompeurs. Au début du roman, l'auteure est passive parce qu'elle est dans l'impossibilité d'écrire mais, à partir de son accident, l'envie de créer réapparaît dans une sorte de cyclothymie et correspond à une prise de conscience, de renouveau, même si dans son entourage des doutes subsistent sur une éventuelle période dépressive entre paranoïa et affabulations. Le retour à la « vie normale » se confond avec tant d'interrogations qu'elle prend un peu une forme de folie.
Je ne sais si ce livre est écrit d'après une histoire vraie puisqu'il est écrit à la première personne et met en scène l'auteure ou s'il est une fiction, mais peu m'importe. Ce que je retiens c'est qu'on n'est jamais trahi que par les siens, par ses proches, par sa famille, ceux qui savent parfaitement comment nous faire du mal, savent manier à la fois le mensonge, l'hypocrisie, la félonie... Ici cette trahison prend une forme particulièrement subtile. La deuxième chose c'est que le livre est un univers douloureux qu'on peut porter en soi pendant des années et qui peut se refuser à naître aussi naturellement que cela et que l'écriture peut parfois, mais parfois seulement, être un baume et avoir une fonction cathartique, mais cela nous le savions déjà.
J'avais été conquis par son dernier roman , « Rien ne s'oppose à la nuit » et c'est sans doute ce qui m'a fait ouvrir ce livre. L' écriture est fluide et offre un texte agréable à lire, clair, et bien construit, entretenant jusqu'à la fin le suspense d'un véritable « roman à énigme », pas vraiment dans l'esprit que ce j'ai l'habitude de lire sous la plume de cette auteure. Pourtant à la fin j'ai été un peu déçu. Je ne sais pas pourquoi mais, au fil des pages je m'attendais à autre chose, la chute m'a laissé un peu sur ma faim. J'ai songé à un dédoublement de la personnalité, à une illustration romancée du rythme de la création chez un auteur...Il me semble que l’épilogue n'est pas à la hauteur de ce roman qui m'a pourtant passionné, autant par l'intrigue que par l'analyse du processus de l'écriture.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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