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la feuille volante

En finir avec Eddy Bellegueule

La Feuille Volante n°1013– Février 2016

 

En finir avec Eddy Bellegueule – Édouard Louis- Seuil

 

« Non les braves gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » chante Brassens. Ce n'est pas vraiment le cas de la famille Bellegueule qui ressemble à s'y méprendre à toutes celles du village, le père qui boit et qui, comme les autres hommes, se partage entre le bistrot et l'usine, le décor c'est les terres agricoles, le ciel plombé, l'air pollué, la pluie et le froid, la maison sans confort et trop petite pour une famille de sept enfants, la pauvreté... La mère souvent enceinte et qui ne lésine pas sur le tabac, la télé qui fonctionne en permanence, l'absence de livres, les ressentiments de chacun contre cette vie, solitude et violence ordinaires qu'on exorcise comme on peut. Dans ce milieu social, il faut ressembler à tout le monde, les hommes sont des durs et quittent l'école pour l'usine et les femmes deviennent caissières, se marient et ont des enfants… Dans tout ce décor, Eddy, l'un des fils, aux gestes efféminés, est une énigme pour cette famille qui l'a élevé comme les autres garçons à qui il ne ressemble pourtant pas. A cause de son aspect maniéré, il est le souffre-douleurs de ses camarades de classe. Ses parents ne comprennent ni n'admettent cette différence, ne se gênent pas pour se moquer de lui en espérant sans doute qu'il rentrera dans le rang, qu'il sera comme les autres et ne leur fera pas honte. Certes ils ne sont pas dupes de l'homosexualité de leur fils, certes ils sont pauvres mais veulent donner une bonne éducation à leurs enfants pour qu'ils ne souffrent pas comme eux de la misère, qu'ils n’aient pas à faire face au regard réprobateur des gens, qu'ils échappent à l'alcoolisme… Le racisme ordinaire du père, son intolérance ne l’empêchent pas de défendre Eddy même quand aucun doute n'est plus possible à son sujet, que son attirance sexuelle pour les hommes est un fait indéniable et qu'il est désormais, pour cette raison, en butte aux lazzis des autres. Il tentera bien vainement des expériences féminines autant pour donner le change que pour vérifier ce qu'il savait déjà, mais ne trouvera son salut que dans la fuite de cette famille qui l'aime pourtant mais dans laquelle il ne se reconnaît plus. Ce sera le théâtre puis plus tard les études supérieures, autant de voies auxquelles il n'avait sans doute pas pens . C'est à la fois un éveil à une autre vie, à la connaissance et à la culture mais aussi l'accès à un monde où il est accepté où il ne sera plus jamais taxé de « pédé ».

 

Ce roman en forme de biographie, divisé en deux parties, se déroule en Picardie dans les années 1990, date à laquelle l'homosexualité était moins admise qu'aujourd'hui. Il y analyse la prise de conscience progressive d'un adolescent de son attirance pour les hommes. Il y décrit crûment et sans complaisance une classe ouvrière minée par l'alcoolisme, la xénophobie, l'intolérance, l'absence de culture dans une région qui, par la suite, n'a pas été épargnée par crise économique.

Il est généralement admis que chacun a de bons souvenirs de son enfance. C'est là une idée reçue qui m'a toujours étonné puisque la mienne n'a pas été marquée par le sceau du bonheur. Les circonstances ont certes été bien différentes et surtout en rien transposables à celles de ce roman, mais lire sous la plume d'un auteur un tel témoignage me rassure un peu. Je finissais par me demander si mon cas avait quelque chose d'exceptionnel.

Reste le titre qui sonne comme une page qu'on tourne et j'ai bien eu l' impression de que cette période de sa vie appartenait pour lui à un passé révolu. L'écriture est reconnue pour ses qualités cathartiques. Je ne sais si ce livre a changé la vie de l'auteur (en dehors du succès littéraire qu'il a suscité), s'il a correspondu à une réelle libération (« la force végétale de l'enfance subsiste en nous toute la vie » dit Gaston Bachelard) où s'il a exploité ce moment délétère de sa vie pour entrer en littérature puisque c'est là son premier roman, mais ces pages résonnent en moi avec des accents de sincérité. Il reste que si ses parents correspondent au portrait qu'il en a fait, je les imagine partagés entre la fierté d'avoir un fils écrivain célèbre et les révélations qu'ils ont lues dans son livre.

C'est un roman qui se lit rapidement, un style sans fioriture littéraire, écrit à la première personne, entre témoignage et confidence. Pour autant il y a une sorte de double niveau dans le langage. D'une part l'auteur s'exprime simplement et d’autre part il rend compte des propos de ceux qui l'entourent et qu'il transcrit sans artifice. Cette différence se lit dans le graphisme du texte.

© Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com

 
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