La Feuille Volante à 32 ans
- Par hervegautier
- Le 01/05/2012
- Dans Evénements
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N°570– Mai 2012.
La Feuille Volante à 32 ans !
Pendant ces 32 années de parution plus ou moins régulière, j'avais un peu tendance, chaque année, à me réjouir de la continuation de cette chronique. Las, je dois bien me rendre à l'évidence, je n'ai pas réussi à intéresser mes contemporains. Même sa transformation en « blog » et sa publication sur internet n'ont pas suffi à la sortir de l'anonymat. Son existence a toujours été confidentielle.
Au fur et à mesure des années, quand je décomptais le temps de son existence et que je notais une année de plus, j'étais saisi par une sorte de vertige, surtout quand on connaît la durée de vie plus que limitée de ce genre de revue. Cette longévité est sans doute due au fait que j'ai toujours été seul pour en assurer la rédaction et tout le reste, ce qui ne se faisait pas, évidemment, sans imperfections.
Ma vie personnelle cabossée et pleine de bleus a favorisé pendant de nombreuses années la lecture et l'écriture, l'une nourrissant l'autre. Elles m'ont permis de ne pas faire prévaloir ma descente et mon basculement inexorables vers le néant, de supporter les vicissitudes de cette vie. Pourtant, j'avais, à plusieurs reprises [La Feuille volante n° 110-154-187-189-220...], exprimé mes états d'âme et mes doutes à mes hypothétiques lecteurs.
Il est vrai aussi que je ne suis qu'un simple lecteur à qui personne n'a rien demandé et surtout pas son avis sur les livres des autres. J'ai longtemps entretenu l'illusion qu'il pouvait néanmoins intéresser quelques-uns. Je me suis trompé ! D'autre part, je n'ai pas l'obsession de la performance ou du dépassement du nombre d'articles par rapport à ceux du mois précédent. Je pense ne pas avoir de record à battre en matière de nombre de connexions sur mon site, je n'ai pas les yeux rivés sur le compteur censé mesurer l'hypothétique intérêt pour cette chronique, aussi bien cette feuille paraît-elle à son rythme, c'est à dire sans aucune contrainte et en toute liberté puisqu'elle est gratuite et ne comporte pas d'abonnés.
Je m'étais aussi imaginé que cette chronique qui tirait son concept et son nom d'une phrase et d'une idée de Montesquieu [« J'ai mille fois jeté aux vents les feuilles que j'avais écrites »] pourrait contribuer à nouer des liens avec d'autres lecteurs autour d'un livre, d'un écrivain ou d'un film, qu'elle pourrait provoquer des discussions, un échange d'idées... Je ne suis pas un collectionneur d'autographes ni un fanatique des carnets d'adresses et encore moins de la polémique, mais j'avais aussi supposé que mon avis pouvait susciter, de leur part, des réactions ou des courriels. Malgré la convivialité supposée d' internet, je me suis trompé et ce partage qui aurait sûrement été enrichissant n'a jamais vraiment eu lieu. Si peu de lecteurs ont réagi à mes articles ainsi publiés, les auteurs quant à eux ont, au mieux montré leur indifférence, au pire leur mépris. Je précise que j'envoie systématiquement la Feuille Volante aux attachés de presse des éditeurs en espérant qu'ils font leur travail de transmission. Comme l'a très bien et très simplement formulé l'écrivain espagnol Alfons Cervera lors d'un entretien autour de son œuvre « Écrire n'est rien s'il n'y a personne de l'autre côté de cette écriture ». Modestement et à mon niveau, j'ai voulu être cette sorte de miroir des écrivains que j'avais lus ! Il y eu quelques échanges épistolaires rarissimes et que je n’avais pourtant pas suscités, puis, sans aucune raison, plus rien ! J'ai toujours cru, béatement sans doute, que des relations fructueuses pouvaient se nouer entre eux et leurs lecteurs, que certains auteurs affectionnaient ces échanges qui peuvent nourrir leur écriture... Après tout, c'est, en principe pour eux qu'ils écrivent et ils leur doivent leur notoriété et parfois même un peu de leurs revenus. Là aussi je me suis fourvoyé.
Les improbables lecteurs de cette revue peuvent en témoigner, sans être laudatifs et encore moins flatteur, mes papiers ont toujours tenté de rechercher ce qui, dans un roman, pouvait accrocher le lecteur et mériter son attention. Je pars en effet du principe, à cause sans doute de mon expérience personnelle en la matière, que si quelqu'un fait la démarche d'écrire et de publier ses écrits, de se livrer dans ses mots, il mérite de l'attention et, même s'il se met ainsi en situation d'être jugé « par le premier venu », il est en droit d'attendre autre chose qu'une avalanche de critiques gratuites et destructrices. J'ai toujours eu pour règle de ne pas porter gratuitement préjudice à quelqu'un au seul motif que je n'avais pas aimé son ouvrage. Je crois deviner, derrière la couverture d'un livre, tout ce qu'il a demandé d'efforts, d'hésitations, de recherches, de doutes... Même s'il m'est arrivé d'être parfois enthousiaste à la lecture d'un livre, je n'ai jamais ici été ni thuriféraire ni inquisiteur.
La lecture a toujours fait partie de ma vie. Elle constitue pour moi un réel plaisir et cette chronique tire son existence de cette envie irrésistible de répondre à l'invitation d'un auteur, d'enter dans son univers surtout quand celui-ci sert correctement notre si belle langue française. Cette habitude de lire, tout comme ma participation à quelques jurys littéraires m'ont montré que, dans ce domaine aussi, le pire côtoie le meilleur. A force d'accumuler chez moi mes propres tapuscrits, j'ai fini par m'imaginer que, moi aussi, je pourrais faire entendre ma voix et être publié par un éditeur. C'était après tout parfaitement légitime ! Là aussi ce fut un échec à cause de ma malchance proverbiale ou peut-être mon absence de talent. J'avais aussi espéré, un peu naïvement, que cette chronique m'entrebâillerait peut-être les portes de maisons d'édition et favoriserait la publication de mes poèmes, de mes nouvelles et d'un « roman fleuve » auquel pour des raisons personnelles j'attache beaucoup d'importance, le tout a pourtant été refusé par de nombreux professionnels. Las, les sagas ne sont plus à la mode et je n'ai peut-être pas le talent requis. Quant à mes romans policiers, s'ils ont été publiés, ils sont de plus en plus destinés à rester dans mes tiroirs. Et puis, la recherche d'un éditeur n'est, à mon âge, plus vraiment de mise. Hélas !
La Feuille Volante n'a sans doute jamais été un authentique organe de « critique littéraire ». J'en ai bien conscience. D'ailleurs, en 32 ans, on ne m'a jamais sollicité comme intervenant extérieur pour donner mon avis et c'est heureux (J'ai parfois reçu quelques ouvrages en service de presse mais tous les livres que je lis sont empruntés à la bibliothèque municipale). Il m'est, il est vrai, arrivé de la qualifier ainsi dans un but pratique et statistique, parce qu'il fallait bien caractériser son activité. Je ne suis jamais cependant fait d'illusion sur ce qualificatif qui a toujours correspondu pour moi à un abus de vocabulaire. Quand je l'ai créée, en 1980, avec la complicité du regretté Marjan, le dessinateur Arfoll de « La Revue Indépendante » avait spontanément salué cette initiative d'une série de bandeaux que j'ai gardés. Elle était surtout destinée à parler de ceux dont on ne parle jamais, les poètes inconnus et qui avaient toutes les chances de le rester parce que la grande presse en ignorait jusqu'à l'existence. Ceux-là publiaient, souvent à grands frais et avec leurs propres deniers, leurs poèmes qui ne seraient jamais étudiés dans les écoles, dont les recueils circuleraient sous le manteau dans le plus grand anonymat, ou resteraient sur leurs étagères. Par la suite, aimant lire, j'y ai adjoint des notes de lecture dont j'ai, avec le temps, tenté d'améliorer la présentation. Là non plus, il n'y avait pas de volonté « critique ». C'était un peu ce que, au collège, mes professeurs de français successifs avaient tenté, vainement, de me voir rédiger. J'ai peut-être ainsi cherché à me rattraper et ainsi à leur donner raison... avec quelques dizaines d'années de retard ! De plus, l'âge venant, et avec lui la perte progressive de la mémoire, ces articles avaient au moins l'avantage personnel de garder trace de mon avis sur un livre que j'avais lu. Chaque article était donc seulement un jalon dans mes lectures. J'ai quand même épuisé les joies de cette activité et, ce n'est pas là un simple jeu de mot, elle m'a elle-même épuisé ! Je dois donc reconnaître que cette Feuille Volante s'achemine vers sa fin parce que je n'ai plus vraiment le goût de la faire perdurer. Elle continuera sans doute encore pendant quelques temps puis s'arrêtera de paraître sans que personne s'en aperçoive. Elle n'aura guère marqué de son empreinte le « paysage » comme j'ai pu, dans un moment d'inconscience ou de vanité, l'espérer, mais, au vrai, cela n'a guère d'importance.
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