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la feuille volante

LE GARDIEN DES RUINES - François Nourissier

 

 

N°142

Janvier 1993

 

 

 

LE GARDIEN DES RUINES – François Nourissier – Editions Grasset.

 

 

Lire un roman de François Nourissier est toujours pour moi un moment fort. Il est, en effet, l’un des rares auteurs que je choisis sur son seul nom plutôt que sur le titre d’un ouvrage. Comme d’habitude, je n’ai pas été déçu.

 

Par l’histoire, tout d’abord, celle d’Albin Fargeau, médecin généraliste à Paris dont l’auteur relate le quotidien. Ce récit est l’occasion de revenir en arrière, de revoir sa vie, ses amours éphémères, ses rencontres, sa guerre, de l’oflag en 1940 à la Libération de Paris, ses fiançailles, hésitantes et timides avec Clémence, son mariage conventionnel avec elle, sa vie ordinaire et son couple raté, son fils à côté de qui il est perpétuellement passé, sa liaison mièvre avec Véra, sa maîtresse, ses rares passades, sa belle-famille qui ne l’a jamais vraiment adopté…

C’est aussi, pour Nourissier, l’occasion d’évoquer des personnages hauts en couleurs : Henri Fargeau, Les Goult de Juzy, Vergadin et combien d’autres …

 

Pourtant, malgré son côté velléitaire, indolent et conventionnel, Albin Fargeau est un personnage attachant, peut-être parce qu’il est perpétuellement floué, jusqu’à la complicité. Nous le voyons évoluer de 1939 à 1990 et la petite histoire se frotte à la grande. C’est un peu comme si Albin Fargeau, l’air de rien, nous livrait lui-même ses secrets, ses fantasmes, les valeurs traditionnelles auxquelles il est attaché…

Mais, rapidement, il vieillit, perd de la vitesse, se laisse facilement(trop peut-être ?) rattraper par un siècle qui marche plus vite que lui.

Après la mort de sa femme, la séparation d’avec sa maîtresse et l’ultime tentative de rencontre avec son fils unique, il choisit lui-même de se retirer à Maussade, dans une maison de retraite. Lui qui rêvait de ressembler à ses grands modèles passera pour « le gardien de quelques ruines qu’il tente de faire visiter . »

 

Ce qui m’intéresse chez Nourissier, c’est qu’il traite de thèmes qui lui sont chers : l’incompréhension entre père et fils, mais surtout une réflexion toujours renouvelée sur le mariage. Il gratifie à cette occasion son lecteurs de formules lapidaires (presque des apophtegmes) qui méritent réflexion : « Ce n’est pas le silence qui préserve les couples, c’est la sourde oreille. » « Les couples tiennent par politesse, comme les vieilles coques de bateaux par la peinture. »

Il glisse entre les lèves de ses personnages quelques aphorismes bien sentis sur la condition humaine : « Tous les destins avec le temps rapetissent. ». « A quoi ça tient un homme? A presque rien : Quelques silence, quelques hontes ravalées, quelques comédies. Tout cela tient debout par miracle. Tu fous le pied dedans, le bonhomme s’effondre. »

 

Il prête à Albin Fargeau (A moins qu’il ne laisse aller sa plume pour son propre compte ?) des analyses politiques et historiques tranchantes : « En 38… En 40 …En 54…En 62 … nous sommes de terribles plaqueurs. ». « Sans la foi, le folklore réactionnaire n’est que dandysme et simagrées ». « Des politiciens en France, ça doit baiser, l’électeur aime cela »…

Il n’oublie pas non plus la condition humaine : « Le suicide est au bout de toute réflexion un peu sérieuse sur la maladie ». « La vielle peur laisse un répit, sur le tard, aux amers et aux vaincus . »

 

En fait, à l’occasion de cette incursion dans les secrets de l’âme et de la parentèle de Fargeau, le lecteur attentif assiste à cette tranche de vie qui s’écoule, non vers la mort de l’intéressé, mais, le mal-vivre aidant, vers la déchéance et l’indifférence à sa propre vie. « Je suis devenu le gardien d’un musée que nul ne veut plus visiter. Je fais de la retape à la porte de l’indifférence générale ».

L’envie de vivre va même jusqu’à disparaître : « Le désir s’arrête comme le vent, la pluie, comme une source s’arrête de couler. ».Il fut, un temps, tenté de jouer encore cette comédie qu’est l’existence, mais la pensée (l’envie ?) de l’autodestruction l’a effleuré : « Si Clémence meurt, je serai libre de me détruire sans scrupules ».

 

J’ai lu ce roman comme le récit d’un homme qui jette sur cette vie qui fut la sienne et qui ne l’a jamais vraiment passionné, le regard d’un philosophe désabusé, d’un homme qui a voulu « sauver les apparences », quelqu’un qui est ici-bas de passage et le sait, mais aussi quelqu’un qui est las parce qu’il est seul et que toute sa vie n’a été qu’une solitude grise tout juste émaillée de quelques timides coups de soleil.

 

Si j’ai aimé ce roman (et aussi beaucoup d‘autres du même auteur), c’est aussi pour la qualité du texte, et pour l’usage juste et précis de notre belle langue française. Ils ne sont pas si nombreux, les écrivains actuellement publiés qui peuvent se targuer d’être les gardiens de notre langage ? Son humour n’a d’égal que sa faconde, et quand il décrit un paysage, c’est un plaisir… Il tient jusqu’au bout son lecteur en haleine.

 

© Hervé GAUTIER.

 

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