DOUZE TYRANS MINUSCULES - Frédéric LENORMAND
- Par hervegautier
- Le 30/01/2010
- Dans Frédéric LENORMAND
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N°393– Janvier 2010.
DOUZE TYRANS MINUSCULES – Frédéric LENORMAND - FAYARD.
Le hasard a fait que je me suis replongé, grâce à Max Gallo, dans l'univers de la Révolution française (La Feuille Volante n° 391 et 392). Cette période m'a toujours fasciné, non pas à cause de l'insécurité qui y régnait, mais parce que dans les temps troublés de notre histoire et à l'occasion de ce genre d'événements, de grands destins se révèlent... mais également des petits! J'ai toujours été impressionné par la personnalité de ceux, rares il est vrai, qui oublient leur intérêt personnel pour se mettre au service d'une grande cause qui les dépasse et souvent les brise... et par les autres, moins fréquentables mais plus nombreux, qui profitent de cette période pour découvrir leurs petitesses et leurs lâchetés qui, en temps ordinaire, n'auraient eu qu'en écho mineur. La délation, l'oppression, l'asservissement, voire le massacre, restent une occasion unique pour ces êtres sans importance de se distinguer, de se grandir à leurs propres yeux, de se faire redouter aussi. Ils sont conscients qu'ils représentent une fraction de l'autorité, infime certes mais bien réelle, et ils vont en profiter pour nuire ou s'enrichir, pour s'imposer aussi et ce d'autant plus facilement qu'ils se sentent protégés par les événements et par leurs fonctions. L'autorité et le commandement sont des ivresses inhérentes à la condition humaine! De la surveillance du peuple dépend l'ordre public sans lequel il n'y a pas de bonne gouvernance, la délation est une méthode simple mais efficace, la police sert tous les régimes sans distinction, mais que dire de ceux qui exercent ce métier sans discernement ni morale, qui abusent de leurs fonctions et se laissent corrompre?
L'auteur, infatigable et précis archiviste, nous les présente: ce sont, à l'origine, de petits commerçants, des artisans, des clercs, un poète même, que les événements, leurs convictions politiques, et parfois le chômage, décidèrent à devenir policiers et dont il nous restitue avec une grande minutie les actes et les abus. Cette période troublée va les faire passer de l'ombre à la lumière et, de la petite administration locale où ils firent leurs premières armes, ils eurent pour fonction d'encadrer la capitale et accédèrent même à des fonctions d'administrateurs de la police. A travers leurs agissements, le lecteur revisite les grands moments de cette période, la prise de la Bastille, la mort du roi et les massacres perpétrés par les révolutionnaires... Ces douze petits chefs vont jouer un rôle actif au cours de cette Terreur, mais, en cette période trouble, on ne leur demanda pas d'être des professionnels compétents avec une éthique et un savoir-faire, au contraire, certains même étaient pour la plupart quasiment analphabètes et se contentaient de signer, mais surtout ils n'étaient contrôlés véritablement par personne, la corruption étant assez répandue, n'avaient pas de hiérarchie, la guillotine se chargeant d'éliminer les concurrents les plus gênants. Autant dire que leurs fonctions les invitaient aux pires excès auxquels, bien sûr, ils ne manquèrent pas de se livrer.
Il faut croire qu'il y a une justice, ou que la société des hommes finit toujours par faire prévaloir le bon droit, et nos douze policiers, sans qu'ils s'en rendent compte, grisés sans doute par l'époque, leurs succès, leur opportunisme ou leur impunité temporaire finirent peu ou prou là où il avaient envoyé tant de leurs concitoyens, en prison et pour certains à la mort. Rares sont ceux qui survécurent. Ils périrent par où ils avaient pécher et furent accusés puis convaincus de corruption.
C'est un des drames de la condition humaine que de se croire irremplaçable et les illusions qu'on se fait sur soi-même sont bien pires que toute les légendes patiemment tissées par les autres, la prétention n'étant jamais loin de la naïveté. En réalité, les pouvoirs qu'ils avaient étaient illusoires et ils n'étaient que des pions entre les mains des politiques qui n'hésitèrent pas à se débarrasser d'eux quand ils furent devenus encombrants. Peu ou pas préparés à leurs fonctions qui ne furent que « de circonstances », ces hommes n'eurent pas même l'idée d'exercer sur leur quotidien le minimum de raisonnement qui leur eût inspiré de la modération ou de la circonspection.
Ce livre en évoque un autre, paru également sous la plume du même auteur, « La pension Belhomme » [La Feuille Volante n°328], remarquable ouvrage qui parle de ces établissements, à mi-chemin entre la maison de santé et la prison, que la Révolution favorisa et que nos policiers contribuèrent à remplir. J'avoue que j'ai un faible pour ce genre d' ouvrages historiques, surtout quand Lenormand les signe.
Je l'ai déjà abondamment écrit dans cette chronique, j'aime bien le style de Frédéric Lenormand. Il est plaisant à lire, jubilatoire et instructif. Il se livre ici à une histoire de la police sous le Terreur, inédite jusque là, puisque l'Histoire officielle a bien plus volontiers retenu le parcours des grands noms qui l'illustrèrent alors qu'elle à rejeté dans l'anecdote les actions des sans grade.
Il est de ces auteurs, pas si nombreux, qui vous font aimer l'Histoire parce qu'il nous la raconte plaisamment.
Chacun de ses ouvrages est toujours un bon moment de lecture dont je ne veux pas me priver!
©Hervé GAUTIER – Janvier 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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