TOMBEAU DES ANGES
- Par hervegautier
- Le 12/07/2012
- Dans Gilles Ortlieb
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N°586– Juillet 2012.
TOMBEAU DES ANGES – Gilles Ortlieb – Gallimard
Le titre a ce côté énigmatique des romans policiers, mais le texte a d'emblée un goût un peu humoristique qui plante un décor coutumier d'un paysage urbain avec, en arrière-plan des friches industrielles aux relents de pollution. Le lecteur ne tarde cependant pas à s'apercevoir que les anges en question n'ont pas des noms paradisiaques. Ils se nomment « Florange, Erzange, Serémange, Knutane, Illange, Nilvange, Alfrange ». Pour qui suit un peu l'actualité, on comprend tout de suite que ce n'est pas un paradis qui est ici suscité mais bien cette région sinistrée de la Lorraine. Elle avait pourtant été florissante à l'ère industrielle, avait produit du fer, devait ses infrastructures à des capitaines d'industrie. Longtemps elle avait offert un spectacle de haut-fourneaux en activité, des cheminées d'usines et des sirènes qui appelaient au changement de poste, des bistrots incontournables qui ne désemplissaient pas. Bref une région qui vivait Des noms résonnaient dans ce décor et ils n'étaient pas si anciens que cela « Usinor, Sollac, Sacilor, Sidelor, Lorfonte, Unimétal, Arcelor. »
A l'invite du narrateur, le lecteur se balade dans les rues désormais désertes où tout rappelle la mine, celle qui faisait vivre tout le monde ici, un peuple de prolétaires de toutes nationalités amenés ici par la guerre ou la nécessité, établis depuis des générations et qui ne voulaient surtout pas quitter cette région. Ce n'est pas qu'on y vivait bien mais il y avait du travail. Maintenant le décor est brut, peu engageant et le chômage gangrène la population. Le tombeau des anges se décline en liquidations, fermetures, cessations d'activité … Puis on affine le paysage de magasins aux rideaux définitivement fermés, aux salles de cinéma en faillite ou aux rares cafés survivants qui offrent une triste devanture de cette région qui porte encore la marque de l'histoire dans des inscriptions à demi-effacées qui attestent de l'occupation allemande de l'entre-deux-guerres. L'air est sans doute plus respirable qu'avant, mais le paysage se ferme petit à petit, la mémoire ouvrière de la mine ne se vit qu'à travers les commentaires d'un guide pour rares touristes de passage, tout un savoir-faire, des techniques, un vocabulaire désormais passés aux oubliettes de la productivité.
C'est une sorte de pèlerinage qu'effectue le narrateur dont on suppose que l'enfance s'est déroulée ici. Maintenant c'est un peuple de retraités, de chômeurs sans grands moyens, victimes de la crise économique, des gens désœuvrés qui cherchent à faire passer le temps dans des bistrots à demi-désertés entre apéro, loto, lecture de journaux et prévisions météo, le tout dans un décor urbain à répétition et déprimant, des usines fermées, des commerces abandonnés, des maisons à vendre qui ne trouveront jamais preneur, un paysage spectral avec « Un vent aigre soufflant depuis les hauteurs pour se perdre dans une plaine incolore », des cours d'eau pollués, des mines qu'on évoque comme on visite un musée, un passé révolu mais qu'on refuse de voir disparaître. Faute d'activité l'usine est encore là, comme un squelette inutile coincé entre passé et présent... « Dans ces villes en « ange » arpentées avec assiduité, il ne s'agit plus depuis longtemps d'organismes en train de s'étioler ou de lentement mourir, mais bien de l'apparence que peuvent prendre ou ont prise les corps défunts. Car ce ne sont plus des blessures à vif que l'on a sous les yeux, comme ce pouvait être le cas il y a un quart de siècle... mais des plaies plus ou moins adroitement refermées, des paysages cicatrisés de force et donc pacifiés. ». Ce qui amène l'auteur à poser cette question : « Que reste-t-il lorsqu'il ne reste plus rien, lorsque tout ou presque a disparu ? »
le style au départ est alerte, humoristique même et invite à voir le bon côté des choses, faute de pouvoir faire autrement. Il cache mal une profonde détresse et une absence de gens dans les rues. Ces villes vivaient jadis mais ne sont plus que des ombres. Je n'ai pas vraiment été enthousiasmé par ce récit qui évoque un paysage où je n'ai pas vraiment envie d'aller. De plus, je n'ai pas toujours suivi le fil conducteur de ce récit notamment dans la reproduction de la correspondance qui s'étage de 1947 à 1970. Elle marque le quotidien des gens de cette période, l'évolution des choses, leur changement, mais dans le sens du chômage, de l'abandon, pas vraiment du maintien de la vie...
©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com
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