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la feuille volante

Tropique du Brésil

 

La Feuille Volante n° 1350Mai 2019.

 

Tropique du Brésil – Jacques Secondi – Éditions François Bourin.

 

Je remercie les éditions François Bourin de m'avoir fait découvrir cet auteur dont c'est apparemment le premier roman.

C'est le récit d'Emmanuel, ce journaliste français qui attend sa carte de résident permanent au Brésil, non pour des raisons fiscales comme on pourrait le croire, mais simplement par amour de ce pays. Durant la nuit qui précède, il repense à ce qu'a été son parcours depuis que les hasards d'un reportage l'ont amené ici en 1990 même si, au cours de toutes ces années, les choses ont bien changé. Au début il avait découvert le pays avec les yeux émerveillés de celui qui croit avoir trouvé dans ce village de bord de mer le but de son voyage. Son nom « Trancoso »(Tranquille) était pour lui une promesse de dépaysement. Il était tombé amoureux du climat tropical, de cet art de vivre fait de sieste, de farniente où le seul meuble important était le hamac, du fatalisme de ses habitants qui vivent dans l'instant sans trop se soucier de l'avenir, de cette langue chantante, des jolies femmes aussi, même si leurs appas n'étaient pas exactement les mêmes que sous nos latitudes occidentales, de la sexualité débridée, du sens de la fête arrosée, du rythme de la samba, de la nourriture (dont il livre beaucoup de recettes), bref de tout ce qui fait ce pays. Il y avait certes rencontré des autochtones mais, à l'époque de son arrivée il y avait aussi des hippies attardés, des voyageurs bohèmes égarés qui avaient décidé de passer ici le reste de leur vie. Cette carte postale a été un peu bousculée quand l'unique route de terre qui menait au village a été goudronnée, amenant avec elle un tourisme commercial et une urbanisation sauvage et qu'il a pris conscience du côté folklorique brésilien fait d'infrastructures d'un réseau routier approximatif, souvent défaillant et parfois dangereux, du goût un peu trop prononcé de ses habitants pour la musique à tue-tête, des cabines de téléphone public capricieuses, de l'obsession de ses habitants pour une propreté quasiment étasunienne avec cette hantise de traquer les puanteurs fétides et de masquer ses propres odeurs corporelles par un usage immodéré pour les parfums.

Mais la réalité est tout autre aujourd'hui dans la mégalopole de São Paulo, et l'évocation humoristique voire idyllique de cet immense pays ne suffit pas à masquer une forme d'intolérance à tout ce qui est différent, notamment les homosexuels qui, dans d'autres démocraties sont acceptés sans aucune difficulté, le gouffre qui existe entre riches et humbles, la pauvreté des favelas, les agressions parfois meurtrières dans les rues, l'insécurité croissante avec usage d'armes à feu, de rackets et d'enlèvements, le trafic de drogue, la corruption. Si la 4° de couverture rappelle que l'auteur apprécie le mot brésilien « relaxar » pour souligner ce mode de vie détendue, la lecture de ce roman y oppose facilement le verbe « favelizar » (composé à partir de « favela ») qu'on peut traduire par le processus de dégradation d'un quartier, le verbe « bobear » qui signifie flâner, une activité banale sous nos latitudes mais qui est ici des plus déconseillées pour un touriste étranger signalé par la couleur plus claire de sa peau. Il reste que marcher dans la rue vous expose à être pris entre le feu de la police militaire et celui des criminels en tout genre qui peuplent les villes, ce qui n'est pas vraiment engageant. Et ce pour ne rien dire du kidnapping, de l'attaque du domicile privé ou de l'invasion d'un lieu public suivi de délestage de ses occupants sous la menace des armes. Là, le verbe « arrastrar » (ramasser ) prend tout son sens.

Je ne sais si l'intention de l'auteur était originellement de faire l'éloge du pays, mais la lecture de cet ouvrage que j'ai du mal à qualifier de « roman » qui est généralement réservé à la fiction, ne m'engage guère à en faire ma prochaine destination touristique. J'ai lu ce livre plutôt comme un reportage aux allures de mises en garde malgré l'amour qu'il déclare au Brésil. Cela correspond d'ailleurs à différentes observations déjà entendues dans mon entourage et ce même l'insécurité grandit chaque jour dans nos sociétés occidentales menacées par le terrorisme islamiste et les luttes politiques qui dégénèrent, avec de plus en plus de policiers et de militaires dans les rues de Paris pour protéger les populations. Ce n'est cependant pas sans une pointe d'humour que l'auteur confie qu'il préfère le Brésil où là au moins il ne s'ennuie pas et pour lequel malgré tout a fait son choix.

Cela dit le « roman » est bien écrit, plein d'expressions portugaises et de détails du quotidien, avec cet humour de bon aloi qui, à l'aide des mots choisis, vous invite au sourire, malgré tout !

 

©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com

 
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