la feuille volante

La patience des goélands

 

N°551 – Décembre 2011

 

LA PATIENCE DES GOELANDS– Jean-François POCENTEK- Lettres vives.

 

Le paysage, celui d'une petite ville du bord de mer du Nord, un matin de novembre solitaire et ensommeillé. Dans ce décor un peu froid et désolé, un homme et une femme. Celui-là, Baptiste, a les yeux tournés vers le large et l'autre, Marie, s'affaire d'ordinaire à déposer dans des boites aux lettres « des papiers pour convaincre de dépenser des sous ». Un petit métier pour survivre avec son père, Mathurin, et ses quatre enfants au noms bizarres. Ils sont le regard tournés vers la mer, « assis sur un banc, dos à la ville, là où se rencontre l'avenue Saint-Exupéry, l'esplanade maritime et la promenade Débeyre », face au Christ de faïence blanche, sous les auspices bienveillants des goélands, ils se sont parlé.

C'est que Baptiste est venu d'ailleurs, tout exprès, avec son univers et ses souvenirs personnels de Camille, un ami qui habitait rue Consolante, mort il y a treize ans, de ne pas avoir aimé la vie. C'était pourtant sa seule richesse ! C'est avec ses mots que Camille pour une journée, va revivre, dans cette maison qu'il habitait rue Consolante, qui sentait la bière, le tabac et l'essence à briquet, où il cachait ses « cahiers », témoins de son quotidien. C'est le narrateur qui prendra ce relais en notant lui-aussi dans son carnet noir comme le deuil, cet hommage amical et la vie modeste des personnages qu'il croise en ce jour. Il y est venu pour ranger, récupérer un peu pour la brocante et surtout abandonner au trottoir quelques accries à la curiosité des gens, comme cela se fait là-bas. Une façon de tourner définitivement la page de son passage sur terre où « il n'était que le passager d'un voyage sans heurts, sans retards, sans excès ». Il évoque l'enterrement « ni éloge, ni dithyrambe non plus. Que du vrai. » et ce Camille qui, par le truchement de l'écriture ou de je ne sais quel miracle, accompagnait son propre cercueil; il guidait avec des mots et des silences tous ces mineurs endimanchés et un peu gauches, venus rendre un dernier hommage à leur camarade d'infortune. Il refit à l'envers ce parcours quotidien et du souvenir, des lieux et des gens disparus avant lui, et c'est un peu un pèlerinage que Baptiste accomplit en ce jour de brume grise et froide. C'est aussi en l'honneur de Camille, pour qui on réserve une chaise vide et un couvert, qu'on l'invite à partager le repas de l'amitié. En ce mois de novembre qui est aussi celui des morts, après avoir évoqué Camille sa vie et ses souffrances, Baptiste repart, avec un dernier salut aux vivants. La maison où Camille avait vécu est vendue, les livres dispersés eux aussi, la page est tournée, la vie reprend son cours, le souvenir de Camille reste cependant, en mots noirs sur les pages blanches, parce que les morts ne le sont vraiment que lorsqu'on ne pense plus à eux.

Ce n'est pourtant pas un éloge funèbre, de ceux qui sont officiels, compassés, faussement émus et même un peu hypocrites. Ce sont quelques phrases qu'on jette sur le papier, dans le secret de sa peine pour lui dire tout ce qu'on à pas pu ou su faire de son vivant.

 

L'univers de Pocentek, il est vrai découvert par hasard dans une bibliothèque, m'émeut toujours et ne me laisse point indifférent (La Feuille Volante n° 414-417-420-421-516) autant par les gens humbles qu'il choisit d'évoquer que par la poésie que ses mots distillent. Ici, les morts parlent aux vivants. On exorcise leur absence à travers les objets qui leur ont appartenu et qu'on garde (le briquet par exemple). Les vies qu'il choisit d'évoquer laissent une empreinte en creux, qui pourrait être aussi éphémère qu'une trace sur le sable. C'est une musique mélancolique tout en pudeur et en subtilités.

 

Comme je l'ai déjà dit dans cette chronique, l'éditeur propose ce livre à la lecture mais il faut préalablement en couper les pages, comme dans les anciennes publications. Cette démarche n'est pas fastidieuse, au contraire, elle fait partie intégrante de la lecture, lui donne sa dimension terrienne et individuelle, met en condition le lecteur pour le message à recevoir et le temps à y consacrer.

 

 

 

 

 

© Hervé GAUTIER - Janvier 2012.

http://hervegautier.e-monsite.com 

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