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la feuille volante

Maurizio de Giovanni

  • L'enfer du commissaire Ricciardi

    N° 1518 – Décembre 2020

     

    L’enfer du commissaire Ricciardi – Maurizio de Giovanni - Rivages /noir.

    Traduit de l’italien par Odile Rousseau.

     

    Au cours de l’étouffant été napolitain, un célèbre chirurgien, le professeur Tullio Iovine del Castello, est retrouvé écrasé au sol, défenestré depuis le quatrième étage de sa clinique mais il apparaît très vite que, même si cette chaleur rend fou, cette chute n’est ni accidentelle ni un suicide. Le commissaire Luigi Ricciardi est chargé de l’enquête avec son fidèle adjoint le brigadier Maione. Leurs investigations ne tardent pas à révéler des zones d’ombre dans la vie du praticien, de vieilles histoires qui remontent à la surface, des règlements de compte, des menaces proférées, des vengeances non assouvies, une histoire de bijoux bien obscure...

    Le commissaire a ce don étrange d’entendre et de voir les derniers moments d’un être qui va mourir. Ces visions sont en réalité un terrible inconvénient qui l’obsède tout au long de ses enquêtes, lui complique les choses au lieu de les lui faciliter et cette affaire ne fait pas exception. Il doit aussi faire avec une hiérarchie aussi tatillonne qu’arriviste surtout dans un contexte politique difficile de la montée du fascisme. Cette situation ne contribue pas à lui faciliter la vie et il faut y ajouter les fantômes avec lesquels il doit vivre, la mort annoncée de Rosa, sa tante, sa presque mère, la fuite inexpliquée d’Enrica, sa jolie voisine dont il est secrètement amoureux. Il ne le sait pas mais la vie pour elle, malgré la beauté du bord de mer où elle habite temporairement, est aussi devenue, malgré les apparences, pleine de questions qui l’obsèdent. Ricciardi est un célibataire solitaire, un scrupuleux policier avant tout, et son environnement féminin que complète Nelide, une solide jeune fille de la campagne, parente de Rosa et qui s’occupe de son intendance, vient de s’enrichir de la présence de Livia, la jeune et flamboyante cantatrice, amie du Duce, veuve d’un ténor mort dans des circonstances que notre commissaire à dû démêler. Elle s’est entichée de lui et de ses étranges yeux verts m ais ce n’est pas d’elle dont il rêve.

    Bizarrement au cours de cette enquête, c’est plutôt le brigadier que le commissaire qui mène les investigations. Il le fait d’une manière agressive, en paroles comme en actes, à l’endroit de ceux qu’il soupçonne. Cette attitude est sans doute due à son pessimisme, à son mal-être passager fait de suspicions plus ou moins fondées sur son entourage et d’interrogations sur lui-même et ainsi, pour tenter de calmer la tempête qui gronde sous son crâne et ses états d’âme délétères, il choisit de les exorciser par le travail.

    Ainsi la touffeur estivale s’apparente à l’enfer, à moins que ce ne soit l’ambiance du fascisme qui sévit en Italie au cours de ces années mais aussi la mort qui rode, souvent énigmatique, l’enchaînement d’événements mystérieux, les obsessions et les passions qui d’ordinaire entravent la vie de Ricciardi et de ses proches pour qui la vie est aussi une forme de torture, une entrave au bonheur. C’est également un roman sur la condition humaine, ses craintes, ses espoirs, ses fantasmes, ses obsessions, ses occasions manquées... Aux yeux de l’auteur la faim et l’amour sont les deux raisons d’être et de vivre des hommes et les relations humaines sont aussi faites de manipulations, de destructions, d’espoirs déçus, de renoncements, d’hypocrisie et de mort.

    Il n’est rien de tel qu’un authentique napolitain comme l’auteur pour évoquer l’âme des habitants de cette ville exubérante, leur cuisine chaleureuse, l’ambiance où, plus qu’ailleurs, le religieux se mêle au profane, où la vie côtoie la mort, les codes et le décor de cette cité où tout se sait grâce à un miracle permanent, où le vrai pouvoir, celui du peuple, est maffieux, avec violences et zones de non-droit. C’est un réel dépaysement pour le lecteur et de Giovanni distille le suspense jusqu’à la fin. Son style est fluide, agréable à lire, plein de sensibilité et d’humanité.

     

  • La méthode du crocodile

    N° 1514 – Novembre 2020

     

    La méthode du crocodile – Maurizio de Giovanni - Fleuve Noir.

    Traduit de l’italien par Jean Luc Defromont.

     

    A la suite d’une dénonciation malveillante, l’inspecteur Guiseppe Lojacono, accusé d’avoir eu des contacts avec la Mafia est déplacé d’Agrigente en Sicile à Naples. Comme un drame n’arrive jamais seul, sa femme l’a quitté le privant de la présence de sa fille, ses collègues le méprisent, sauf peut-être le brigadier Guiffrè  et il est carrément mis sur la touche. Un soir qu’il était de garde, il constate la mort d’un adolescent tué d’une balle dans la tête devant chez lui avec autour de son corps des mouchoirs en papier imbibés de larmes comme si l’assassin avait pleuré ! Plus tard deux jeunes de milieux sociaux différents sont également assassinés selon le même mode opératoire avec toujours autour d’eux les mêmes mouchoirs et la presse locale parle alors d’un homme qu’elle surnomme « le crocodile » qui, selon la légende pleure avant d’exécuter ses victimes. Malgré les réticences de ses collègues, la substitut du procureur, la belle Laura Piras, l’intègre au sein de l’équipe d’enquêteurs. En effet Lojacono découvre que le tueur est un homme discret, invisible même, qui attend patiemment, dans l’ombre le moment favorable pour tuer. Ce choix d’adolescents appartenant à des couches sociales diverses et dissemblables ressemble à un acte gratuit, le fait d’un déséquilibré ou un crime rituel; le modus operandi évoque la Camorra mais Lojacono n’y croit pas trop et devant cette série de crimes atypiques décide de raisonner autrement au grand dam des autres policiers, mais, malheureusement pour eux, cette intuition, au vrai une idée un peu folle, retient l’attention de la magistrate au point qu’elle participe activement elle-même à sa mise en œuvre. Cela fait appel à la mémoire de chacun, à son intimité, au temps qui passe mais n’efface rien du désir d’une vengeance diabolique et ainsi révélera ce qui échappe aux autres enquêteurs : le mobile de tous ces meurtres que rien ne relie à priori entre eux.

     

    Dans la conclusion de cette affaire, l’échec se mêlera au succès parce que Lojacono n’est finalement pas si seul. Il y a cette magistrate qui lui témoigne de l’intérêt mais aussi Letizia, la patronne de la trattoria où il prend ses repas. Ce sont ses deux véritables soutiens dans cette affaire, mais c’est une autre histoire. C’est pour L’inspecteur non seulement l’occasion de sortir de l’anonymat où la hiérarchie l’avait cantonné un peu vite mais surtout c’est la consécration de sa qualité de bon policier. Il en fait une affaire personnelle et c’est un combat entre deux solitaires, deux invisibles, un flic et un assassin, tous les deux aux prises avec leurs fantômes personnels.

     

    C’est un roman policier passionnant, bien écrit, avec des analyses psychologiques pertinentes malgré un contexte difficile où des parents sont confrontés à la mort de leur enfant. L’auteur maintient, par une architecture originale, le suspense jusqu’à la fin. Ce fut pour moi un agréable moment de lecture.

     

    J’ai commencé à lire les romans policiers de Maurizio de Giovanni avec la série consacrée au commissaire Ricciardi. Ici c’est un autre genre de policier qui nous est présenté et dont l’auteur déclinera ses enquêtes dans une autre suite à laquelle je serai volontiers attentif.

     

     

  • Il senso del dolore

    N° 1513 – Novembre 2020

    Il senso del dolore – L’inverno del commissario Ricciardi – Maurizio de Giovani -Einaudi editore.

    (Le sens de la douleur- L’hiver du commissaire Ricciardi).

    Nous sommes à Naples en mars 1931, sous le fascisme, et il fait froid. Il n’y a pas que le vent qui secoue la ville puisque Arnaldo Vezzi, le grand ténor mondialement connu, homme arrogant et ami du Duce qui apprécie son talent, a été assassiné dans sa loge du Real Teatro di San Carlo avant la représentation de “I Pagliacci”, la gorge tranchée par un morceau de miroir brisé. Le commissaire Luigi Alfredo Ricciardi est chargé de l’enquête. C’est un bon policier , célibataire, mais aussi un homme tourmenté qui, avec ses yeux verts, voit, depuis son enfance les victimes de violence dans leurs derniers moments de vie et ressent les affres de la mort entendant leurs derniers mots. C’est “il Fatto”, un don mais aussi une sorte de malédiction qui lui permet certes d’investiguer différemment des autres et qui fait de lui un enquêteur marginal, mal aimé de ses supérieurs bien souvent carriéristes, et redouté de ses subordonnés, et qui prend son travail à cœur au point qu’il s’intéresse aux victimes comme s’il les avaient connues personnellement. Pour lui une affaire ne peut qu’être résolue et les assassins arrêtés. Le commissaire ne goûte pas l’opéra, mais une enquête est une enquête et celle-ci présente beaucoup d’aspects contradictoires et de circonstances étranges qui sèment le doute. De plus cet assassinat embarrasse le régime ainsi que la hiérarchie policière désireuse de ne pas lui déplaire et ainsi souhaite trouver très vite l’assassin. Il est également amené à rencontrer des témoins dont la présence autour de la scène de crime l’intrigue, notamment Don Pierino, un prêtre mélomane. D’autre part, la victime avait certes un talent reconnu et une immense notoriété, mais était un homme désagréable, méchant, flagorneur, suffisant, méprisant, coureur de jupons, à l’égo tellement surdimensionné qu’il se prenait pour un dieu, autant de bonnes raisons données à ses contemporains pour l’éliminer. Pourtant Vezzi n’était qu’un homme et tous les hommes sont mortels. Après de nombreuses investigations, dont la rencontre avec Livia, l’épouse de Vezzi dont il était cependant séparé mais qui pourrait bien être une suspecte, le commissaire comprend qu’il doit rechercher dans deux directions : la faim et l’amour… Et Et il est toujours attentif aux sorts des plus pauvres.

    C’est un personnage original crée par de Giovanni qui malgré sa noblesse s’est mis, grâce à “il Fatto” à la disposition de le justice pour le triomphe de la vérité, au détriment de sa propre carrière. Il aime la solitude mais ne peut se départir de la présence de Rosa, sa nounou, sa presque tante, sa mère de substitution, de son ami le brigadier Maione et du légiste Modo, antifasciste et amoureux des belles femmes et de la nourriture, de Bambinnella à qui rien n’échappe de ce qui se passe à Naples. Le commissaire est un solitaire amoureux en secret de sa jolie voisine Enrica, un rayon de soleil secret dans la grisaille de l’hiver ;

    Le style de de Giovanni est agréable, plein de belles descriptions et un réel dépaysement dans l’espace et le temps mais aussi dans l’ambiance de cette ville à cette époque.

    Ce roman de de Giovanni, publié en 2007 fait partie d’une longue série consacrée au commissaire Ricciardi. Je l’ai lu en italien pour la beauté de la langue et parce qu’il n’y a pas, à ma connaissance de traduction .

    Il y a, à la fin de ce “giallo” (roman policier comme disent nos amis italiens) quelque chose qui me paraît intéressant et original et que, en tant qu’auteur, j’ai souvent pratiqué; c’est la rencontre entre de Giovanni et Ricciardi, une sorte de fiction dans la fiction qui est à la fois révélatrice et atypique et qui permet de mieux connaître ce commissaire vraiment intéressant mais aussi l’univers créatif de son auteur.

  • Des phalènes pour le commissaire Ricciardi

    N° 1507- Octobre 2020.

     

    Des phalènes pour le commissaire Ricciardi – Maurozio de Giovanni – Rivages/noir

    Traduit de l’italien par Odile Michaut

     

    Je remercie Babelio et les éditions Rivages de m’avoir permis de découvrir ce roman.

    Naples dans les années 30. Le commissaire Ricciardi, policier atypique, n’est pas bien dans sa peau et ce n’est pas seulement à cause de la présence des fascistes au pouvoir, il est seul et désemparé, dévasté par l’impossible deuil de Rosa, sa tante, sa mère de substitution. Pour lui, comme pour tous ceux qui l’ont connue, son fantôme plane encore sur leur quotidien. Il pourrait saisir l’occasion donnée par l’énigmatique et troublante comtesse de Roccaspina qui prétend qu’elle est l’auteure de l’assassinat de Piro Ludovico, avocat mais aussi prêteur de fonds, et pour qui son comte de mari, accroc au jeu et débiteur de Piro, est en prison alors que, selon elle, il n’y est pour rien même s’il a cependant avoué spontanément sa culpabilité dans ce meurtre. Il s’agit donc d’une affaire classée que cette femme voudrait bien voir rouvrir. Animé par un sens aigu de la justice autant que par sa volonté de sortir de la la période délétère qu’il traverse à titre personnel, il va accepter, même si cette affaire n’est pas de son ressort et que dans cette époque politiquement troublée, il joue sa carrière. C’est aussi un paradoxe puisque que les aristocrates aspirent à pactiser avec le pouvoir fasciste et que rouvrir ainsi cette enquête revient aussi à bousculer un fragile ordre établi. C’est pour lui d’autant plus compliqué pour le commissaire que, fort bizarrement et sans explication aucune, le comte veut être condamné et dans ce but est prêt à tout, jusqu’à refuser d’être défendu. Dans cette opération il sera secondé par le fidèle brigadier Maione qui va se révéler, comme toujours, un précieux collaborateur. En toute complémentarité et surtout en toute complicité, malgré les doutes et les intuitions de chacun d’eux, les deux hommes devront faire preuve de doigté, d’imagination et même d’hypocrisie pour jeter un regard neuf sur une instruction un peu trop vite bouclée, qui a tout moment menace de se retourner contre eux. Cette affaire serait trop simple si elle ne s’inscrivait dans un contexte politique tourmenté où la police est surveillée par les fascistes et dans une atmosphère personnelle et intime qui ne l’est pas moins, le tout bien rendu par l’architecture même de ce roman.

    Non seulement j’ai apprécié le suspens qui baigne tout ce roman jusqu’à la fin mais j’ai aimé également le style fluide et agréable de l’auteur. Il est émaillé de moments poétiques dans la transparence de septembre et les senteurs de la cuisine napolitaine, qui tranchent agréablement sur l’ordinaire des polars de ce genre. J’ai découvert aussi avec plaisir le personnage de Ricciardi, avec ses fragilités et ses fêlures, à la fois idéaliste et torturé par la vie et par la perte de Rosa, obsédé par l’obligation de faire son devoir et de faire triompher la vérité, dût-il pour cela sacrifier son propre bonheur. C’est un solitaire, prisonnier de lui-même qui se réfugie volontairement dans l’isolement, qui refuse la présence d’une femme auprès de lui parce qu’il pense être celui qui porte malheur, qui n’a pas sa place dans cette vie, qu’il est la flamme qui va tuer le fragile phalène-compagne qui s’en approche, comme dans les paroles de cette chanson-allégorie qui revient comme un leitmotiv. Il est déchiré entre l’amour de deux femmes, l’une qui le fuit parce qu’il l’a déçue et l’autre, amoureuse de lui, qui le désire mais qui est promise à un autre. Cet amour impossible conduit à un refus de sa part et pourrait semer la mort autour d’eux. C’est à la fois un châtiment qu’il s’impose à lui-même et qu’il impose à sa partenaire comme un paradoxe définitif, une manière aussi, pour lui qui se fuit en permanence, de rester en vie, même si cette vie est une impasse, une chose de plus en plus insupportable. Pourtant en matière de femme, il n’est pas au bout de ses surprises !

    Ce n’est pas seulement un« giallo » comme disent nos amis italiens, c’est aussi une réflexion sur les effets de l’amour sur les êtres que le destin sépare, entre fantasmes, passions, refoulements, haines renoncements, désespoirs, promesses, trahisons et remords.

    En tout cas ce fut vraiment une belle rencontre !