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la feuille volante

SAINT-SEPULCRE !– Patrick Besson

 

N°616– Janvier 2013.

SAINT-SEPULCRE !– Patrick Besson- Fayard

 

Nous sommes à Paris au XIII° siècle, sous le règne de Louis IX. Un écolier, Richart Perpin, fils de bourgeois, paresseux, pas mal soiffard et surtout jouisseur doit rendre un devoir sur la prise de Jérusalem par Godefroy de Bouillon, lors de la 1°croisade en 1099. Le sujet ne l’inspirant guère il en confie la rédaction à un vieux jongleur érudit de ses amis, Bénodet, lui-même ami de Ruteboeuf, contre quelques pintes de vin. En fréquentant de concert les tavernes et les bordels, ils tombent ensemble amoureux d'une jeune prostituée palestinienne, Edelinne, qui avait été enlevée à un sultan puis vendue à une maquerelle par un ancien templier aveugle, Gile d'Avèze. Cependant la jeune fille s'est enfuie du bordel où elle travaillait et Richart comme Bénodet partent à sa recherche dans un Paris pittoresque. Après 20 ans à guerroyer en Terre Sainte, ce chevalier, malade et vieux, veut revenir en Picardie où il est né et, pour ce faire, use de ce stratagème efficace pour soutirer de l'argent à différentes tenancières afin d'assurer sa subsistance.

Reste le devoir qui doit être rendu ; Bénodet pense que c'est trop bête de s'en tenir à la véritable histoire de Godefroy et voudrait que cela soit sa grande œuvre. Il choisit donc d'y ajouter le récit fictif d'un de ses compagnons, pourtant bien différent de l'Avoué du Saint-Sépulcre, un chevalier qu'il nomme … Luc d'Avèze. Il n'a rien d'un être preux puisqu'il est exclus des Templiers à cause de ses péchés mortels et des transgressions aux règles de l'ordre. En fait, pour son récit fictif, Bénodet s'inspire de la vie du véritable homme de guerre et compagnon de Godefroy de Bouillon, sous le contrôle littéraire avisé de Ruteboeuf. Cet ouvrage une fois achevé, et qui vaudra le bûcher à Bénodet tant il est blasphématoire, portera finalement la signature du jongleur et le titre de « Saint-Sépulcre », le cri de guerre de Godefroy !  Il devra d'ailleurs sa mise en prison puis plus tard sa condamnation, à la trahison de son fils aîné, Jude. Il sera cependant sauvé du supplice par le mariage qu'il contracte avec Ysabel, la sœur laide mais surtout vierge de Richart, conformément à une vieille loi médiévale.

Comme si cela ne suffisait pas dans la liste déjà bien fournie de leurs aventures, Richart qui a abandonné son idée d'entrer dans les ordres et même ses projets de carrière juridique s'embarque pour la Terre sainte à la suite de Louis IX. Il est accompagné comme son ombre de Bénodet et d'Ysabel.

 

Notre auteur émaille son texte d'aphorismes bien sentis qui sont autant de remarques pertinentes sur la société des hommes[« Pourquoi dominons-nous les autres? Pour pouvoir les aimer »], sur l'existence terrestre [« La vie est un tel malheur que la mort ne saurait être un malheur plus grand »], sur la religion [« Bizarre qu'on dise la messe dans la langue des Romains quI ont crucifié Jésus. », « Les messes,se dit-il, c'est le contraire du sexe : elles sont toutes les mêmes alors qu'on ne fait jamais deux fois l'amour d'une façon identique »], sur la charité et ceux qui la pratiquent:[« A Ceux qui la font la charité spectaculaire rapporte tellement plus qu'elle ne leur coûte puisqu'elle ne leur coûte rien. »] , sur les femmes [« Pourquoi les femmes qu'on aime sont-elles fraîches quand il fait chaud, chaudes quand il fait frais ?»] avec toujours le sens de la formule teintée d'humour [« Il la pénétra comme nous entrons dans une église le jour de nos noces. »]...

 

L'auteur manie à merveille l'Histoire et la fiction. Grâce à un texte remarquablement documenté, il promène son lecteur dans une société médiévale colorée, vivante et authentique où on voit Dieu et le diable partout, où la conduite chrétienne du roi, le futur Saint Louis, qui invite les pauvres à sa table et rend la justice sous un chêne, voisine avec celle plus que marginale et contestable de nos deux compères bien plus volontiers inspirés par le vice et le blasphème, comme d'ailleurs celle de la plupart de leurs contemporains. C'est vrai qu'à l'époque on honorait Dieu un peu par obligation et on partait pour la Palestine pour diverses raisons : délivrer le tombeau du Christ, expier ses péchés, échapper à quelqu’un ou à quelque chose, faire la guerre ou simplement s'enrichir !

 

C'est à un véritable roman picaresque, à grands renforts de mises en abyme, que Patrick Besson invite son lecteur. Les gens changent d'identité et de fonctions, meurent apparemment puis refont surface comme par miracle, voyagent dans le temps et dans l'espace, se découvrent des parentés incestueuses ou adultérines, les vies se croisent et s'entrechoquent, les destins se font et se défont, les paternités y sont douteuses et les filiations illégitimes et consanguines … Un véritable dépaysement !

 

Dans un style truculent, peu académique parfois, mais qu'importe, son récit rocambolesque donne l'occasion à Patrick Besson de se livrer, sous couvert de l'évocation de cette période, à une peinture de l'humanité, une humanité qui n'a pas changé, ne changera jamais et n'a pas grand chose d'humain. Il y a l'amour qu'on fait pour le plaisir et celui qu'on n'a pas donné par égoïsme, par manque de temps ou par oubli, la trahison, l'envie de tuer, la passion pour Dieu pour l'argent pour les femmes ou pour le vice... Face à cela, il invoque notre envie légitime de mourir, non seulement parce que c'est la fin normale de la vie mais aussi parce que c'est une délivrance.

 

Un bon moment de lecture en tout cas.

 

 

 

 

 
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