ACCIDENT NOCTURNE – Patrick Modiano
- Par hervegautier
- Le 28/07/2013
- Dans Patrick MODIANO
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N°666– Juillet 2013.
ACCIDENT NOCTURNE – Patrick Modiano - Gallimard.
Un banal accident de la circulation, à Paris, de nuit alors que le narrateur a presque 21 ans : Il est renversé par une voiture, une fiat couleur vert d'eau, conduite par une femme légèrement blessée au visage et titubante, Jacqueline Beausergent qu'il ne connaît pas mais dont le visage lui rappelle quand même quelque chose. Pourtant, cet accident lui en évoque un autre intervenu plus tôt dans sa vie, mais celui d'aujourd'hui est entouré de mystères avec cet accompagnateur taiseux, l’important somme d'argent qu'on lui remet, la feuille qu'on lui fait signer , l'invitation pressante qui lui est faite par l'homme d'oublier cet épisode... A force d'y réfléchir, il se dit que « Cet accident de la nuit dernière n'était pas le fait du hasard. Il marquait une cassure … Il s'était produit à temps pour me permettre de prendre un nouveau départ dans la vie ». C'est que cette femme lui en rappelle une autre qu'il lui faut absolument la retrouver. Ainsi fouille-t-il dans sa mémoire et il y retrouve son enfance et de son adolescence parisiennes, l'image de son père un peu floue et fuyante, des personnages qui ressemblent un peu au narrateur, mystérieux et transparents, pleins de paradoxes et de secrets... A l'occasion de de ce retour sur soi, des figures de femmes émergent, fugaces maîtresses ou passantes diaphanes et inaccessibles. Parfois elles sont un nom, une silhouette, un visage à peine reconnu, tout juste esquissé avec un flot de paroles ou de longs silences.
Reste cette femme, Jacqueline Beausergent, les circonstances de cet accident, l'odeur d'éther de l'anesthésie, la sensation qu'on a d'être entre la vie et la mort, entre douleur et sommeil. Elle renvoie le narrateur à son enfance, quinze ans plus tôt, cet accident presque semblable avec une femme jeune en contre-champ... Ses recherches, vaines au départ, ressemblent un peu à une intrigue policière en trompe-l’œil, laissant au lecteur la soin d'imaginer la fin.
J'ai retrouvé avec plaisir le style de Modiano, musique douce et légèrement mélancolique dont les notes accompagnent le lecteur dans les arcanes de la mémoire, une sorte d'invitation à l'exploration intime, une autre version de « à la recherche du temps perdu » où se croisent des fantômes dans une déambulation à la fois physique et mentale qui baigne dans le clair-obscur. J'aime bien la façon qu'il a d'évoquer le décor où vivent ses personnages, insistant tout à la fois sur l'ambiance générale du lieu et sur un détail anodin, tissant des images parfois un peu irréelles ou inquiétantes. C'est Paris, ses rues, sa pluie et son brouillard d'hiver, la nuit [« La nuit, dans les rues, j'avais l'impression de vivre une seconde vie plus captivante que l'autre ou, tout simplement de la rêver »]. C'est aussi la mémoire qui mélange le temps et les lieux, les événements aussi, entre souvenir et oubli.
Ce roman est tout à fait dans la veine de l’œuvre modianienne. On sent le narrateur perdu moins dans Paris que dans sa propre vie [Il se présente,vêtu pauvrement, vivant seul, dans une simple chambre d'hôtel], à la recherche de cette femme mais aussi d'une façon plus secrète de sa propre identité à travers l'exploration de sa mémoire [« Très tôt peut-être, même avant la période de l'adolescence, j'avais eu le sentiment que je n'étais issu de rien ». « Quelle structure familiale avez-vous connue ? J’avais répondu : aucune ». « Il y avait peut-être toute une partie de ma vie que je ne connaissais pas, un fond solide sur sables mouvants. Et je comptais sur la Fiat couleur vert d'eau et sur sa conductrice pour me le faire découvrir »]. Il y a, tout au long de ce roman, un climat mystérieux qui reprend ce thème. L'attitude du narrateur reste énigmatique, la personnalité de Jacqueline Beausergent pose question quant à celle de Solières-Morawki, elle est carrément opaque. A la naïveté du narrateur, j'ai eu envie d'opposer une sorte de crapulerie des deux autres personnages.
Un autre thème récurrent est celui du père. Ici, il est juste évoqué à travers des rencontres furtives avec son fils, mais ce personnage à bien des égards mystérieux reste pour le narrateur une énigme, un personnage insaisissable. Il est présenté comme un homme avec qui il a des rendez-vous dans des cafés avant de disparaître complètement et non comme un père attentif à la vie de son enfant. La seule chose qu'il tient de son géniteur est un carnet d'adresses qu'il lui a dérobé et qui va lui permettre de mener à bien sa quête.
Comme toujours, ce roman a été un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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