La petite fille de Monsieur Linh
- Par hervegautier
- Le 03/08/2017
- Dans Philippe Claudel
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La Feuille Volante n° 1161
La petite fille de Monsieur Linh – Philippe Claudel – Stock.
Depuis que le monde existe, il y a des guerres et avec elles des populations qui fuient les combats et arrivent dans des pays qu'elles ne connaissent pas, dont elles ne parlent pas la langue et ne supportent pas le climat. Ici aucune date, un pays qu'on devine au début, seulement l'hiver froid et humide, mais qu'importe. On peut supposer qu'il s'agit de la guerre du Vietnam et que M. Linh a quitté son pays après la mort de sa fille et de son gendre et emporte avec lui sa petite-fille encore bébé à qui il s'accroche parce qu'il n'a plus qu'elle. Après la peur de la mer, des bateaux, des passeurs, ils arrivent tous les deux en France et leur sort est celui de tous les réfugiés, plus ou moins bien accueillis, plus ou mois bien acceptés, étrangers dans un pays étranger. Il y a en qui s'adaptent parce qu'ils ont l'avenir devant eux et et la volonté de s'en sortir et d'autres qui se recroquevillent sur leur passé, à en devenir fous, mais pour M. Linh, il y a la peur qu'on lui vole sa petite-fille, la nostalgie de son pays qu'il ne reverra sûrement pas, les morts qu'il a laissés là-bas et dont il ne peut que se souvenir, cette langue nouvelle qu'il ne comprend pas et qu'il ne pourra pas apprendre.
Il est difficile de ne pas être bouleversé par ce roman qui met en scène ce pauvre homme ballotté dans un pays qu'il ne connaît pas, plus ou moins rejeté par les siens parce qu'il est pour eux une charge et ce malgré le sourire, l'amitié et la compassion de ce Français, M. Bark , aussi malheureux et solitaire que lui. Ces deux êtres ne parlent pas la même langue, n'ont pas le même parcours, mais ils se comprennent sans avoir besoin de mots et pour eux les larmes suffisent qui en disent plus longs que des discours. C'est un peu comme s'ils partageaient la même folie autour de la petite-fille de M. Linh. qui pourtant n'est présente dans ce roman qu'en pointillés dans le décor changeant de la vie de son grand-père. Chaque homme a une histoire cabossée et souvent tue parce qu'elle fait partie de lui-même, de sa mémoire intime qu'on ne peut partager parce que la douleur est forcément personnelle et que les mots, soit restent dans la gorge et ne peuvent sortir, soit sont impuissants à exprimer ce qu'on ressent. Le partage par la parole, le témoignage oral ou écrit n'est pas la chose la plus aisée et quand notre destin bascule, à cause du hasard ou par la faute d'autrui, le verbe n'est pas obligatoirement libérateur, surtout quand on se heurte, comme ici au barrage de la langue, les solutions apportées par le système de santé pas forcément adéquates et efficaces. Il y a la résilience, la folie, le temps qui gomme tout et le trépas qui efface tout, le souvenir, l'absence, les remords, la culpabilité, la mort sont là aussi et font partie de cette condition humaine à laquelle nul ne peut échapper et avec laquelle il faut vivre, le plus souvent dans le silence. Le drame de M. Linh c'est qu'il a habité un pays qui a toujours connu la guerre, même s'il avait la couleur et le goût du paradis et que la France ne sera jamais autre chose pour lui que le pays de l'exil. Il est surtout difficile de ne pas être ému par l'épilogue, à la fois poétique et dramatique, une sorte de happy-end qui n'est n'est pas vraiment un.
Ce court roman se lit bien et rapidement, le style est spontané, presque naïf et porte dans un rythme soutenu et pourtant assez lent cette histoire où l’empathie du lecteur pour ce pauvre M.Linh va grandissante.
© Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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