LA PREMIERE GORGEE DE BIERE - Philipe DELERM EDITIONS L'ARPENTEUR
- Par hervegautier
- Le 06/02/2010
- Dans Philippe DELERM
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N°268 – Février 2007
LA PREMIERE GORGEE DE BIERE – Philipe DELERM – EDITIONS L'ARPENTEUR
L'auteur et moi sommes de la même génération, alors, forcément, nous avons quelque chose en commun, au moins l'époque. Peut-être pas autant que cela, parce que moi, je suis un provincial, version France profonde, et j'ai toujours voulu cultiver cela, alors “Les loukoums chez l'Arabe” et “Le trottoir roulant de la station Monparnasse”, cela m'est un peu inconnu, quoique...
le reste en revanche, m'a beaucoup parlé, je veux dire que cela a fait renaître en moi des souvenirs d'enfance. C'est paradoxale peut-être puisque “La première gorgée de bière”, “Prendre un porto” ou le grog des jours de fièvre étaient, à cette époque, plutôt interdits et le secret tenait lieu de plaisir, mais quand même...
Je me souviens des sorties de la messes dominicales qui ne se terminaient jamais sans le passage obligé dans l'odeur chaude d'une pâtisserie, dans le choix de ces douceurs de fins de repas et du cérémonial qui entourait cet achat. L'odeur des pommes qui embaumaient la cave, les fruits qui offraient leur chair ferme et blanche à l'appétit du gourmand, tout cela appelle une ambiance campagnarde qui me parle. A l'époque où on ne peut plus se déplacer qu'assis au volant d'une voiture, le frottement d'une dynamo sur le pneu d'un vélo m'a rappelé un moyen de transport dont j'ai beaucoup usé dans ma jeunesse. Il était presque un plaisir quand rouler la nuit était interdit et que la première bicyclette ne comportait même pas d'éclairage autant pour dissuader son jeune utilisateur que pour marquer la différence avec les adultes. Pour moi non plus “Le petit frr frr rassurant semble n'avoir jamais cessé” et avec lui l'onglet de l'hiver, le bruit de la chaîne et le plaisir de se déplacer autrement qu'à pied...Moi aussi, je me souviens des inhalations qui vous laissaient le visage moite et les poumons dilatés de chaleur et de camphre, mais aussi l'huile de foie de morue et les cataplasmes brûlants... Cela faisait partie de ces maladies de la petite enfance qu'il était presque obligatoire d'avoir eues parce qu'elles étaient regardées comme un vaccin pour le reste de la vie. Elles avaient au moins l'avantage de maintenir dans la moiteur du lit, le petit malade qui bien souvent avait recours à des artifices pour y demeurer plus longtemps et surtout elles dispensaient d'école...Il y avait bien les sirops amers, les médicaments en ampoules...
Mon enfance à moi, c'est aussi les trains, les omnibus, les michelines bicolores aux couleurs délavées et même les wagons inconfortables et malodorants de 3° classe... Les express et les rapides de 1°classe étaient un luxe auquel je n'ai jamais eu droit. Moi, mon enfance, c'était aussi la ouate blanche d'une locomotive à charbon qui m'enveloppait quand je passais sur le pont de chemin de fer, les bains de mer solitaires sur une plage déserte de septembre ou des boules de glace “vanille-fraise” dans des cornets craquants, des hivers en culotte courte et des étés étouffants d'espadrilles à semelles de corde, dans la bruyante ambiance de la caravane du tour de France.
Le dimanche soir a toujours eu quelque chose de triste et la rentrée des classes sentait les vêtements neufs, les chaussures qu'il faudrait briser en récréation ou en promenade, les cahiers dont les pages blanches à la portée bleue seraient bientôt remplis de mots copiés avec des pleins et des déliés d'encre violette et la complicité obligatoire des plumes “sergent-major”, des notes rouges du maître d'école mais aussi des taches en forme de larmes...
Et puis, il y cette ambiance, ce climat distillé par les textes. Ils m'évoquent, par la simplicité des mots et la saveurs des phrases, les poèmes de Léon-Georges Godeau qui sont gravés dans ma mémoire. Leur nostalgie m'enveloppe et m'envoûte, le passé revit autant que m'émerveillent ces moments évoqués ici, même s'ils ne sont pas tout à fait miens. Ce sont des instants certes pleins de banalité mais qui font le quotidien de chacun d'entre nous et éveillent nos souvenirs, avec aussi ce sens de la formule de l'auteur, comme une morale définitive “Mouiller ses espadrilles c'est connaître l'amère volupté d'un naufrage complet”, “L'odeur des pommes est douloureuse. C'est celle d'une vie plus forte, d'une lenteur qu'on ne mérite plus”...
Ce ne sont peut-être que des mots, du vent, diront certains, mais moi j'aime bien!
© Hervé GAUTIER - Février 2007
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