NUMERO ZERO
- Par hervegautier
- Le 29/09/2015
- Dans Umberto Eco
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N°963– Septembre 2015
NUMERO ZERO – Umberto Eco – Grasset.
Traduit de l'italien par Jean-Noël Schifano.
Nous sommes à Milan en 1992 et Simeil décide de créer un journal financé par le commandeur Vimercate avec cinq hommes et une femme. Le plus étonnant est qu'il part du principe que la presse quotidienne ne fait plus le poids devant la télévision et internet et que le lecteur est informé par eux avant d'ouvrir son journal. Autant dire qu'il part battu. Il propose donc de parler dans ce journal de ce qui pourra se passer demain, d'ailleurs il le baptise « Domani ». En réalité, il veut un journal qui se nourrit du scandale avec l'apparence de la respectabilité. Pour cela il faut faire un test et ce sera le « numéro zéro ». Bien sûr il y aura les traditionnelles rubriques nécrologiques, l'horoscope, le sport et les incontournables « mots croisés » mais tout cela autrement. Il faut cependant un scoop et l'un des journalistes, l'inquiétant et mythomane Braggadocio, croit l'avoir trouvé en révélant que Mussolini n'est pas mort en 1945, que c'est un sosie qui a été exécuté à sa place, qu'il a été exfiltré par les Alliés, qu'il a vécu encore pendant vingt cinq années pendant lesquelles il a pesé sur la politique italienne de l'après-guerre, que cela explique les Brigades Rouges, la loge P2, la mort suspecte du pape Jean-Paul 1° et l'attentat contre son successeur, les magouilles bancaires du Vatican… Bref du complot et de l'espionnage à tous les étages ! Après tout, cette histoire d'hommes disparus et pas vraiment morts dont on attend le retour hypothétique ce n'est pas autre chose que la transposition dans le contexte humain de la parousie ! Mais cela n'est pas sans risques même s'il est patent que nombre de nazis ont pu gagner l'Amérique du Sud grâce à l’Église de Rome, que la Mafia existe aussi dans ce pays, tout comme la CIA et qu'elles n'hésiteront pas à faire disparaître un témoin gênant. D'ailleurs l'auteur file ce genre de métaphore jusqu'à la fin... Quant à ce commandeur qui semble tirer les ficelles, que personne ne voit jamais mais dont l’ombre plane sur le journal, il ressemble à ces patrons de presse qu'il ne faut surtout pas mécontenter, même si cela contrevient quelque peu au sacro-saint devoir d'informer qui devrait être l’élémentaire devoir de tout journaliste. Je remarque qu'il y a quand même une note d’espoir dans tout cela en la personne de Maia, la seule femme du groupe de journalistes qui est cependant marginalisée par le seule fait qu'elle est une femme mais qui rappelle sans cesse autour d'elle la voix du bon sens et de la raison.
Umberto Eco s'en donne à cœur joie sur la manipulation des masses par les médias, les mensonges d’État et leurs résultats sur l'esprit des lecteurs et sur leur opinion car n'oublions pas qu'ils sont aussi des électeurs. Entre info et intox, qui peut prétendre détenir la vérité face à la théorie toujours vivante du complot, la tentative de désinformation ou de détournement d'opinion dans un contexte de mythomanie générale ? Nous l'avons souvent constaté après coup, plus le mensonge est gros plus il prend. On nous a fait croire pendant des années au « Péril jaune », à « l'affaire Dreyfus », « aux armes de destruction massives » en Irak et la liste est longue, même si au bout du compte la vérité éclate. Et je ne parlerai même pas promesses électorales et même des religions ! Que le peuple, dont nous faisons partie, soit influençable et surtout aussi amnésique, que ce genre d'attitude bafoue la démocratie à laquelle nous sommes tant attachés, que nous préférions de plus en plus la presse people avec ses relents de scandale à la simple information, tout cela sont des évidences mais, sans être spécialiste, il m'a semblé que les remarques distillées dans le roman ne sont pas si « fictives » que cela et s'adresse aussi à la presse en général.
Le roman est agréable à lire, ironique et même humoristique par moment, plein de suspense, mais quand même sacrément pertinent tant il peint une espèce humaine fondamentalement amnésique, prêt à croire n'importe quoi, sans le moindre scrupule pour qui tout est bon pour se faire valoir ou gagner un peu d'argent et aussi la société dans laquelle nous vivons tous, sans grand espoir de la voir changer. Quant au monde de la presse, cantonné ici à l'Italie dont l'histoire politique ne m'est guère familière, il est quelque peu égratigné et l'exemple est parfaitement transposable aux autres pays où règnent aussi la corruption et l'hypocrisie.
Hervé GAUTIER – Septembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com
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