la feuille volante

MEURTRES SUR LE FLEUVE JAUNE

N°544 – Novembre 2011. 
MEURTRES SUR LE FLEUVE JAUNE – Frédéric LENORMAND – FAYARD.
Les nouvelles enquêtes du juge TI.

Scène ordinaire à la cour des Tang. Dame Wu, la toute puissante impératrice, vient de signer l'arrêt de mort d'un homme. Malgré les tortures, le condamné n'a pas donné le nom de ses complices et surtout celui de ses chefs qu'on soupçonne être des courtisans, toujours volontiers comploteurs et corrompus. Pour déjouer les tentatives d'insurrection, il faut quelqu'un capable d'efficacité autant que d'une fidélité sans faille au Fils du Ciel. C'est ainsi qu'entre en scène un jeune et obscur sous-Préfet en poste dans la petite ville de Peng-Lai, à l'embouchure du Fleuve Jaune. Son nom: Ti Jen-tsié. 

Voilà donc notre magistrat convoqué dans la capitale. Mais il craint le pire puisqu'il vient de démanteler, dans un monastère bouddhiste, un trafic d'or préjudiciable aux finances de l'État. Il s'attend en effet à devoir se justifier devant un empereur sans véritable autorité et à répondre de son zèle face aux religieux très influents à la cour. Ce voyage en bateau sur le fleuve Jaune qui le mènera jusqu'à la capitale, a donc pour Ti des accents d'humiliation. Il ne tarde pas cependant à s'apercevoir que ses craintes sont infondées et à peine embarqué, il reçoit, en grand secret, l'ordre d'assurer la sécurité d'un témoin, le mystérieux Lai Junchen, instamment attendu à « la Cité interdite », sans qu'on ait pris la peine de le lui désigner parmi les passagers. Jusqu'à la fin, il restera insaisissable. Dans le même temps, des crimes et tentatives d'assassinats sont perpétrés autour de lui et parfois contre lui-même, transformant en périlleux parcours ce qui aurait dû être un paisible voyage, le fleuve Jaune méritant une nouvelle fois son surnom de « Chemin des enfers ». Du coup, notre magistrat, désireux de faire régner l'ordre dont il est garant, rompt l'anonymat dont il entourait sa personne pour reprendre ses habits de mandarin. Dès lors la jonque, ou plus exactement les jonques sur lesquelles il accomplit son périple mouvementé, deviennent un microcosme, une société en raccourci qui ressemble à celle de sa circonscription. Il doit y étendre son autorité et mener son enquête. Ti est un intellectuel, un lettré que ses fonctions mettent cependant en situation de côtoyer l'espèce humaine la plus dépravée, assassins, voleurs, délinquants, membres de sociétés secrètes qu'il a soin de combattre et de démasquer avec autant de finesse que d'efficacité. Il se révèle, comme toujours, non seulement un fin limier mais aussi un habile négociateur qui obtient ce qu'il désire. Ses investigations sont pour lui l'occasion de porter sur ses contemporains un regard critique. Tout pétri de confucianisme ainsi qu'il sied à un haut-fonctionnaire de l'Empire, il ne manque jamais de se laisser aller à des remarques parfois acerbes en direction des religieux, bouddhistes et taoïstes. Il n'en est cependant pas moins homme et n'est pas insensible à la vision fugace et fragile des femmes qu'il croise. Les femmes justement lui réserveront au cours de cette traversée de bien curieuses surprises !
Comme souvent dans cette série consacrée à Ti, l'eau revient sous la forme de thème récurrent [« Le château du lac Tchou-An », « Le mystère du jardin chinois »].

Comme je l'ai tant de fois dit dans cette chronique, j'aime lire Frédérique Lenormand. J'apprécie son humour alternativement subtil, caustique et jubilatoire qui doit beaucoup à l'euphémisme, la façon qu'il a de dépayser son lecteur, le plongeant dans cet univers inconnu de la Chine, non seulement grâce à des descriptions poétiques mais aussi à des apostilles culinaires, culturelles ou religieuses.
Le récit est divisé en courts chapitres introduits par quelques mots qui les résument, la phrase est agréable et le suspense entier. J'ajoute une chose que je considère essentielle chez un écrivain. En effet, Lenormand a cette faculté d'intéresser son lecteur dès la première ligne d'un livre et de ne l'abandonner qu'à la fin sans que l'ennui s'insinue dans sa lecture.

Qu'il mette en scène le XVIII° siècle dont il est un éminent spécialiste, qu'il nous parle de Voltaire pour qui il a une tendresse particulière ou qu'il nous fasse profiter avec bonheur des aventures réelles du Juge Ti dont il s'approprie la personne et à qui il prête, le temps d'un récit,  ses remarques personnelles, la lecture d'un roman de notre auteur est toujours pour moi un grand moment de plaisir. 



©Hervé GAUTIER – Novembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

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