la feuille volante

Adrien Goetz

  • La dormeuse de Naples

    La Feuille Volante n° 1253

    La dormeuse de Naples – Adrien Goetz – Éditions Le passage.

     

    Avant d'être un roman, c'est un tableau qui représente une femme nue endormie dans une pause lascive, peint par Ingres pour Joachim Murat, Roi de Naples, quelques années avant « La grande odalisque » réalisée par le même artiste pour Caroline Murat et qui fit scandale, l'un des tableaux étant le pendant de l'autre. Or « la dormeuse de Naples » a disparu en 1815 lors de la chute du royaume de Naples, le pillage du palais royal et le rétablissement des Bourbons. Pour sa réalisation Ingres s'est inspiré autant de la Renaissance que de la statuaire antique.

    Cette disparition qui reste toujours un mystère pour les historiens de l'art, a librement inspiré notre auteur pour ce roman. Adrien Goetz s'approprie effectivement cet épisode pour mener une sorte d'enquête, mais sous la triple personnalité d'Ingres, de Corot, d'un ami de Géricault. Il imagine qu'Ingres vieillissant, comblé d'honneurs, se remémore sa rencontre dans Naples avec une femme pauvre d'une étonnante beauté qui accepte d'être son modèle. Bien entendu, avant même de la peindre il en tombe éperdument amoureux et cela laisse évidemment la place au fantasme le plus échevelé et même au délire, mais elle ne devient pas pour autant sa maîtresse même s'il l'évoque comme une séductrice. L'auteur nous décrit le vieux peintre solitaire, meurtri par la perte de son tableau et la mort de son modèle, désenchanté de tout, qui règle même quelques comptes avec ses contemporains au sujet de la peinture et du sens qu'ils ont de l'esthétique et surtout qui regrette Naples et sa jeunesse, qui voudrait bien retrouver cette ville incognito pour y mourir tant sa nostalgie est grande. Puis vient le tour de Corot, également vieux et semble-t-il préoccupé par la vie après la vie (il est beaucoup question d'indulgences). Selon lui il n'appréciait guère Ingres mais confesse au lecteur tout l’effet que lui a fait le tableau… et le modèle, bien qu'il fût plutôt attiré par la peinture des paysages..Quant au troisième intervenant, nous ne saurons rien de lui, sinon qu'il est Italien établi en France comme propriétaire terrien, peintre amateur, « élève de Géricault » comme il aime à se qualifier lui-même, mais en fait un simple rapin devenu photographe. Chacun d'eux, entre affirmations convaincantes et déclarations intimes teintées d'une bonne dose d'extravagance, prétend avoir revu le tableau disparu autant qu'avoir croisé ou connu celle qui a servi de modèle, sujet passionnant s'il en est, ce qui laisse la place à pas mal de commentaires inspirés autant par le souffle de l'histoire que par celui de l'imagination. C'est en fait un ouvrage pas le moins du monde historique selon l'aveu même de l'auteur.

    J'ai lu ce court roman fort bien écrit et documenté comme un hymne à la beauté de la femme, ce qui n'est pas pour me déplaire, mais en revanche je me suis un peu ennuyé à l'évocation de « aventures » de ce tableau, de ses modèles supposés et de ces trois protagonistes. Il est vrai qu'il reste un mystère encore aujourd'hui et se prête évidemment à tous les fantasmes. Cet ouvrage a au moins permis de réveiller la mémoire et l’œuvre d'Ingres et, à titre personnel, de m'inviter à méditer sur la « vérité littéraire » .

     

    J'avais déjà croisé Adrien Goetz avec « Le coiffeur de Chateaubriand » (La Feuille Volante n°510) que j'avais peut-être mieux aimé. 

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • LE COIFFEUR DE CHATEAUBRIAND – Adrien Goetz

     

    N°510 – Mars 2011.

    LE COIFFEUR DE CHATEAUBRIAND – Adrien Goetz – Grasset.

     

    Nous sommes à Paris au milieu du XIX° siècle. Chateaubriand à 72 ans et Adolphe Pâques, son coiffeur seulement 24 ! L'écrivain menacé d'une calvitie totale veut constamment ressembler au portrait de sa jeunesse, immortalisé par Girodet, dans les ruines de Rome, les cheveux aux vent ! C'est, pour notre figaro, un véritable défi, autant dire la quadrature du cercle !

    C'est que, malgré la différence d'âge et de condition, il existe entre les deux hommes bien des affinités. François René de Chateaubriand, écrivain reconnu par tous, ancien diplomate, Pair de France est un homme célèbre qui ne veut pas vieillir. Adolphe Pâques non seulement admire son client mais aussi, sans oser le lui avouer, connaît par cœur des pages entières de ses œuvres et conserve pieusement, comme des reliques, toutes les mèches de ses cheveux. Il y a donc entre eux plus qu'une relation professionnelle et Adolphe voue à René une véritable admiration. Adolphe est donc à la fois un grand témoin, une sorte de confident et un homme de l'ombre [« Nous sommes plus efficaces que des avocats, nous dénouons les problèmes comme les chignons, nous démêlons, nous passons les appartements au peigne fin. »]. Il a aussi le privilège de le voir au naturel dès le matin, mal rasé et ébouriffé, et a la lourde tâche de masquer les outrages du temps. D'autant que, arrive dans sa vie une jeune mulâtre, Sophie de Kerdal, venue de Saint-Malo. Elle ne peut laisser indifférent le vieux séducteur qui a aussi consacré sa vie aux femmes. Elle ne donne pourtant pas l'image traditionnelle de la femme romantique. Elle incarne non seulement la beauté, mais aussi la liberté, la culture, l'exotisme, mais s'habille en homme, ce qui est, pour l'époque, peu commun... En fait c'est un personnage fictif mais qui correspond à toutes ces femmes enamourées qui écrivaient au Malouin. C'est aussi pour sauver d'autres apparences qu'il organise leurs rencontres... chez son coiffeur.

    A ses derniers cheveux correspondent les derniers feux de ce symbole du Romantisme qui, après avoir passionnément aimé la vie ne veut pas mourir. Sophie ne se contente pas de séduire le vieillard et de disparaître [fut-elle son dernier amour ? S'enfuit-elle en sa compagnie à Venise ?], elle révèle la vraie personnalité du coiffeur, son côté caché, jaloux, un peu espion, ses velléités meurtrières aussi pour un écrivain tant admiré et qu'il finit par haïr.

     

    On pouvait craindre un récit austère des dernières années de vie de l'auteur d' « Atala », celles-ci ayant été dédiées à la maladie, à la religion, à la nostalgie et à l'édification de sa nécessaire statue pour la postérité sous la forme de la rédaction peaufinée et toujours en gestation des « Mémoires d'Outre-tombe »... Il n'en est rien cependant. C'est une plaisante narration, fort bien écrite, bien documentée, pleine d'humour, de sensibilité et de subtilités. Goetz en professeur passionné nous fait découvrir le secret de cette société dont les actionnaires avaient investi dans la publication des « Mémoires d'Outre-tombe » pour toucher des dividendes... après sa mort. Chateaubriand, à la fois matois et craint pour les éventuelles révélations qu'il pourrait y faire, n'était guère pressé [« Il fallait organiser l'attente, et malgré tout, vivre le plus longtemps possible. Chateaubriand voulait jouir du spectacle. C'était Charles Quint dans son monastère suivant son propre enterrement derrière un pilier. »].

    On y voit Mme Céleste de Chateaubriand révélant des secrets de la famille de son époux, sur sa noblesse et surtout sur sa fortune. Elle nous confie que les œuvres de son époux sont pour elle illisibles et même soporifiques.

     

    Adrien Goetz ressuscite cet authentique coiffeur qui durant huit années et jusqu'à la mort de Chateaubriand fut aussi son confident. Ce fut un homme obscur mais il restitua des moments de ce grand homme tant vénéré de son vivant. Il a lui-même réalisé un tableau représentant la chambre natale de l'écrivain avec les cheveux du vicomte, mais aussi laissé des mémoires publiés en 1872.

     

    Je ne connaissais pas cet écrivain révélé par hasard. Je continuerai d'explorer son imaginaire, son érudition, la magie de son écriture.

     

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2011.http://hervegautier.e-monsite.com