la feuille volante

Agostino

La Feuille Volante n° 1249

Agostino - Alberto Moravia – Flammarion.

Traduit de l'italien par Marie Canavaggia.

 

Agostino, c'est un garçon de 13 ans, seul en vacances sur une plage d'été avec sa mère, une belle et riche veuve… Cela fait monter chez lui un sentiment de fierté et de bonheur d'avoir une jolie femme rien que pour lui. Il est normal qu'à cet âge il voit sa mère comme une véritable déesse déshumanisée, pure et idéale devant ses yeux d'enfant. Mais si un homme, inconnu vient s'insinuer dans cette relation filiale, avec sa complicité à elle, il n'en faut pas davantage pour le perturber. Elle est certes sa mère mais aussi une femme jeune, jolie, désirable et sensuelle, que ne rebute pas une passade d'été. S'imaginait-il qu'elle devait restée fidèle à la mémoire de son mari mort ou s'occuper jusqu'à l'étouffer de son fils naïf ? Pour exorciser cette prise de conscience, provoquée peut-être aussi par un gifle maternelle, il se rapproche d'une bande de vauriens, fils de pêcheurs pauvres avec qui il n'a rien de commun et qui l'humilient, ce qui ne va pas arranger ses désillusions. Leur relation, bien qu'éphémère, sera toujours emprunte de malentendus, Agostino. souhaitant s'identifier à eux alors qu'ils le rejettent comme un étranger. Nous savons que les enfants entre eux ne se font pas de cadeaux et c'est sans doute leur façon d'aborder cette vie qui ne leur en fera pas non plus, et lui, le gosse de riche, devient rapidement leur tête de Turc. C'est la sortie de l'enfance, cette période le plus souvent perturbée où l'on prend conscience des ses erreurs, avec peut-être l'intuition de ce que sera la suite. Moravia, comme c'est souvent le cas dans son œuvre, fait appel à la mémoire pour évoquer cette période où l'on perd son innocence, parfois brutalement, et où nos yeux s'ouvrent sur le monde qui nous entoure. Agostino, enfant vivant dans une sorte de bulle, aura donc, et sur un court laps de temps, la révélation de ce qu'est l'argent, la violence, le sexe, la sensualité, le vice, l'hypocrisie, la méchanceté, bref la vraie image des gens et de la société, bien loin de ce qu'il imaginait. Ce sera donc pour lui l'été des initiations désastreuses, une véritable chute.

C'est que pour Agostino, le désenchantement ne s'arrête pas là, il comprend aussi qu'il devra attendre et souffrir pour accéder à cette condition d'homme à laquelle il aspire. Sa volonté de quitter prématurément ce séjour de vacances est révélateur comme l'est cette envie subite de mourir dans la barque, pleine de ses copains obscènes, qui le ramène sur la plage. Dans cette Italie marquée par le catholicisme et la culpabilité judéo-chrétienne, je vois dans l'innocence de cet enfant, une sorte de « péché originel », dont il a hérité avec la vie. C'est une faute qu'il veut se faire pardonner, celle d'avoir cru que le monde autour de lui était idyllique à la mesure de ses convictions personnelles et la violence avec laquelle tout cela s'effondre a une dimension rédemptrice. Dans le même contexte, il peut aussi être vu comme un être chassé brutalement de ce « paradis terrestre » de son enfance. Pour lui sa mère ne sera plus cet être idéal et désincarné qu'il avait rêvé, mais une femme désireuse de profiter de la vie et de ses plaisirs. Pour autant, il n'en a pas fini avec les désillusions et la vie se chargera de lui donner d'autres leçons et achèvera de le corrompre. Personnellement, je ne sais ce qui, au bout du compte, en résultera, s'il choisira de se couler dans le moule du plus grand nombre ou s'il refusera la réalité.

Comme toujours, j'ai apprécié le style, toujours fluide et poétique de l'auteur autant que les analyses psychologiques de ses personnages qui ici marquent les étapes de la prise de conscience d'Agostino, des mutations et des crises qu'il subit.

 

 

© Hervé GAUTIERMai 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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