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soif


 

La Feuille Volante n° 1409Novembre 2019.

Soif - Amélie Nothomb - Albin Michel

 

Amélie Nothomb sort son habituel roman annuel, malheureusement pour elle non couronné par le prestigieux Prix Goncourt, et choisit pour sujet la vie de Jésus dont on nous a rebattu les oreilles depuis des siècles, rien de bien original! J’observe d'ailleurs que c'est généralement un sujet de vieux auteurs qui veulent ainsi recommander leur âme à un éventuel dieu et assurer leur Salut. Même si j'aborde toujours les romans de notre auteure avec beaucoup de circonspection, je me suis donc dit que nous allions assister à un nouvel évangile apocryphe selon Amélie et je le déplorais par avance car je ne goûte guère le prosélytisme même en dehors des didactiques mais ennuyeux textes religieux. Eh bien, à ma grande surprise, il y a ici une liberté iconoclaste et même humoristique qui ne m'a pas déplu. Elle commence son récit en nous présentant Jésus qui est le narrateur de sa propre existence, d'où le texte à la première personne, la veille de son exécution, quand tout le monde l'a trahi, y compris les bénéficiaires de ses miracles et qu'il doit affronter flagellations, injures et affres de la mort et qu'il se souvient de sa courte vie. Il se montre, non comme un dieu mais comme un homme, certes doué de pouvoirs magiques, mais comme un être avec ses fêlures, ses défauts, et qui est amoureux de Marie-Madeleine à la suite d'un "coup de foudre" réciproque et ne s'est pas privé pas de sexe avec elle! Il évoque en vrac, le mysticisme, le sommeil, Dieu, l'incarnation, la figure de Judas, le pardon... mais il ne me paraît guère convaincant et même un peu déroutant, affirme qu'il a choisi pour y naître ce pays désertique et brûlant et file la métaphore de la soif, sans doute pour justifier le titre de ce roman. Il prétend même qu'il se sert de cette soif pour faire échec à sa douleur de supplicié, cette soif qui sera étanchée par un compatissant soldat romain. Il reprend souvent le thème de l'eau, l'applique à Marie-Madeleine, à Dieu, à la religion, à l'amour; là aussi, j'ai eu un peu de mal à le suivre. De même quand il est question de l'après-mort. Je n'imagine pas un tel Christ et je me plais à imaginer que c'est Amélie Nothomb qui parle par sa voix, surtout quand elle se laisse allée à des explications sémantiques.

Mon éducation religieuse, surtout dans sa version catholique, m'a donné, avec le temps et la réflexion, l'occasion de faire de ce culte une lecture différente que celle distillée par les dogmes et les mystères et j'ai pu vérifier que notre auteure partage certaines de mes critiques personnelles. Certes, Jésus accepte avec fatalisme la crucifixion puisque tel est le destin auquel il ne peut se dérober, certes il est seul face à sa Passion mais semble être d'une grande lucidité malgré tout puisqu’il y a dans son attitude un petit côté masochiste. Il souffre certes et va mourir mais cela ne l'empêche pas de raisonner. Pire peut-être, il remet en question l'amour de soi, inexistant dans son cas, et qui ne peut justifier l'amour de l'humanité, s'en prend à Dieu le Père qui a fait l'erreur de sacrifier son propre fils, s'en veut lui-même de lui avoir obéis jusqu’au bout, ce qui a fait de sa vie un échec et met même en doute le sens de son amour pour le monde et sa mort pour l’expiation des péchés des hommes, ceux du passé mais surtout de ceux à venir! Il déplore qu'on se souvienne de lui, de son sacrifice et qu'on en profite pour fonder une religion. Il va même jusqu'à inverser la culpabilisation qu'on nous a inculquée en s'accusant lui-même de ce qui peut-être regarder comme un culte de la personnalité. Il remet même en cause ses propres paroles rapportées par les évangélistes, décrit une mort bien différente, et une mater dolorosa rajeunie et moins souffrante, un enfer qui n'existe pas, à tout le moins dans sa version évangélique. C'est, me semble-t-il, une version bien lointaine de celle du catéchisme mais néanmoins possible dans la cadre de sa liberté d'écrivain .

Je ne connais pas l'auteur personnellement mais j'imagine que ses origines nobles l'ont liée au catholicisme avec lequel elle prend ici ses distances. Parmi tous les romans déjà lus de cette auteure, je trouve celui-ci surprenant, c'est pourtant "le livre de sa vie", avoue-t-elle. Comme d’habitude, j'ai apprécié le style classique et clair de notre auteure qui rend la lecture de ce court ouvrage agréable et rapide, mais ça n'a pas vraiment suffi à emporter mon adhésion à cette œuvre, comme souvent!

©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

 
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