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la feuille volante

Andreï Kourkov

  • le pingouin

    N°1764– Juillet 2023

     

    Le pingouin – Andreï Kourkov - Éditions Liliane Levi.

    Traduit du russe par Nathalie Amargier.

    Victor est un écrivain raté, un peu paumé et dépressif qui vivote dans une Ukraine post-soviétique avec un pingouin, Micha, fourni par le zoo local qui n’a plus les moyens d’entretenir ses animaux et Sonia,une petite fille de quatre ans tombée du ciel. Un peu par hasard on lui propose de rédiger des nécrologies de personnalités, même si ces dernières sont encore en vie (pour combien de temps encore?). Faute de mieux il accepte et devient un journaliste reconnu mais apparemment recherché, à la vie menacée. Effectivement les meurtres mystérieux de ces VIP se multiplient autour de lui, perpétrés par un régime corrompu ou par la mafia locale de sorte que son travail et sa patience servent quand même à quelque chose. Victor ne sait pas trop où il en est mais évite de poser des questions parce que sa survie en dépend, lui fait-on savoir. Ici on combat l’hiver avec l’alcool mais aussi l’image que donne une société en pleine déliquescence. Je le trouve bien seul, ce Victor, malgré son pingouin et cette petite fille, Sonia, craintif aussi dans une société où chacun est épié dans le gris et de froid de l’hiver. Il semble être le jouet des événements qu’il traverse mais s’acquitte de sa tâche avec conscience. disparaît derrière des autres personnages, la petite fille, sa nounou, et même le pingouin, avec qui il forme une sorte de famille. Nous saurons à la fin la raison de son recrutement au sein du journal, la raison des sommes importantes qui lui ont été allouées, l’arbitraire de la situation dans laquelle il a été précipité, l’obsession de survivre, la peur de mourir, ... et le sort qu’on lui réservait

    J’ai apprécié ambiance kafkaïenne de ce roman, cette atmosphère de l’ère post-soviétique faite de corruption, d’espionnage, d’enquêtes inquisitoriales et par ailleurs empreintes d’iniquité mais aussi l’humour avec lequel tout cela est dit. La vodka sert à la fois à combattre le froid et surtout le décor et la déprime des citoyens noyés dans une normalité absurde, la façon assez expéditive de se débarrasser de quelqu’un devenu gênant et la reproduction fréquente de ce modus operandi, l’état plus que préoccupant de la médecine et des hôpitaux. On est donc loin d’une apparente histoire pour enfant symbolisée par le pingouin et la petite Sonia qui s’y attache.

    Les événements tragiques qui secouent actuellement le pays ont mis en lumière cet écrivain. Il nous révèle avec ce roman des détails surprenants de la vie des Ukrainiens au quotidien, les enterrements aux sons d’un orchestre, avec chants et pleureuses, les alcools forts qui se mesurent au poids, la détention de voitures de marques étrangères comme signes extérieurs de richesse, détails architecturaux...

    Victor est le type même de l’anti-héro dépassé mais j’ai été un peu déçu par le déroulé de l’intrigue qui parfois s’enlise.


     


     

  • Les abeilles grises

    N°1641 – Mai 2022

     

    Les abeilles grises – Andreï Kourkov – Liliane Levy

    Traduit du russe par Paul Lequesne.

     

    Nous sommes dans un petit village ukrainienne de la « zone grise » c’est à dire situé dans le Donbass entre l’armée régulière et les séparatistes pro-russes qui se livrent à des combats acharnés. Il ne reste plus grand monde sauf Sergueïtsh et Pachka, deux ennemis d’enfance que les événements ont cependant rapprochés. Ils ont fait taire leurs différents en réunissant leurs deux solitudes ce qui les oblige à s’entraider. Pourtant ils ne sont pas du même bord puisque que Sergueïtch, apiculteur, sympathise avec un soldat ukrainien, Petro, et Patchka s’approvisionne en nourriture auprès des Russes. Le quotidien est précaire, fait de bombardements et de la crainte des snipers et Sergueïch qui a grand soin de ses ruches, choisit de les éloigner de la guerre en les transportant dans d’autres contrées plus calmes et ensoleillées où il n’y pas de combats, en Ukraine puis en Crimée, mais son ennemi « véritable œil de Moscou » veille.

    Ce roman est une sorte de fable. Les abeilles ne servent pas qu’à favoriser le sommeil, elles sont ici un symbole de paix et le miel est pour Sergueïtch plus qu’une marchandise ou une monnaie d’échange, mais c’est aussi pour lui l’invitation à la réflexion en les comparant à l’espèce humaine qui, à ses yeux, vaut moins qu’elles. Elles pourraient bien lui servir d’exemple pour le travail et l’organisation de la société. Elles sont aussi fragiles quand il les retrouve, grises et ternes après un séjour chez les Russes, un peu comme si elles avaient été contaminées ou peut-être infectées par eux pour diffuser une maladie bactériologique. Ce qu’il fait pour se délivrer de son doute est significatif. On ne coupe pas aux traditionnelles libations de vodka et de thé brûlant malgré la guerre mais c’est la vie qui prévaut, à l’image de Petro qui survit à tout ces bouleversements .

    C’est évidemment un roman où fiction et réalité se confondent puisqu’il parle de cette guerre qui dure depuis quatorze années dans le Donbass. Ce n’est pas vraiment un roman aux accents prémonitoires comme « Le dernier amour du Président » qui met en scène quelqu’un qui est élu président à la surprise générale et qui doit faire face aux événements, mais il porte en lui de l’espoir. Cela évoque une réalité bien actuelle de ce pays.

    Ce roman met en exergue le talent de cet auteur ukrainien, né en 1961, dont « les abeilles grises » est le dixième roman. Les descriptions qu’il fait de la nature sont agréables à lire. Ce livre est aussi l’occasion pour nous, à travers le personnage de Sergueïtch qui promène sur le monde qui l’entoure un regard à la fois humain et philosophe, de goûter l’humour ukrainien et son sens de la dérision et parfois de l’absurde. C’est aussi l’occasion d’en apprendre un peu plus sur l’Ukraine, sur sa cuisine et le mode de vie de ses habitants et notamment sur Taras Chevtchenko (1814-1861) peintre et poète emblématique ukrainien qui symbolise la résistance de son pays contre les atteintes à sa liberté et à sa culture ainsi que l’émergence de l’esprit national. Cette référence n’est bien entendu pas sans évoquer la guerre qui a débuté en 2014 avec les revendications territoriales russes sur le Donbass et l’annexion de la Crimée et bien entendu les évènements actuels qui secouent l’Ukraine, injustement envahie et détruite par un « peuple frère » en vue de reconstituer l’ex-empire soviétique, sous la fallacieuse accusation de nazisme.

     

     

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