la feuille volante

LA NUIT TOMBEE – Antoine Choplin

N°680– Septembre 2013.

LA NUIT TOMBEE – Antoine Choplin – Éditions la Fosse aux ours.

Prix du roman France Télévision 2012.

Gouri est écrivain public à Kiev où il vit avec Térésa sa femme et leur fille Kesnia. ll revient à moto pour la première fois depuis deux ans dans le région contaminée de Tchernobyl interdite au tout habitant. Pourtant, avant de se retrouver dans la zone interdite il traverse des villages ou de rares être humains vivent encore et qui ont choisi de rester pour braver l'interdit ou simplement parce qu'ils n'avaient pas ailleurs à aller, au mépris de la souffrance et de la mort.

C’est que ces lieux ont été pour lui synonymes de bonheur familial jusqu'à l'explosion de la centrale et il a été contraint de les quitter. S'il a été épargné par la catastrophe, cela n'a pas été le cas de sa fille Ksénia contaminée par la radioactivité. S'il est là, c'est parce qu'il s'est assigné une mission : récupérer la porte décorée par leur fille de leur ancien appartement, à Pripiat. Pour cela il lui faut entrer dans la zone interdite malgré l'interdit, les soldats qui contrôlent et les trafiquants qui pilent tout, mais avant de pousser plus loin, il rencontre ses anciens amis, Iakov, Vera, Kouzma qui survivent comme ils peuvent, irradiés et malades. Avec eux, il évoque le passé, ceux qui ont choisi de se dévouer sans aucune protection pour tenter d'enrayer la catastrophe, ceux qu'on a appelés « les liquidateurs » et qui, pour la plupart sont morts, ces maisons enfouies par les bulldozers, ces champs qu'il a fallu décaper et traiter, ces villes désormais désertes et surtout ce silence, ce vide, ce monde désormais interdit. On évoque cet avant-goût de l’apocalypse en buvant de la vodka comme pour exorciser ces événements et ce présent qui est une hypothèque sur l'avenir et en mangeant des produits contaminés, comme par défit. Gouri a sa façon à lui de réagir, depuis la catastrophe, il a composé un poème par jour « comme un petit crachat de ma salive à moi dans le grand feu, et se sera comme ça tous les jours que Dieu me donnera. »

L'art serait-t-il le dernier rempart contre la souffrance et la mort, la barbarie, contre ce réacteur qui menace toute l'Europe, qui reste comme une insulte à l'humanité. Le nom de Tchernobyl n'est jamais cité comme si ce livre était celui d'un retour, celui d'un poète, d'un écrivain public qui a été « liquidateur » mais ne trouve rien de mieux que les mots pour réagir face à l'horreur et à la mort, « oui mai c'est déjà pas mal » note-t-il... Il y a aussi une une dimension poétique dans ce livre. Iakov, cet ami qui va mourir et qui le sait demande à Gouri le poète de l'aider à écrire, une ultime fois, une lettre d'amour à sa femme pour la remercier d'avoir été à ses côtés, quelque chose qu'elle aimera lire, qui lui fera du bien quand il ne sera plus là ! Il faut que cela soit écrit de sa main, par lui, comme si cela venait de lui, même si ce ne sont pas exactement ses mots. Cette complicité entre un homme qui va mourir et un autre qui va rester en vie se manifeste donc à travers des mots, de la poésie, la seule chose qui vraiment incarne la vie... Et puis il y a les poèmes de Gouri qui disent avec une grande économie de mots tout ce que cet épisode a eu de monstrueux et qui porte encore en lui sa dimension de mort. « La bête n'a pas d'odeur et ses griffes muettes zèbrent l'inconnu de nos ventres. D'entre ses mâchoires de guivre jaillissent des hurlements des venins de silence qui s’élancent vers les étoiles et ouvrent des plaies dans le noir des nuits. Nus voilà pareil à la ramure des arbres dignes et ne bruissant qu'à peine transpercés pourtant de mille épées à la secrète incandescence ».

© Hervé GAUTIER - Septembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire