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la feuille volante

Une malle pleine de gens

Une malle pleine de gens – Antonio Tabucchi – Christian Bougois éditeur.

 

Parmi tous les auteurs qui ont publié leurs œuvres au cours des siècles, certains deviennent écrivains mais peu marquent leur temps et leur art de leur empreinte. Fernando Pessoa est de ces poètes majeurs, moins sans doute par ce qu’il écrivit sous son nom que par ce qu’il publia sous celui de ses nombreux hétéronymes (On n’en décompte à peu près 72), une fiction au terme de laquelle « il était un autre sans cesser d’être lui-même » selon la formule consacrée. Lui qui publia peu sous son propre nom (des chroniques, des articles, des essais et quelques recueils de poèmes dont beaucoup sont posthumes), s’exprima vraiment à travers eux, mais cette pratique est bien différente du pseudonyme très en vogue chez les écrivains et bien différente d’un simple artifice littéraire. Pessoa créa ainsi des personnages, des écrivains, en leur donnant un état-civil, une date de naissance et une mort, (parfois un horoscope) une personnalité, une œuvre, un style… différents pour chacun. (Antonio Tabucchi analyse finement les principaux d’entre eux en insistant sur les différences et les ressemblances avec Pessoa). Cette sorte de dédoublement est unique dans l’histoire de la littérature si on excepte Rimbaud (« Je est un autre ») et dans une moindre mesure Nerval qui n’ont jamais été aussi loin dans l’exploration de ce « Moi » intérieur. C’est la marque d’un génie autant que celle de la folie et on peut dire que Pessoa a tenté ainsi d’exorciser sa solitude, son mal de vivre et l’analyse de cette thérapie mériterait sans doute une étude psychologique voire psychanalytique. C’est entre autre chose cela qui m’a toujours passionné chez Pessoa, autant l’homme, un quidam humble et modeste, égaré dans la vie qui cachait un écorché vif solitaire et tourmenté, mais aussi un génial créatif comme peu d’hommes de Lettres l’on été. Il eut sa période pauliste mais reste marqué par « la saudade » qui est la grande caractéristique du peuple portugais.

Il était un modeste traducteur commercial employé d’une entreprise d’import-export et sa vie se déroula dans la « Baixa » à Lisbonne entre chambres meublées, bureau et cafés, avec juste une petite idylle vite interrompue avec Orphélia Queiros(on peut lire en fin d’ouvrage quelques-unes des lettres qu’il lui écrivait), n’abandonnant pour héritage qu’une malle pleine de manuscrits attribués à ses hétéronymes, parfois écrits au dos de factures, laissant au hasard le soin de les révéler au public.

 

J’ai apprécié l’étude menée par Tabucchi, richement documentée et érudite et une démonstration qui éclaire un personnage encore aujourd’hui énigmatique.

 
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