la feuille volante

LES DAMES DE NAGE - Bernard GIRAUDEAU

 

 

N°316 – Octobre 2008

 

LES DAMES DE NAGE - Bernard GIRAUDEAU [Editions Métailié].

 

La première fois que j'ai appris la publication de ce livre, ce fut à la fin d'un journal télévisé, à travers les mots économes d'une belle journaliste blonde. Je me souviens de ses yeux qui en parlaient beaucoup mieux, puis le temps a passé et j'ai remis à plus tard cette lecture... J'avais eu l'impression fugace que ces pages évoquaient une longue liste de conquêtes féminines, des aventures amoureuses d'un séducteur...

 

Pourtant, dès les première lignes, l'auteur accroche son lecteur par des phrases apparemment anodines «  J'attends sans impatience, en vivant l'instant comme une éternité » ou bien «  J'ai alors, comme le veilleur, le sentiment de garder un territoire ». Alors moi, d'un coup, je comprends qu'il ne s'agit pas là d'une banale succession de passades d'un improbable Don Juan et je m'embarque avec lui dans son voyage.

 

Il y a d'abord l'évocation de cette jeunesse rochelaise, le père lointain et happé par la mort, la mère authentique, la famille, immédiate. Nous savons tous que cet épisode de la vie est primordial. Puis c'est l'approche des femmes, très tôt dans la timidité gauche de l'enfance, à travers l'image diaphane d' Amélie, celle du monde extérieur que tout à la fois on craint et souhaite conquérir pour elle, celle de la terre et de la mer parce qu'à La Rochelle l'une de va pas sans l'autre. C'est l'intuition que les rêves se tressent dans les ports parce que ceux qui y naissent et y vivent les premières années de leur vie ne peuvent pas ne pas les imaginer autrement, partagés qu'ils sont entre leur soif d'aventure et leurs certitudes...Pour Giraudeau l'enfance c'est la mère qui phonétiquement se confond avec l'océan, cette première femme qui non seulement donne la vie mais aussi le bagage qui accompagnera toujours l'enfant devenu un homme. C'est vers elle qu'il reviendra, c'est elle qui a imprimé, d'une manière définitive, ses traits dans la trame de sa mémoire et qu'il recherchera dans le visage de chaque femme... et d'avouer « Marguerite me rappelait que j'avais une mère qui vieillissait... elle était là-bas, à La Rochelle, la ville d'Amélie, celle de mon enfance, tournée vers la mer et des rêves à n'en plus finir ».

 

C'est l'éveil à l'amour, puéril et merveilleux, qui contient en lui tout ce qui sera plus tard la perpétuelle quête de l'homme vers la femme. Ce sont souvent les boucles innocentes d'une camarade de classe, d'une voisine ou d'une cousine qui en sont la cause, une vision fugace pour un garçon qui en gardera toute sa vie d'homme la trace au point d'en rechercher l'empreinte dans toutes les autres. «  Tout au long de ma vie j'ai aimé les nuques déliées, les femmes comme des gerbes et le secret des graines et dans les épis », même si l'existence se chargera plus tard de mâtiner tout cela, dans ses vicissitudes ou les brisures de la souffrance et de la mort... « Amélie tu fus une messagère, un guide que je reconnus sans conscience... Ce n'est pas toi que je quitte, c'est mon enfance , ma naïveté et ce long silence parce que tu n'es plus... Ce n'est pas une rupture, on ne rompt pas avec ce qu'on a aimé, je m'éloigne, puisque depuis longtemps nous nous sommes lâché la main ».

 

Ce sont aussi des souvenirs de voyage maritimes, des bribes de texte confiés au fragile support du papier, rangés dans un repli de la mémoire, qui viennent d'Afrique ou d'Amérique du Sud où le vent est bien souvent le seul témoin, le seul écrin de toute aventure humaine. Les ports sont des lieux d'exception qui accueillent les marins après l'exil du large. Les hommes qui y sont nés portent malgré eux, jusque dans leur sang, le rythme de la houle, l'haleine des embruns, l'écume blanche des vagues qui invitent à l'ailleurs. Ici se conjugue les forces de la terre et de l'eau, la volonté d'être de quelque part et celle, parfois plus forte de fouiller l'horizon, les valeurs de la permanence et celles, plus subtiles et irréelles de l'intemporel. Ils sont tiraillés entre sa volonté de plonger ses racines dans les murs d'une maison, dans la vie quotidienne d'un couple rangé et celle, souvent plus forte, comme une aventure renouvelée, de partir à l'appel prégnant du vent, au hasard de l'escale, de ses plaisirs fugaces, de ses rencontres parfois noyées dans l'alcool et les bordels des ports. Il y a la mémoire, forcément sélective et labile « Il y eut d'autres escales, d'autres quais, d'autres amours... j'ai seulement gardé le visage de celles qui étaient venues à moi comme des cadeaux, des messages de vie. Il y eut des trésors et de fausses perles, des mirages d'amour et des corps glacés »

Quand on croise un regard de femme au hasard d'une rue, qu'on goûte à la délicate fragrance du parfum qui la suit, il se passe toujours quelque chose d'exceptionnel et parfois de frustrant. L'homme de mer, aventurier à la peau burinée, mais aussi le poète-témoin à l'âme bouleversée, malgré sa volonté d'indépendance, garde cela dans la grosse toile de son sac qui, posé à terre, se vide malgré tout de son contenu, avec des mots pour le papier, des images pour le ruban d'arlequin d'une pellicule... Et Bernard Giraudeau de convoquer Albert Camus pour « l'étranger », Alvaro Mutis pour le voyage et Pierre Loti pour tout cela et peut-être aussi pour la beauté des mots...

 

Portraits de femmes sensuelles, dispensatrices d'amour et de plaisirs, compagnes fugace du marin, partagées entre les larmes d'une foucade et la volonté définitive de s'établir, silhouettes d'hommes aussi, comme ce chef d'une gare perdue dans le désert d'Atacama au Chili, d'homos et de transfuges du sexe comme celui, sublime et douloureux, de Marco devenu Marcia...

Je n'en finirai pas de citer les phrases de ce livre tant elles m'appartiennent sans doute un peu. Les pages en sont autant de bouteilles jetées à la mer du quotidien, une invitation à la complicité...

 

C'est peut-être puéril, mais j'ai lu de nombreux passages de ce texte à haute voix, parce que ces mots sont comme des notes d'une musique alternativement tranquille et crue, apaisée et tourmentée. J'ai voulu me pénétrer de cette poésie, du balancement de la phrase, du ronronnement des allitérations qui ont été pour moi, pauvre lecteur, autant d'invitations au rêve que d'évocations intimes mais aussi du plaisir plus secret du non-dit.

 

Les dames de nage, une pièce d'accastillage pour chaloupe, un instrument qui permet au bateau d'avancer à la force des bras des rameurs, un beau titre évocateur. On pense aux femmes et à la mer, au voyage et au tangage de la houle et des corps dans l'étreinte, aux rencontres d'exception que seule l'aventure peut vous prêter ... Le livre refermé, il reste des impressions, des paysages, des personnages, des délicates ombres de femmes, mais surtout le parfum de l'aventure, le dépaysement et ...la délicieuse musique des mots.

 

 

© Hervé GAUTIER - Octobre 2008. http://hervegautier.e-monsite.com 

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