la feuille volante

l'assassin à la pomme verte

La Feuille Volante n°1058– Juillet 2016

L'ASSASSIN À LA POMME VERTE – Christophe Carlier – Serge Safran éditeur.

 

Ouvrir un roman, ici une première œuvre, d'un auteur qui m'est inconnu est pour moi soit une découverte soit une déconvenue. Il y a l'histoire , ici un peu banale au départ : Craig, vaguement anglais, qui enseigne la littérature française aux États-Unis, arrive à Paris, invité par plusieurs institutions. Cette marque de notoriété le fait descendre dans un hôtel de luxe sur la rive droite, « Le Paradise » où exerce aussi Sébastien, modérément étudiant aux Beaux-Arts, en qualité de réceptionniste de nuit de l'établissement où est également de passage Elena, une jolie italienne travaillant dans la mode. C'est autour de ces trois personnages principaux, complétés à la fin par Vicky, l'épouse de Craig, que va se nouer l'intrigue. On devine facilement que dans ce microcosme hôtelier, où il se passe toujours quelque chose, où s'agitent des clients aussi fortunés que fantasques, ces trois-là qui n'ont à priori aucun atome crochu vont se rencontrer et vivre une tranche d'histoire. Il ne faut pas être grand clerc pour supposer qu'une passade va exister entre l'Italienne et le Britannique tous les deux momentanément solitaires. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes s'il n'y avait un meurtre, comme le titre le laisse entendre, un client de l'hôtel ; un Italien, genre « donnaiolo », suffisant et enrichi par la vie est retrouvé mort dans sa suite, avec, à ses côtés une carte postale énigmatique, une sorte d’exécution rituelle et mystérieuse sans véritable mobile.

Dès lors que le meurtre est accompli nous avons le choix entre l'acte gratuit, façon Lafcadio dans « Les caves du Vatican », l'action inconsciente d'un meurtrier refoulé et que le hasard aurait suscitée, une volonté de se venger des injustices de la vie sur la personne d'un inconnu plus favorisé que soi, une banale habitude américaine de tuer, un crime passionnel qui n'ose dire son nom, l'envie de compromettre un innocent…L'auteur se plaît à prêter à ses personnages les intentions les plus tordues et les fait s'échanger des confidences auxquelles on ne s'adonne que loin de chez soi, de préférence en compagnie d'inconnus, avec en arrière-pensées des amours de contrebande. Tous peuvent avoir commis ce crime mais on s'aperçoit assez vite que ce n'en est pas un, ce qui laisse le lecteur, abusé peut-être par le titre, sur sa faim. Je ne suis pas familier de ce genre de lecture mais j'ai lu ce roman comme j'aurais lu une bande dessinée où chacun des protagonistes prononce des paroles intérieures, se construit des fantasmes qui pourraient parfaitement trouver leur place dans des bulles. J'ai aussi goûté le contraste étonnant dans le style où se côtoient, dans la plus grande partie, un style léger, primesautier, parfois poétique et humoristique où l'auteur explore ce qui se passe dans la tête de ses personnages, leurs exubérances, leurs craintes, leurs chimères, avec, au passage des remarques pertinentes sur l'espèce humaine et, dans la partie la plus courte de l'épilogue, le monologue dramatique de Vicky devenue veuve, une sorte de réflexion sur la vie commune, sur l'usure du couple, sur la légèreté ou la pesanteur du temps qui passe et son incontournable action dévastatrice sur les corps et les âmes, une méditation sur ce mari qu'elle admirait mais dont elle découvre « le misérable petit tas de secrets » dont parle Malraux d'où, bien entendu , elle est absente. Chacun de nous les garde jalousement et parfois ils nous font peur parce qu'ils nous révèlent à nous-mêmes. Il y a cette comédie qu'est la vie, que nous jouons tous avec plus ou moins de talent et qui s'achève toujours en tragédie puisque, même si nous choisissons de l'oublier en permanence, nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre existence. Elle est bien souvent faite de compromis, de compromissions, de trahisons, d'impostures, de cuisantes désillusions et le bilan qu'on peut faire, dans l'intimité de son for intérieur, de ces années de vie commune, est rarement positif.

 

Reste le titre, avec sa référence à Magritte, la symbolique dont les surréalistes (surtout lui) étaient friands : ce tableau représentant un homme coiffé d'un chapeau melon dont le visage est caché par une pomme verte. Il y a certes le mystère que nous représentons tous, y compris pour nous-mêmes, la symbolique de la pomme, de la faute qui vaut à Adam et Eve d'être chassés du paradis (l'hôtel parisien s'appelle « le Paradise »), l'opposition entre ces deux mots italiens simples mais porteurs d'amour de la carte postale du mort à l'hôtel et cette lettre rédigée par Vicky, une façon de faire ressurgir son mari du néant, comme une vengeance posthume d'une femme trahie qui prend soudain conscience du mensonge avec lequel elle vivait sans le savoir.

 

Un roman pas si banal que cela cependant, un peu énigmatique, fort bien écrit, plein d'aphorismes bien sentis et, alors qu'on s'attend à la relation d'une passade ordinaire, même si elle est un peu laborieuse, toute en retenues et en bons sentiments mêlés, au point qu'on finit par douter de sa conclusion survenue in extremis, avec en prime un cadavre qui n'est pas vraiment celui qu'on imagine, une enquête un peu bâclée, des policiers fantomatiques, une affaire vite classée, des coupables potentiels qui laissent l'amateur de roman policier dans l'expectative, une morale sauve et juste, une variation sur le temps, l'éloignement, la mémoire, le hasard d'une rencontre, l'attirance de deux êtres, avec cette volonté qu'on ne maîtrise pas face au temps qui passe et aux certitudes qu'on se construit.

 

© Hervé GAUTIER – Juillet 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com

 
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