la feuille volante

LETTRES A MA MERE

N°976– Octobre 2015

 

LETTRES A MA MERE Présentées par Didier Lett - Le Robert.

 

Les relations que les enfants ont avec leur mère sont complexes. Cette femme leur a certes donné la vie mais les véritables liens se tissent entre eux au cours de leur existence en fonction des choix opérés, de l'éducation, de la place de chacun au sein de la famille, des préférences affichées ... Bien entendu, ils sont différents en fonction du sexe des enfants, de leur sensibilité, de l'attitude des parents. Les différentes civilisations ont mis en exergue ces liens. Il y a sur ce sujet tout une littérature abondante, d'ailleurs contradictoire, présentant la mère soit comme un être qui se sacrifie pour ses enfants soit un monstre d’égoïsme qui au contraire ne pense qu'à ses intérêt au détriment de sa propre famille. La mère est un personnage qui a été souvent idéalisé mais abusive, aimante, directive ou possessive, ce sont là bien souvent des qualificatifs qui s'attachent à cette mère qui inspirent à ses enfants de l'amour autant que de la haine. Les termes de ces correspondances filiales en font foi, soit touchants et tendres, soit formels, pleines de rancœurs, de reproches ou d'incompréhensions. Elles sont le reflet de la vie et de ces liens familiaux difficiles ou passionnés. Correspondances de gens célèbres ou de quidams, lettres ordinaires ou de guerre, quand la mort menace, qu'on attend une consolation pour un déboire amoureux ou un deuil, qu'on demande des conseils, de l'argent, des encouragements ou qu'on y exprime ses regrets de l'enfance, c'est souvent à sa mère qu'un enfant s'adresse[dans ce choix de Didier Lett, le père est souvent mort prématurément]. Les échanges épistolaires entre mère et fille adolescente sont parfois durs et marquent ainsi la différence de génération, mais quand les combats font rage et que la mort rôde pour les soldats, c'est bien souvent leur mère qu'ils appellent. Malgré des liens familiaux difficiles, les enfants remercient souvent leur mère pour ce qu'elle a été, pour l'éducation, l'exemple et l’amour qu'elle leur a donné.

 

Les lettres que Didier Lett a colligées sont majoritairement écrites à leur mère par des fils ayant atteint un certain âge, rares sont celles qui émanent d'une fille ou plus rares encore, celles écrites par une mère à son enfant. Ce choix est révélateur puisqu'on a toujours privilégié dans l'histoire épistolaire les lettres masculines et d'adultes au détriment de celles des femmes, des filles et des jeunes enfants. Ces lettres sont aussi principalement récentes mais certaines autres, plus anciennes, permettent de se faire une idée des mœurs, des croyances, du mode de vie, des relations familiales, de la culture de leur époque, c'est une véritable chronique vivante. Il y est souvent question de séparation entre une mère et sa fille, éloignée d'elle par le mariage comme chez Mme de Sévigné ou chez Léopoldine Hugo. On connaissait l'attachement d'Antoine de Saint-Exupéry à sa mère, plus étonnant sans doute sont les liens qui unissaient Le Corbusier à la sienne. C'est Robert Brasillach, écrivain collaborationniste, recherché à la Libération qui se livre pour que sa mère soit délivrée par la Résistance qui la retient captive. Plus surprenante encore est cette lettre de Simenon à sa mère, décédée quelques trois an plus tôt où il déplore l'absence de liens entre eux, même s'il lui reconnaît des qualités. Étonnant, quoique bien en accord avec son personnage, est ce témoignage de Depardieu pour sa mère qu'il appelle « La Linette » et malgré tout émouvant est son aveu.

 

Entre les hommes et les femmes, l'amour, surtout s'il se décline dans le mariage, est une chose fongible et consomptible. Dans ce recueil, obtenu dans le cadre de « Masse critique », ce dont je remercie Babelio et les éditions Le Robert, les lettres publiées montrent que l'appartenance à une famille ressert ce lien. Le fait pour une femme de donner la vie à des êtres qui n'ont pourtant rien demandé, c'est à dire de les projeter dans un monde hostile et, bien souvent de les charger de poursuivre l’œuvre parentale jusque dans la progéniture, lui donne une dimension différente. La filiation qui en résulte crée un attachement particulier entre une mère et son enfant, ce dernier trouvant souvent les mots pour l'exprimer simplement tout en craignant de ne pas être à la hauteur des espoirs qu'on a mis en eux. Qu'elle soient griffonnée sur un bout de papier ou sur un riche vélin, une missive est toujours, à mon avis, un moment fort, plus qu'un SMS ou qu'un e-mail plus communs aujourd'hui, parce qu'on peut la toucher, la sentir, la plier, la garder… On confie à la feuille blanche qui est pourtant un fragile support, surtout au pas de la mort, et en quelques mots, tout ce qu'on n'a pas pu dire avec de longs discours tout au long de son parcours sur terre. C’est une ultime trace laissée dans cette vie dont nous ne sommes que les modestes usufruitiers.

 

Hervé GAUTIER – Octobre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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