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la feuille volante

Les gratitudes


 

La Feuille Volante n° 1419Janvier 2020.

LES GRATITUDES - Delphine de Vigan - Éditions Jean Claude Lattès.

 

Ce roman tourne autour de trois personnages, Michka, une vieille dame sans famille, sensible et cultivée, qui ne peut plus rester seule et doit aller en maison de retraite, Marie, sa jeune voisine qui lui fait des visites et Jérôme l'orthophoniste qui s'occupe d'elle dans ce nouvel établissement. Ces derniers, plus jeunes, vont prendre la vieille dame en amitié et la soutenir malgré les forces qui viennent à lui manquer, sa mémoire qui flanche, son raisonnement qui défaille, les mots qui se déforment ou se dérobent dans sa bouche, les vieux souvenirs qui reviennent, incrustés dans la tête. Ils ont eux-mêmes leur croix à porter mais l'oublient face au désarroi de Michka, ses peurs fantasmées que la solitude suscite pour le présent et pour l'avenir immédiat dans cet établissement. Leurs témoignages et leur discours se succèdent et s'entrecroisent.

 

C'est un roman d'autant plus bouleversant que, dans notre société occidentale qui rejette ses seniors et prône la jeunesse, la beauté et la performance mais qui nous promet de vivre plus que centenaires, exister longtemps en se voyant ainsi perdre ce que nous avons été, ce que nous avons aimé de nous-mêmes sans que nous y puissions rien, souvent loin de la famille, dans la solitude et les douleurs, n'est guère encourageant. Oui, comme le dit l'auteure, "Vieillir c'est apprendre à perdre" et nous avons sûrement du mal à imaginer cela pour nous-mêmes, même si nous avons ce triste spectacle sous nos propres yeux en la personne de nos ainés! On en a beaucoup parlé, elle a fait beaucoup écrire. Elle est bien souvent confite dans l'isolement, les souvenirs et les remords, avec son cortège de renoncements et d’accommodements avec le quotidien mais elle reste une période désolante parce que vouée à l'impuissance. Elle nous rend philosophes et même fatalistes et stoïques par l'acceptation des choses qu'on ne peut éviter et l'abnégation, elle est l'ultime étape avant l'hallali et le grand saut dans l'inconnu parce que nous sommes tous mortels et que nous ne pourrons pas nous dérober à ce rendez-vous fatal. Si la camarde vient sur la pointe des pieds, en épargnant souffrances et agonie, on qualifie la mort de "belle", comme si elle pouvait l'être.

 

Nous devons tous des remerciements à tous ceux qui, ayant croisé notre route, nous ont porté de l'intérêt et de l'attention, ont cherché à atténuer nos fragilités et nos failles. C'est particulièrement vrai pour cette vieille dame qui creuse sa mémoire pour se souvenir de ceux qui, pendant la guerre, ont pris des risques pour la recueillir parce que cacher des juifs était passible de mort. Ses parents eux-mêmes ne sont pas revenus des camps. Elle au moins, grâce à la bienveillance de Jérôme, connaît la joie de pouvoir leur témoigner sa gratitude. Eux aussi, à leur manière, dans une rencontre éphémère pendant laquelle ils évoquent son parcours, adoptent son langage approximatif et c'est aussi une façon de la remercier d'avoir été là, d'avoir croisé leur chemin ...

 

J'ai retrouvé avec intérêt et émotion la démarche de Delphine de Vigan qui, une nouvelle fois et dans la droite ligne de ses romans précédents, porte un regard attentif sur notre société, sur les sentiments humains, sur les difficultés de la vie et les injustices qu'elle nous impose

 

 

 

©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.

 
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