la feuille volante

Denis Michelis

  • Etat d'ivresse

     

    La Feuille Volante n° 1354Juin 2019.

     

    État d’ivresseDenis MichelisLes éditions Noir sur Blanc.

     

    Le mariage, à l’inverse de l’engagement religieux, n’est pas vraiment une vocation. On le choisit plutôt par tradition, par habitude, par peur de la solitude, parce qu’il est censé correspondre à la recherche légitime du bonheur auquel tout homme a droit ou simplement pour se reproduire selon les règles de la société ou en faisant semblant de croire que cela obéit à une volonté divine. Pourtant, il se révèle souvent rapidement comme une déconvenue pour une foule de raisons. On en sort officiellement par le divorce, de plus en plus sollicité, ou plus hypocritement par des fréquentations extérieures, l’exercice de passions ou de passe-temps qui vous éloignent de votre famille et bien souvent par l’adultère. Bien des unions perdurent pourtant artificiellement pour des raisons religieuses, morales ou financières et ne sont que de petits arrangements avec la réalité. Pour cette mère de famille qui ne nous est connues que par le vocable abusif de « maman » tant elle est éloignée de ses devoirs de mère et d’épouse, c’est l’alcool et on se demande comment et peut-être aussi pourquoi elle en est arrivée là. Elle est en permanence saoule, dans un état de dépendance, comme sous perfusion constante, incapable de résister, comme protégée en permanence par l’intervention d’un Bacchus qui chez les Romains était le sauveur des ivrognes.

     

    Cette boisson, pourtant parfaitement légale, est un fléau et assurément une destructrice de la cellule familiale d’où le père est perpétuellement absent et où le Fils, Tristan, fuit le foyer. Autour de cette femme c’est une sorte de désolation que la fréquentation de la bouteille n’arrange guère. Ses amis, ses voisines la fuient et elle-même néglige non seulement son ménage mais aussi son travail de rédactrice dans un grand magazine ce qui, à terme, ne peut que se terminer assez mal. Elle y est d’ailleurs assez peu à sa place puisque pour elle les mots se dérobent de plus en plus et que cette publication de psychologie est censée inviter ses lecteurs à s’épanouir ! Elle a du mal à vivre la crise adolescence de Tristan à cause des absences chroniques du père qui les organise avec méthode. Elle se joue un peu la comédie, celle de la grande journaliste qu’elle n’est pas, celle que l’épouse et la mère de famille qu’elle n’est plus. Elle n’est pas dans le besoin, a tout le confort qu’une femme peut désirer, une famille, un emploi, une maison mais elle fait le vide autour d’elle et bien entendu l’épilogue n’a rien d’étonnant. Elle observe sa voisine méchamment, se console toujours avec l’alcool, les médicaments et on imagine ce que peut donner ce genre de cocktail. Elle en déduit que tout le monde est contre elle, y compris son mari qui sans doute n’en peut plus de vivre avec une alcoolique et envisage des solutions, pas si étonnantes que cela cependant. Je n’ai pas senti beaucoup d’empathie pour elle et ce texte m’a même un peu agacé. j’en ai cependant poursuivi la lecture pour connaître un épilogue, il est vrai parfaitement prévisible.

     

    Le texte, assez décousu, qui se déroule dans une sorte de huis-clos sur une semaine ou à peu près, est écrit alternativement à la première personne qui trahit les états d’âme de cette femme, ses mensonges, ses phobies, ses plaintes, sa paranoïa, sa schizophrénie, mais aussi qui rend compte aussi des rares dialogues qu’elle a avec le peu de personnes qui l’entourent. Il y a aussi cette petite voix intérieure, peut-être celle de sa conscience qui tente de la remettre sur le droit chemin, vainement !

     

    J’ai lu dans ce roman le malaise d’un couple, qui n’aurait peut-être jamais dû se former, son basculement, sa destruction progressive mais aussi une sorte de tentative de mise en évidence de l’égalité hommes/femmes autant qu’une manière de s’attaquer à une sorte de tabou si longtemps entretenu, l’alcoolisme étant depuis longtemps réservé aux hommes et la femme, cantonnée au foyer, avait le rôle moralisateur d’épouse soumise et de mère de famille attentive. Quant à l’épilogue, au vrai bien peu original même si, en pareil cas, c’est toujours le même scénario où l’évidence vous saute enfin aux yeux après, il est vrai, s’être installée face à vous, souvent pendant longtemps, sans que vous l’ayez ne serait-ce qu’envisagée ou peut-être simplement voulu la voir.

     

     

    ©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com