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la feuille volante

Camille et Paul – La passion Claudel – Dominique Bona

N°675– Août 2013.

Camille et Paul – La passion Claudel – Dominique Bona - Grasset

Camille et Paul ont été élevés dans une famille austère aux marches de la Champagne où tout signe d'originalité était exclu. La mère, femme au foyer, effacée mais belliqueuse et revêche, le père, receveur de l'Enregistrement, foncièrement laïc espéraient que leurs enfants embrasseraient des carrières plus sûres que celles dévolues à l'art. C'est pourtant lui qui favorisa le penchant de sa fille pour la sculpture et celle de son fils pour les Lettres comme il encouragea la pratique du piano pour Louise son autre fille. C'est lui aussi qui préconisera leur éducation à Paris, à ses yeux plus formatrice. Ce sera Louis-le-Grand pour Paul et un célèbre atelier de sculpture pour sa sœur. Si la Capitale éblouit la jeune fille, lui ouvre ses portes et la vie de bohème, Paul s'y ennuie et ne songe qu'à la quitter. De cette période Paul exècre le côté laïc très en vogue à l'époque autant que les Lettres trop classiques ou trop positivistes à son goût. Camille avait beau être plus âgée de 4 ans que son frère, il y eut entre eux un rapport fusionnel exceptionnel. Ils ne peuvent se passer l'un de l'autre, il ne peuvent rien faire l'un sans l'autre mais la sœur aînée domine son frère. [L'auteur fait d’ailleurs un parallèle intéressant entre Chateaubriand et Claudel]. En société où ils n'ont d'ailleurs leur place ni l'un ni l'autre ils se font remarquer, lui par son air renfrogné, elle par son franc-parler. Ils n’aimeront jamais les mondanités. Ils sont aussi travailleurs et volontaires l'un que l'autre: quand Camille décide d'aller travailler chez Rodin, Paul refuse de préparer Normale Supérieure et opte pour une carrière diplomatique, tout cela contre l'avis parental ! Aussi bien lui qu'elle obéiront à l'appel de leur art . Lorsque Camille rencontre Rodin, il est son aîné de 24 ans, pourtant bien des choses les rapprochent et pas seulement l'amour de la sculpture. De cela, Paul en souffre « Il n'est plus le seul homme de sa vie ». Plus elle se rapprochera de Rodin, plus elle s'éloignera de lui mais Paul restera toujours obsédé par cette sœur, jusque dans son œuvre.

Camille vit avec Rodin une liaison passionnée que la morale bourgeoise et bien entendu sa famille condamnent et ce d'autant plus que son amant a une vie matrimoniale avec une autre femme et refuse de l'épouser. Elle travaille dans son atelier, mais cela n'en fait pas pour autant l’imitatrice de Rodin ; elle reste une artiste solitaire et originale qui doit beaucoup au Maître mais les deux sculpteurs s'enrichissent mutuellement dans leurs créations respectives. Paul et Rodin avaient beaucoup d’affinités, notamment culturelles, mais jaloux de l’homme qui lui vole sa sœur, il lui porte une haine tenace. Pour autant, sans oser l'avouer, il aura sa part dans le malheur futur de Camille. De son côté il est bouleversé par la poésie de Rimbaud et par la révélation de Dieu à Notre-Dame de Paris. Dès lors, devenu un adorateur de la Vierge, sa sœur est regardée comme une pécheresse. Pourtant il gardera longtemps secrète sa conversion comme Camille cachera sa liaison avec Rodin.

Est-ce sa volonté de partir loin, son attirance vers la mer ou la nécessité de mettre de la distance entre sa sœur et lui, il choisit la carrière diplomatique qui très jeune l'envoie en Amérique du Nord puis en Chine où il passera quinze années. Il ne cessera pas pour autant d'écrire ni surtout de correspondre avec Camille qu'il revoit à chacun de ses séjours en France. La vie de Camille s’éclaircit quand, lassée de ses atermoiements, elle quitte Rodin. A 30 ans, elle est désormais libre et pauvre malgré une certaine notoriété mais se sent incomprise. De son côté, à 32 ans Paul, en dehors de son métier de Consul de France se consacre à la religion et à l'écriture. Il est vierge mais cette vie monacale va être bouleversée par Rosie, une femme mariée et mère de famille qu'il rencontre sur un bateau en partance pour la Chine. C'est une séductrice dont il tombe éperdument amoureux et qui lui donnera une fille mais le quittera. Sa vie, même loin de Paris, sera aussi scandaleuse que celle de sa sœur. D'autres femmes viendront mais Rosie restera son grand amour perdu, une source de culpabilité aussi pour le chrétien qu'il est. Ainsi le frère et la sœur puisent-ils dans leur vie sentimentale leur inspiration créatrice et dans son œuvre littéraire, Paul campera des femmes indomptables et libres qui trahissent. Contre le suicide ou la folie, Paul choisit le mariage...de raison, un viatique plutôt qu'une vocation.

De son côté, Camille à 40 ans est déjà une vieille femme solitaire, orgueilleuse mais terrorisée, poursuivie par les ennuis, qui croit au complot, présente de plus en plus un délire paranoïaque. Quand elle se met à détruire ses œuvres, et surtout après la mort de son père en 1913, sa mère qui ne l'a jamais aimée et sa famille (et par conséquent Paul) la font interner. Quelques mois après une campagne de presse dénonce sa « séquestration » par sa famille dans un asile d'aliénés. Pendant ce temps, Paul va de poste en poste à l'étranger, est nommé ambassadeur, connaît une grande notoriété littéraire... et oublie sa sœur qui, consciente de son état d'enfermement restera incarcérée pendant 30 années sans amis ni beaucoup de lettres et de visites de sa famille selon le vœu maternel. Elle mourra à 80 ans. Paul est devenu un paterfamilias entouré d'une nombreuses descendance, thuriféraire de Pétain puis de De Gaulle, tenté un temps par la politique, soucieux de faire reconnaître son œuvre, et enfin élu à l'Académie française. Il verra Camille avant qu'elle ne meure dans la solitude et le plus grand dénuement et ressentira « cet amer regret de l'avoir abandonnée ».

Ce furent deux êtres qui se ressemblaient, qui se comprenaient, mais l'un croyait au ciel et l'autre n'y croyait pas pour paraphraser Aragon, deux tempéraments sensibles, passionnés mais fragiles, deux génies, deux destins différents cependant, l'un voué à la notoriété, l'autre à l'oubli [« Moi j'ai abouti à quelque chose. Elle n'a abouti à rien... L'échec a flétri son existence. » confesse-t-il]. L'auteure fait pertinemment remarquer, nonobstant l'admiration qu'elle peut avoir pour l'écrivain, que dans les relations que Paul eut avec sa sœur, l'idéal chrétien qui gouverna la vie de l'auteur du « Soulier de satin » fut quelque peu oublié par ce dernier. Voulut-il se protéger ou cela fut-il la marque d'un sentiment de culpabilité ? C'est là une contradiction qui mérite d’être soulevée.

Selon son habitude, Dominique Bona se livre à une enquête passionnante et détaillée sur ces deux personnages [Depuis que je lis ses œuvres, j'ai toujours été étonné non seulement par son style agréable à lire mais aussi par la précision de son travail et par sa grande culture].Si elle rend hommage à Paul et nous le montre sous un jour nouveau, pour moi assez inattendu par rapport à son image officielle, elle évoque aussi avec tendresse l'image de Camille, la tire assurément de l'oubli. Il y eut à la fin du XX° siècle et au début de celui-ci un mouvement de réhabilitation de Camille tant par la littérature, le théâtre, les expositions que par le cinéma. Selon le mot d'Eugène Blot, qui fut un admirateur et un soutien actif du sculpteur, il permit de « tout remettre en place ». Ce livre aussi y contribue.

© Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

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