la feuille volante

CINQ JOURS

N°794 – Août 2014.

 

CINQ JOURS - Douglas Kennedy - Belfond .

Traduit de l'américain par Bernard Cohen.

 

Saint Augustin conseillait qu'on se méfiât de l'homme d'un seul livre. Je n'ai pas lu tout Douglas Kennedy, tant s'en faut, mais le thème du mariage est un de ceux qu'il affectionne particulièrement. Je dois bien avouer que, à l'heure où la pérennité de cette institution est de plus en plus malmenée par le divorce, c'est bien là un thème de société qui peut effectivement être abordé.

 

L'intrigue est simple, basée comme toujours sur le hasard qui fait bien plus souvent partie de notre vie que nous voulons bien l'admettre. Laura et Richard sont deux inconnus l'un pour l'autre, ils ne se sont jamais rencontrés. Elle est technicienne en radiologie, aime ce qu'elle fait mais un peu moins son contexte familial où elle ne s’épanouit guère avec un mari chômeur puis nanti d'un emploi précaire et dévalorisant, peu prévenant, avec qui elle n'a pas vraiment de points communs et deux enfants qui peinent à sortir de l’adolescence. Lui est assureur et ne trouve dans son métier comme dans son couple aucune vraie raison de vivre une vie heureuse. Une conférence à Boston va provoquer leur rencontre qui n'avait pourtant aucune chance de se produire. Bien sûr, cela va être coup de foudre entre eux, un peu comme s'ils s'y étaient déjà individuellement préparés sans même le savoir et cela va durer cinq jours pendant lesquels ils vont se découvrir mutuellement et s'aimer d'un amour passionnel. C'est une situation que nous avons tous connue, soit parce que nous l'avons vécue personnellement, soit parce que nous l’avons rencontrée dans notre entourage. Dès lors des questions se posent, peut-on s'échapper d'une vie qui, à la longue devient, sinon insupportable, à tout le moins difficile à vivre ? Que sera cette nouvelle existence, le moment de passion gommé ? Ne risque-t-elle pas, elle aussi, de devenir routinière, avec en prime, le regret d'avoir peut-être fait un nouveau mauvais choix ? A-t-on le droit, à l'occasion de cette poursuite du bonheur qui par ailleurs est légitime, de compromettre la vie de ceux qui dépendent de soi ? Doit-on forcément se sacrifier pour eux ? Peut-on faire durer artificiellement des situations sentimentalement délétères alors qu'on peut par ailleurs changer de vie et se donner une nouvelle chance ? Peut-on tout bouleverser au nom d'un amour qui ne durera peut-être pas et l'infidélité d'un moment, même si elle est tentante et forcément exaltante s’inscrira-t-elle dans la durée ? Mais peut-on réellement et définitivement répondre à ce questionnement sans fin dans un contexte forcément émotionnel, ce qui induit à terme assurément de la déception, de la détresse et des larmes comme seul rempart contre le malheur. C'est en tout cas une réflexion sur l'existence qui a le mérite d'être ainsi formulée, même si l’épilogue qu'il propose n'est pas de l'ordre du « happy-end » qui ne se rencontre que dans les livres et jamais dans la vraie vie. Il met en évidence, une nouvelle fois les compromissions de la condition humaine, les petits arrangements avec la vie qui nous la font accepter.

 

Ce texte écrit à la première personne par Laura elle-même est un témoignage émouvant, même s'il peut passer au départ pour une banale entreprise de séduction, une simple envie de profiter d'un moment de liberté. Au début j'y ai vu des longueurs, une première partie assez longue et hésitante puis, au fur et à mesure de ma lecture, le texte a imposé son rythme et l'approche entre Laura et Richard, faite nécessairement d’hésitations et de confidences parfois intimes sur leur parcours, s'est justifiée d'elle-même. Ils ont tous les deux la quarantaine, une expérience matrimoniale réelle, des espoirs déçus, des regrets et des remords mais quand même des plans d'avenir encore possibles, des enfants à épauler parce qu'il faut bien continuer à vivre. La lenteur des dialogues et des postures est devenue inhérente à cette passion naissante qui s'affirme de page en page. Il y a cette empathie réciproque des deux personnages qui n'est pas du tout surfaite telle qu'elle est présentée. Chacun écoute l'autre, comprend ses difficultés au sein du ménage et de la famille qu'il a créé, communie à ses projets et à ses échecs, s'unit à l'autre à travers sa propre connaissance du couple qui est le sien. Elle est faite, comme pour tout le monde, de déceptions, de mensonges et parfois de trahisons, de routine, d'espoirs d'autant plus utopiques que le temps y a imprimé définitivement sa marque. On est davantage dans la confidence mutuelle que dans la « drague » classique et cette période d'attente et même parfois de doute, imposée par le roman, non seulement distille une sorte de suspens mais aussi ajoute à l'intérêt que j'ai personnellement ressenti à cette lecture. Cela donne une dimension plus humaine et authentique à ce roman qui ressemble de plus en plus au fil des pages non plus à une fiction mais à un véritable témoignage. Cela passe par une complicité des instants passés ensemble, par les confessions de chacun, les retours à la réalité à travers les textos que Laura reçoit sur son portable, par la transformation physique de Richard sous l'impulsion de Laura qui n'aurait à l’évidence pas pu avoir lieu sans elle, des projets d'avenir un peu fous, des étreintes pleines de fougue. Dès lors non seulement une passade est possible mais sans doute aussi une décision définitive de changer de vie, à condition de le faire ensemble, malgré tout ce que cette décision peut avoir de bouleversant dans la vie de chacun, entre culpabilité et volonté d'être soi-même et de profiter de l'instant, entre renoncement à une certaine sécurité dans la routine et saut dans l'inconnu avec, en toile de fond, ce mythique « rêve américain » qui pourrait, dans leur cas, se révéler possible. Reste la question, à la fois pertinente et abrupte que pose Kennedy :« Sommes-nous libres de choisir le bonheur ? »

 

Cela donne l'occasion à l'auteur de livrer à son lecteur, outre ce roman émouvant, des aphorismes bien sentis qu'il puise assurément dans son expérience personnelle, l'écriture prenant ici sa véritable fonction cathartique. Je garde à la mémoire, le livre refermé, une de ses remarques puisée dans un autre ouvrage « Dans mes livres, je rôde toujours autour de l'idée que chaque homme est très doué pour construire sa propre prison, le mariage étant la prison la plus commune. Le couple, rongé par le sentiment confus de culpabilité est l'un de mes thèmes obsessionnels ». Je terminerai ce commentaire par une remarque personnelle. Je ne sais si je dois cela à la fascination qu'exerce sur moi le peintre américain Edward Hopper mais j'ai lu les dernières pages de ce roman avec, dans ma mémoire, certaines de ses toiles, à cause sans doute de la solitude qu'elles distillent et que j'ai ressentie sur la fin.

 

Dans cette chronique j'ai déjà eu l'occasion de parler de Douglas Kennedy dont je découvre l’œuvre avec curiosité et un réel plaisir. Autant par l'écriture et le style que par l'histoire mais aussi par la pertinente analyse psychologique des personnages, j'ai vraiment apprécié ce roman qui m'engage à poursuivre la découverte des autres ouvrages de cet auteur.

 

©Hervé GAUTIER – Août 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

 
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