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la feuille volante

Signor Hoffman

 

N°966– Octobre 2015

 

Signor Hoffman Eduardo HalfonQuai Voltaire.

Traduit de l'espagnol (Guatemala) par Albert Bensoussan.

 

Composer un recueil de nouvelles est un exercice difficile. Ici, l'auteur, Edurdo Halfon, un jeune juif d'origine polonaise mais de nationalité guatémaltèque, ce dont peu douter son interlocuteur à cause de son teint trop pâle et son espagnol pas assez tropical, se met lui-même en scène, donnant à l'ensemble du recueil écrit à la première personne une forte coloration autobiographique. Il est invité en Italie pour la reconstitution d'un camp de concentration fasciste en Calabre dans lequel des juifs avaient été internés à partir de 1940. Il doit intervenir dans le cadre de la mémoire de l'Holocauste et c'est pour lui l'occasion d'évoquer son précédent livre et son grand-père, survivant d'Auschwitz. Le hasard de l'actualité fait que son patronyme est, à cette occasion, germanisé pour devenir « Hoffman » parce qu'un acteur connu portant ce nom vient justement de mourir. Pour un jeune juif, entendre son nom qui n'a rien d'allemand, dans le contexte d'évocation de l'Holocauste, c'est plutôt traumatisant même si, par la suite, il a l'intuition que tel était bien son patronyme original. [« Signor Hoffman »]. Ainsi, tout au long de ce recueil, ces deux déclinaisons du même nom se répondent.

Il y a, dans ces nouvelles, une dimension de luttes sociales victorieuses [« Les oiseaux sont revenus »]. Un village nommé La Libertad a dû triompher des conflits armés meurtriers, des malversations, des escrocs, de la crise du café pour conserver la coopérative qu'avaient créer les petits planteurs de café pour lutter contre les multinationales. Dans « Sable blanc, pierre noire », l'auteur est coincé à la frontière du Belize, à la fois par des tracasseries du bureau de l'immigration que par une panne de batterie. C'est étonnant parce qu'il décrit un récit où il ne se passe pratiquement rien, où le temps passe vite malgré l’inaction mais où on ne s'ennuie pas. La vision fugace d'une main étrangère portant une bague où est sertie une pierre noire lui rappelle un autre bijou sans grande valeur mais qui avait appartenu à un grand-père. Cette brève image évoque cet homme qui a survécu aux camps nazis, ceux de sa famille qui y ont péri et tous ceux, inconnus, qui en ont été victime. Par une sorte de fiction, il en vient même à penser que cette bague est celle de son grand-père. C'est que, dans chacune de ses nouvelles, l'auteur donne une dimension autobiographique qui dépasse la simple mise en scène de sa personne. Chacune des nouvelles a donc cette dimension de la mémoire.

Il y a, chez lui, une idée particulière du voyage, unique et sans fin, sans doute une illustration du mythe du juif errant [« J'ai hésité à lui dire que tous les voyages n'étaient en réalité qu'un seul voyage, avec de multiples arrêts et escales. Qu'un voyage, quel qu'il fût, n'était linéaire, ni circulaire, ni ne finissait jamais. Que les voyages n'avaient pas de sens. Mais je me suis abstenu »]. J'y ai vu aussi une sorte d’intranquillité d'un jeune homme qui, perdu dans Harlem ou dans l'ancien ghetto de Łődź, à la recherche improbable des traces de sa famille, trouve un réconfort fugace dans la fumée bleue d'une cigarette. Il rencontre toujours, par une sorte de miracle, quelqu'un pour le guider, mais dans le texte qui résulte de ses nombreuses pérégrinations, il flotte une ambiance bizarre, pas vraiment apaisée et pas vraiment rassurante, une sorte de crainte de quelque chose, de l'oubli peut-être … mais en sourdine [« Survivre au dimanche »]. Il y aussi, presque en permanence, le rappel de la mémoire, celle d'un être mort, peut-être pour redire que nous en sommes ici que de passage, simples usufruitiers de notre propre existence, l'histoire des Juifs étant particulièrement imprégnée de ce caractère transitoire.

 

Le discours est narratif, linéaire et quand il décrit une scène, même anodine, il le fait avec force détails qui peuvent paraître inutiles, comme s'il décomposait un geste simple, pour le plaisir. J'y ai vu une ambiance quelque peu particulière, une musique un peu lente, nostalgique et pas seulement quand il évoque sa famille. Il y a même un zeste d'humour [« Oh ghetto mon amour »], à la fois subtil presque en filigrane dans ces lignes.

 

Hervé GAUTIER – Octobre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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