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la feuille volante

La vie mensongère des adultes

N° 1508- Octobre 2020.

 

La vie mensongère des adultes – Elena Ferrante – Gallimard.

Traduit de l’italien par Elsa Damien.

 

C’est un lieu commun de dire que pour chacun, l’enfance représente une période qui conditionne la vie future. Elle peut-être heureuse ou désastreuse, on en garde toujours un souvenir prégnant qui parfois s’accompagne de mystères quand on aborde la personnalité de certains de ces membres ou des épisodes de leur vie. C’est ce qui est arrivé à Giovanna, enfant choyée et cultivée, pour qui sa tante Vittoria était une inconnue, l’objet de tous les rejets de la part de la famille, un véritable tabou au point qu’on fait disparaître son visage sur les photos. Sa ressemblance éventuelle avec cette parente honnie plane sur tout le roman. Ainsi son enfance a été très tôt un calvaire, rajoutez à cela une couche d’adolescence forcément difficile avec des interrogations intimes sur son corps et sur sa beauté naissante et troublante, des angoisses existentielles sur un bijou de famille et les possibles conséquences de son existence sur le destin de la jeune fille, sur les garçons, sur l’amour et le sexe, sur ses fantasmes personnels, vous avez une petite idée de ce qu’a été sa vie pendant cette période, coincée entre la fascination et l’interdit et qui fait l’expérience du mensonge et de l’hypocrisie des adultes sans pour autant les comprendre. Puis reviennent les vieilles querelles familiales, les secrets, les incompréhensions, transformés avec le temps en haines recuites qui poussent à l’éclatement des fratries, l’hostilité voire le bannissement de certains de leurs membres, le maintien de cette enfant, entre culpabilisation et fantasme, dans une sorte de bulle où l’on cultive sa différence, au nom déclaré de son intérêt, mais aussi du respect des différences sociales. Avec les années on finit par mettre en doute les personnages que se sont tissé les adultes, au point de porter sur eux un regard contestataire. Peu à peu on en dévoile les non-dits, les mensonges, les trahisons, les adultères, savamment enveloppés dans la plus naturelle des duperies et masqués par de tonitruantes affirmations de façade au point de démystifier complètement l’image traditionnelle des parents et d’assister à l’éclatement de la famille et à la recomposition artificielle d’une autre. Nous apprenons à nos enfants à ne pas mentir, ce qui est à la fois une message éducatif et une facilité pour nous, mais ces derniers ne manquent pas de s’apercevoir avec le temps et malgré leur innocence et leur candeur que le monde des adultes est justement fait de mensonges et d’hypocrisie mais aussi de jalousie, de méchanceté, de mal-être, d’intentions de nuire, de vengeances, et s’empressent de l’imiter, devenant adultes à leur tour. Giovanna n’échappe pas à cette règle et, retenant facilement la leçon, devient comme eux. Elle comprend aussi très vite son pouvoir de séduction sur les hommes alors que la laideur était pour elle une obsession, ce qui lui permet d’alimenter ses rêveries les plus secrètes et les plus folles.

Dans le regard désabusé qu’elle porte sur la société des hommes, elle ne trouve par dans la religion le soulagement qu’elle pourrait espérer dans un pays tourné largement vers le christianisme et elle regarde la vie de Jésus comme une histoire pleine de contradictions. Pourtant la dimension religieuse existe qui baigne tout ce texte. Ce roman de passage vers l’âge adulte, à tous les sens du terme, se déroule à Naples à travers les yeux d’une jeune fille à la découverte d’elle-même, qui observe le monde des grandes personnes avec une envie mêlée de craintes, d’hésitations, de chimères et qui recherche le modèle paternel puisque le sien lui a fait défaut.

 

Je suis entré de plain-pied à titre personnel dans ce roman fort pertinent qui, par bien des côtés, a dépassé la simple fiction. Le style d’Elena Ferrante est toujours aussi fluide et agréable à lire, ce qui m’a procuré de bons moments et ce d’autant plus que la période délétère que nous vivons actuellement, avec les attentats aveugles, le virus imprévisible et les crises présentes et à venir, incite plutôt à la sinistrose.

 

 

 
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