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la feuille volante

Emmanuel VENET

  • Ferdière, psychiatre d'Antonin Artaud

    La Feuille Volante n° 1147

    Ferdière, psychiatre d'Antonin Artaud – Emmanuel Venet – Éditions Verdier Poche

     

    Gaston Ferdière (1907-1990) avait un penchant très prononcé pour la poésie et aussi pour la polémique constructive puisqu'il combattit la légende misérabiliste tressée par Jehan-Rictus lui-même ou défendit la mémoire d'Anatole France. Pour l'heure, il a vingt ans et croit qu'on peut concilier médecine et littérature un peu comme l'a fait Louis-Ferdinand Céline mais dans un tout autre registre et la notoriété en moins. Il soigne à l’hôpital le jour et la nuit il déclame ses poèmes d'inspiration surréaliste dans les bistrots. André Breton est son modèle, comme lui il est un poète égaré en médecine qui veut devenir psychiatre, c'est à dire « un paria aux yeux ce ses confrères sérieux », curieux de l'écriture automatique et de la création, fasciné par le monde des fous et de leurs vies en lambeaux. Pour lui ce sera Villejuif. C'est aussi un idéaliste qui part combattre en Espagne ravagée par la guerre civile. Il y sera médecin mais aussi écrivain, bouleversé devant tant de morts et d'absurdités.

     

    Il sera donc psychiatre c'est à dire en prise directe avec « le verbe déstructuré, grandiose et hermétique des fous, : la source même de toute poésie », attentif « (aux) salles communes et (aux) galeries où l'humanité fait naufrage », mais aussi insoumis, marginal. Est-ce l'exploration de l’inconscient humain qui le rapproche d'André Breton ? Pourtant il choisit, sous les coups du sort, d'étouffer la poésie qu'il porte en lui au profit de la psychiatrie et devient novateur en privilégiant les facultés créatrices de ses malades. Il se hasardera aussi dans des expériences médicales nouvelles, notamment sur Antonin Artaud, mais qu'on lui reprochera plus tard. En lui cohabiteront toujours le poète mort et le médecin renié, un véritable naufrage. Cette rencontre ravive chez Ferdière ses anciens démons poétiques et, adepte du sacrifice volontaire, il favorise chez son patient ce qu'il a étouffé en lui.

     

    Il recherche, et c'est légitime, la reconnaissance à laquelle tout homme aspire dès lors qu'il fait quelque chose avec passion mais n'oublie pas pour autant le partage. Malheureusement il y aura toujours quelque chose qui viendra s'opposer à lui sans qu'il y puisse rien, aussi bien acceptera-t-il d'étouffer lui-même ses aspirations de poète au profit de son métier de psychiatre mais un exercice plus humain de la psychiatrie se heurta au système et aux élites qui le broieront. Poète chez les psychiatres ou psychiatre chez les poètes, il ne sera sans doute jamais à sa vraie place, toujours « en deuil de lui-même » et il aura beau faire, il y aura toujours quelque chose, le destin contraire ou la malchance, pour se mettre en travers de son chemin. Ce sera le vrai paradoxe de sa vie, d'une sa vie ratée qu'il a acceptée ! L'auteur le présente comme une sorte d'abandonné de Dieu. Je ne sais si j'ai bien compris cette allusion mais j'avoue que j'accepte assez facilement cette explication aussi abrupte soit-elle.

     

    Comme j'ai déjà dit dans cette chronique, j'ai découvert cet auteur par hasard et je m'en félicite puisque j'apprécie son style fluide, toujours agréable à lire. J'ai retrouvé ici sa verve mais j'ai lu aussi une parole un peu acerbe, comme si notre auteur, réglant peut-être quelques comptes personnels, mais surtout hors de lui devant tant d'injustices, choisissait de réhabiliter cet homme de bonne foi et de bonne volonté, un peu trop ballotté par l'adversité et la volonté de nuire de ses contemporains. Cela ne me dérange pas car nous avons tous des choses sur le cœur et la fonction cathartique de l'écriture n'est pas incompatible avec le talent. En lisant ce court texte, j'ai aussi pensé, toutes choses égales par ailleurs, à Louis-Ferdinand Céline qui sera médecin hygiéniste, soutenant sa thèse de doctorat sur « La vie et l’œuvre de Philippe Ignace Sommelweis ».

     

    J'ai eu plaisir à travers cette courte biographie, rédigée me semble-t-il avec une sorte de rage retenue, à faire la connaissance de Gaston Ferdière. Cette démarche m'a rappelé un peu celle adoptée par Jérôme Garcin qui a souvent choisi, en les romançant parfois, d'exhumer de l’anonymat des figures oubliées de la littérature ou de l'histoire, abandonnées de la chance ou de Dieu, si on y croit, des idéalistes qui ont dû malgré eux accepter leur sort pour s’abîmer dans le quotidien et dans une mort souvent prématurée, alors qu'ils portaient en eux un tout autre rêve. Au moment où on montre en exemple ceux qui ont réussi, sans pour autant entrer dans le détail de leur succès, j'avoue avoir beaucoup d'empathie pour les laissés pour compte.

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Marcher droit, tourner en rond

    La Feuille Volante n° 1144

    MARCHER DROIT, TOURNER EN ROND – Emmanuel Venet – Éditions Verdier.

     

    Au cours de notre existence, les obsèques des autres auxquelles on assiste par obligation ou authentique douleur, en attendant de tenir soi-même le rôle principal dans ce genre de représentation, sont l'occasion de parer le défunt de toutes les qualités, surtout de celles qu'on lui déniait de son vivant. Après tout ça vaut mieux que de réciter la liste de ses défauts et cela ne servirait pas à grand-chose. Quand en plus la cérémonie a lieu dans une église, l'officiant se croit obligé d'évoquer la vie éternelle pour celui qui vient de mourir, même s'il était athée. C'est la tradition mais l'hypocrisie a ses limites !

    Ce roman est constitué par un long monologue d'un homme de 45 ans atteint d'un syndrome autistique qui, au cours des funérailles de sa grand-mère Marguerite, s'insurge intimement contre l'hypocrisie et notamment les propos de l’officiante qui couvre la défunte de qualités que, selon lui, elle n'avait pas. Il s'ensuit une longue histoire pleine de détails de nature politique, religieuse, sentimentale, morale qui s'attachent à cette grand-mère et qui tendent à prouver qu'il a raison, ce qui le conforte dans son attitude de refus. Le syndrome dont il souffre fait de lui un solitaire qui s’arque-boute sur son score personnel au scrabble et sur l'histoire des accidents de l'aviation civile. Il ajoute des bribes de son histoire personnelle qui mettent en en évidence non seulement sa misanthropie et sa soif de vérité mais aussi son sentimentalisme exacerbé puisqu'il confie au lecteur l'existence du seul amour de sa vie, une camarade de lycée, Sophie, qu'il n'a pratiquement jamais revue depuis une trentaine d'années et à qui il est attaché d'une manière platonique. Même si mal lui en a pris, il se réfugie dans cet amour impossible et idéaliste qui conforte son inaptitude à vivre dans cette société et il s'accroche à son image furtive glanée dans les films où elle n'est qu'une figurante discrète. En fait il ressasse et tout ce qu'il nous raconte se révèle assez amusant sous des dehors fort sérieux et parfois même sombres ou violents. Il y a aussi une galerie de portraits savoureux mais pas toujours flatteur où les femmes de sa parentèle n'ont pas le meilleur rôle, à l'exception toutefois de sa grand-mère Violette qu'il n'a pas connue et qui est, dans son esprit, l'objet également d'une forme d’idéalisation. 

    Sous ce titre en forme d'oxymore, l'auteur semble nous dire que l’idéal de transparence et de sincérité produit exactement le contraire de l'effet recherché et ainsi le narrateur dans son propos ne fait que tourner en rond, ce qui finalement donne au livre une dimension humoristique incontestable, avec cependant un passage plein de rêveries poétiques et aussi de cet utopisme un peu décalé qu'il cultive jusqu'à l'absurde pour cette Sophie tant désirée.

    C'est vrai que cet homme est un idéaliste et a assurément beaucoup de mal à trouver sa place dans notre société faite d'apparences trompeuses, d'hypocrisies et de duplicités. Sa franchise ne le mènera à rien d'autre qu'à l'exclusion et à l'éloignement des autres ce qui correspond bien au syndrome dont il souffre et c'est un peu un cercle vicieux qui l'enfonce dans sa propre solitude.

     

    J'ai bien aimé ce roman qui respecte les unités classiques de lieu, de temps et d'action mais aussi et peut-être surtout qui collige les remarques et aphorismes les plus inattendus et humoristiques mais aussi les plus pertinents sur la vie en général et sur l'amour et le mariage en particulier (« si l'amour rend aveugle, le mariage rend la vue »). J'ai eu plaisir à retrouver chez cet auteur, découvert par hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque, ce style délié et fluide qui m'a encore une fois procuré un bon moment de lecture.

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Plaise au tribunal

    La Feuille Volante n° 1142

    PLAISE AU TRIBUNAL Emmanuel Venet – Éditions "La fosse aux ours".

     

    Sous ce titre à forte connotation juridique puisqu'il emprunte au discours des prétoires son ton très cérémoniel, se cache un court récit (30 pages) en forme de plaidoirie et de jugement, en l'espèce celui d'Oublevé, dont le nom constitue déjà un canular, sauf le respect dû au Président du susdit Tribunal. De quoi s'agit-il donc? Imaginez-vous que nous sommes en automne, que les feuilles tombent et qu'on a l'habitude de les ramasser après les avoir mises en tas puisqu'elles constituent en elles-mêmes une source d'accidents. Jusque là rien de bien extraordinaire. Là où ça se complique c'est que face au résultat de ce travail auquel il n'avait même pas participé, il est venu à l'idée de M. Diese qu'il s'agissait d'une œuvre d'art qu'il baptisa tout de go « Les feuilles mortes se ramassent à la pelle ». Cela peut être considéré comme un hommage à Jacques Prévert et témoigne en tout cas d'un certain niveau culturel de notre ami, et du fait de cette prise de position, quand même fort inattendue, ce vulgaire amas de feuilles se retrouve de facto référencé dans « l'art conceptuel », certes éphémère mais avec la dimension culturelle incontestable d'une sculpture. Sauf que nous sommes dans l'asile psychiatrique de la bonne ville d'Oublevé et que ce M. Diese s'y trouve hospitalisé depuis de nombreuses années. Ainsi le fait que l'établissement se soit débarrassé de cet encombrant amoncellement qui par ailleurs représentait aussi un danger, constitue l’espèce de cette action en justice.

    Nous nageons ici en plein délire et j'imagine les effets de manches des avocats, leur difficulté à garder leur sérieux, et je ne parle parle de l'autorité des juges et de « la chose jugée ». L'auteur est psychiatre et à ce titre capable de déceler, entre autre, les capacités créatrices de certains de ses patients et le fait d'être classés parmi les « malades mentaux » n'amenuise en rien leurs facultés artistiques. Je n'en veux pour preuve notamment que le cas de Séraphine Louis (1864-1942) (La Feuille Volante n° 369) qui, malgré des facultés mentales quelque peu altérées attira, d’ailleurs un peu malgré elle, l'attention d'un marchand d'art et eut quelque succès. Au-delà de cette remarque, j'observe que la décision du tribunal, pour savoureuse qu'elle soit, laisserait sans doute les étudiants en droit, confrontés au commentaire d'un tel arrêt, dans une situation délicate. Après tout, il y bien eu parmi les verdicts des cours, des jugements où la sacro-sainte logique, voire le bon-sens, ont été laissés de côté au nom de la loi, de la morale, ou de l'Ordre Public. La sentence ainsi prononcée par un vénérable juge qui est aussi, on l'imagine, un « juriste éminent », pour fictive qu'elle soit, m'évoque l’imaginaire d'un Salvador Dali, les extravagances des surréalistes ou les provocations du mouvement « dada ». Je ne manquerai pas non plus d'évoquer les tribulations d'un Amadis Dudu qui, dans « L'automne à Pékin » (roman qui ne se passe ni en automne ni à Pékin) de Boris Vian se trouve embarqué dans l'improbable construction d'une ligne de chemin de fer dans l'immense désert d'Exopotamie, laquelle doit passer au beau milieu de l'unique hôtel qui de ce fait doit être détruit. Quant à l'atmosphère de ce récit, il ne serait sans doute pas tout à fait renié par Kafka lui-même. Cela dit il y a des moments dans notre vie où les choses se présentent sous un jour si surréel qu'on a besoin de se pincer pour vérifier qu'on ne rêve pas. Je ne parlerai pas non plus du plus grand pays du monde qui vient de confier son destin et peut-être aussi le nôtre à un homme à la fois fantasque, irresponsable et imprévisible. Est-ce à dire que la folie est la chose du monde la mieux partagée ? Méfions-nous, de même que nous sommes tous justiciables, nous pouvons également devenir, même pour un temps, pensionnaires d'un établissement psychiatrique. Après ce bref voyage en « absurdie » je me demande toujours si on peut rire de tout, c'est à dire si, face à la désespérance distillée par notre monde, on peut opposer autre chose que l'humour parce qu'en fait il ne nous reste bien souvent plus que cela. J'ai bien aimé la dérision avec laquelle l'auteur, rencontré par hasard, a traité son sujet.

    © Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • RIEN

    La Feuille Volante n° 1141

    RIEN – Emmanuel Venet – Éditions Verdier

     

    Parce qu'il a l'intention de fêter leur vingt ans d'amour, un musicologie invite Agnès, sa compagne, au Negresco. Après une étreinte, cette dernière lui pose une question aussi légère que les volutes bleues de la fumée de sa cigarette «  A quoi penses-tu ?».

     

    En fait ce voyage amoureux n'est qu'un prétexte pour gommer les petites érosions et les accidents inévitables d'une vie commune mais surtout parce que ce palace niçois a donné asile pendant quelques jours à Jean-Germain Gaucher, un musicien de troisième ordre de la Belle Époque à qui le narrateur a consacré sa thèse de doctorat et qui est venu ici avec sa maîtresse, la sulfureuse et ambitieuse soprano Marthe Lambert. Malheureusement une rénovation a fait disparaître la chambre où Jean-Germain et Marthe batifolèrent, qu'importe, c'est pour le narrateur l'occasion d'inviter son lecteur à faire plus ample connaissance avec ce musicien qui n'a laissé dans l'histoire de la musique, comme dans l'histoire tout court, qu'une trace fort ténue, que son travail universitaire s'attacha à faire revivre. Le narrateur évoque la vie quelque peu tumultueuses de Gaucher qui la préféra cependant à la profession juridique voulue par son père. Il évoque surtout la mort du musicien, par ailleurs pas très heureux en ménage, qui a connu des relations extra-conjugales plus que cahoteuses et dont la carrière artistique qui aurait pu être florissante, s'est perdue dans des compositions de cabaret et des pochades légères. Cette mort bizarre, le musicien est écrasé par son propre piano lors d'un déménagement, donne à penser qu'il s'agit d'un suicide. Ce thème sera une des pistes de réflexion de cet ouvrage, hypothèse enrichie par les remarques d'un de ses amis qui ratiocine à l'envi sur ce sujet et ce malgré l'enquête qui a conclu à l'accident.

    J'ai bien aimé ce Gaucher et la façon dont l'auteur le fait vivre sous nos yeux sous la forme d'une biographie convaincante et ce d'autant plus qu'elle appartient complètement à la fiction. On nous parle souvent et à l'envi, en les donnant en exemple, de tous ceux qui ont réussi, mais on passe sous silence les milliards de gens qui tentent leur chance sans jamais la croiser. J'ai lu dans ce roman qui tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin, une caustique étude de personnages et de caractères, Jean-Germain construisant pour lui-même ses propres châteaux en Espagne, se laissant griser par le succès ou les passions amoureuses dont on sait qu'elles ne sont que temporaires, se complaisant dans l'échec comme il se vautre dans la vantardise qui emprunte plus à l’imagination qu'à la réalité. A travers lui j'ai lu un rappel bienvenu aux choses de la vie, la fuite du temps, le destin qui vient parfois contrecarrer les projets les plus fous qu'on fait pour soi-même, la complaisance qu'on tisse face à l'adversité, la vanité des entreprises humaines et surtout le fait que nous ne sommes ici-bas que les modestes usufruitiers de notre propre vie. Cela donne une somme d'aphorismes bien sentis.

    J'observe que Jean-Germain tient un journal intime ce qui en dit assez long sur la conscience qu'il a de son mal de vivre, mais encore une fois je ne suis pas bien sûr de la fonction cathartique de l'écriture et, mettre des mots sur ses maux ne me semble pas aujourd'hui être une thérapie efficace, comme son suicide plus que vraisemblable semble le prouver. Le psychiatre qu'est aussi l'auteur doit bien avoir un avis sur la question. Pour Gaucher la fuite reste possible mais d'une efficacité improbable, tout au plus se réfugie-t-il dans l'imaginaire, cette espérance gratuite et sans issue qui n'enfante que des fantasmes et des chimères. Mais cela ne l'arrange pas vraiment, tout comme ne le console pas de ses échecs répétés, de son mariage raté, des ses amours de contrebande sans issue, de son talent ignoré et des mauvaises affaires de son établissement, l'alcool dont il était devenu avec le temps et l'habitude, un adepte militant. Même la séduction de sa propre épouse lui paraît problématique et surtout pas vraiment apaisante. C'est comme cela, les amours de Jean-Germain et de sa légitime, à condition qu'ils aient jamais existé, se sont abîmés dans la routine, l’incompréhension et finalement l'indifférence silencieuse, ce qui fait dire au bon sens populaire que, contrairement aux apparences, le mariage ou la vie commune tuent l'amour, et ce n'est pas faux. Et je ne parle pas de l'inconfortable certitude de s'être trompé dans son choix !

    J'ai aimé aussi que l'auteur ne tombe pas dans la trop facile évocation du Pigalle et de ses plaisirs. Je retiens également les remarques quelque peu acerbes du narrateur sur les affres de la vie universitaire, sur les difficultés de la création littéraire, de la façon de réussir dans le domaine de la recherche et de la publication ainsi que les fourches caudines sous lesquelles il faut passer pour être reconnu. A sa manière, il est lui aussi un peu Jean-Germain Gaucher et ce n'est peut-être pas un hasard s'il a choisi ce personnage comme sujet d'étude. Là aussi le narrateur se laisse aller, inspiré par son expérience personnelle, à une somme apophtegmes désabusés mais pertinents que bien des auteurs feraient bien de méditer . J'en retiens une «  En matière d'art, non seulement il n'y a rien à attendre de l'altruisme ni de la sollicitation, mais les vertus cardinales s'appellent orgueil et égocentrisme ». Il en va de même sur le travail de créateur et sur la façon de mener sa carrière.

    A travers les propos de son ami, le narrateur fait en quelque sorte le point sur la création artistique, les relations amoureuses et même la vie en général. Il en vient tout naturellement à s'interroger sur son mariage, sa vie de famille et son parcours sentimental, leurs aspirations, leurs imperfections, leur désenchantement. Il évoque sa rencontre avec Agnès, le hasard qui l'a provoquée, puis la lente érosion des choses qui l'amène à considérer que son couple, après vingt ans de vie commune et deux enfants, s'est lentement transformé en deux solitudes, avec mensonges et hypocrisies pour sauver les apparences, compromissions et artifices pour le faire durer, une manière de se rapprocher de Gaucher et de son désespoir et peut-être aussi des autres humains. Il pousse même son questionnement jusqu'aux relations sociales qu'il entretient, à ses dires, de moins en moins, refusant de satisfaire à l'esprit grégaire qui , sous toutes ses formes, gangrène notre société et notre quotidien. Comme il le dit «( il résiste) à la tentation de la normalité », tout en tentant de combattre la marginalité.

     

    Mais revenons à la question initiale posée par sa compagne et à laquelle il répond simplement « à rien ». Outre le fait qu'il m'a toujours parut étonnant qu'on puisse ne penser à rien, cette somme de pages qui constituent le roman tend à prouver que l'auteur-narrateur n'a pas vraiment laissé la vacuité envahir son esprit, à moins bien sûr qu'il ait préféré cette réponse laconique et négative à la nécessité d'avoir à confesser à sa compagne tout ce qu'il a confier au lecteur.

     

    Ce récit se décline de la part du narrateur sur le ton d'un monologue et sur le thème des illusions perdues. J'ai apprécié le style alerte, subtil, ciselé et délicatement ironique de ce trop court roman dont l'auteur m'était inconnu. Le hasard, pour une fois, a bien guidé mon choix. D'après ce que j'ai lu de lui, il publie peu et c'est dommage puisque sa faconde m'a à la fois étonné et conquis au point que je vais sans doute en lire davantage. Cela a en tout cas été pour moi un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]