la feuille volante

l'évangile selon Pilate

La Feuille Volante n° 1184

L’Évangile selon Pilate – Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

 

Nous avons la Vulgate, officielle et répétée à l'envi, les apocryphes ignorés par l’Église, protéiformes et révélateurs ; Eric-Emmanuel Schmitt nous convie à la lecture d'un texte qu'aurait pu écrire Pilate, le préfet de Judée qui s'est lavé les mains de la condamnation du Christ, l'abandonnant à la justice des Juifs. Pourquoi pas, puisque Jésus a suscité foi, adoration, engagement mais aussi rejet, persécutions et mises à mort de ses fidèles et donc n'a laissé personne indifférent ? En réalité ce sont deux textes, l'un qui met en scène le Christ au jardin des oliviers, qui s'exprime avant son arrestation et son exécution et l'autre où Pilate confie ses impressions sur cet homme exceptionnel.

L'auteur nous présente un Jésus (Yéchoua) pas vraiment différent de celui dont le catéchisme et les évangiles nous ont parlé, avec seulement un rôle assez original donné à Judas (Yehoûdâh). Il est au départ un jeune homme qui ignore sa mission divine et qui la découvre au fil de sa vie, quelqu'un qui n'est ni bon charpentier ni bon croyant et qui, après sans doute avoir médité les Écritures qui annoncent sa venue comme le Messie tant attendu, un être providentiel comme l'espèce humaine en est friande, devient une sorte de célèbre SDF faiseur de miracles, délivrant son message de paix et d'amour, suivi massivement par ses disciples. Il bouscule les préceptes de la Loi, substitue sa doctrine personnelle au judaïsme, présentant Yahvé, son père, non plus comme une divinité vengeresse et inaccessible mais comme un dieu d'amour, bon et miséricordieux, ce qui, aux yeux des Juifs est un sacrilège. C'est vrai que son discours de « roi des juifs », mal compris au moment où son pays est occupé par les Romains a pu susciter des ambiguïtés chez ceux qui entendaient résister à cette puissance étrangère. Ainsi est-il. recherché pour ses pouvoirs et les espoirs qu'il suscite et poursuivi pour ses blasphèmes.

Pour Pilate, c'est autre chose. Il ne se plaît guère à Jérusalem, regrette Rome.et décline son témoignage en de nombreuses lettres adressées à son frère Titus qui ne lui répond jamais. Pour lui Jésus est à la fois une énigme, un magicien qui faisait du bien autour de lui, qui s'est laissé arrêté et qui a accepté sa mort, quelqu’un qu'il a laissé condamner par le Sanhédrin, se lavant publiquement les mains de cette décision et qu'il a crucifié comme un voleur parce que c'était le supplice officiel des Romains, alors qu'il était convaincu de son innocence. L'auteur nous montre un Pilate perturbé par ce tombeau vide et qui veut à toute force retrouver le corps de Jésus.dont on dit partout qu'il est ressuscité, un magistrat dubitatif face à cet épisode qui a bouleversé sa vie, qui fait des supputations et craint l'imposture. Personnellement je vois plutôt ce gouverneur militaire qui doit faire régner la paix romaine dans cette lointaine province secouée par des troubles, à coup de flagellations publiques et de crucifixions, comme un fonctionnaire zélé. Jésus qui s'inscrit à l'époque dans un mouvement sectaire religieux contestataire et généralisé, a, par son enseignement original, bouleversé la Loi juive et troublé l'ordre public basé en grande partie sur des préceptes religieux, et dont Pilate est responsable. Il a simplement constaté, surtout après la libération de Barrabas, que tout cela sans doute s'inscrivait dans un contexte un peu surréaliste qui lui échappait partiellement et qu'il fallait en finir. ll a donc laissé le soin aux Juifs de condamner Jésus et l'a exécuté parce qu'il était le chef des troupes d'occupation. Ainsi est née, le nom de « peuple déicide » donné aux Juifs par les chrétiens et qui a justifié un antisémitisme longtemps entretenu. En réalité Schmitt suit les événements mais manipule les faits et les personnages, transformant avec sa talentueuse imagination d'écrivain cette histoire en un véritable roman policier avec suspense et rebondissements dont j'ai bien aimé la lecture.

 

© Hervé GAUTIER – Novembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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