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la feuille volante

LA NUIT DE FEU

N°988– Novembre 2015

 

LA NUIT DE FEU Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

 

L'auteur a alors 28 ans, en pleine recherche de sa voie entre écriture et enseignement de la philosophie, et il participe en qualité de scénariste à un projet de film sur le père de Foucault. Pour cela il se rend, avec le réalisateur dans le Hoggar sur les traces du religieux. Se joignant à un groupe de touristes d'horizons socio-professionnels différents, il effectue un parcours dans le désert et après quelques jours de marche, à la suite d'un état d’excitation extrême ou d'un caprice, se perd seul et subit une sorte de « voyage astral » d'une nuit qui lui fait approcher la mort.

Ce titre est emprunté à Pascal qui nommait ainsi sa nuit mystique. Il parait particulièrement pertinent puisque E-E Schmitt a découvert Dieu sur le mont Tahat à cette occasion. Tous les ingrédients sont ainsi présents, le désert grandiose propice à la réflexion, l'opacité glaciale de la nuit saharienne, le scintillement de la voûte céleste, l'idée de l'infini face à sa propre fragilité, l'ascension d'une haute montagne, l'abandon de tout confort occidental, la solitude face à soi-même... Ils invitent à un retour sur soi, sur le passé personnel avec ses joies et ses peines, ses moments forts comme ses compromissions…

De nombreuses pages, souvent émaillées de descriptions poétiques fort bienvenues, sont consacrées à des ratiocinations d'intellectuels désireux d'expliquer le monde, les hommes comme la formation de la terre et de l'univers, entre interrogations éternelles et affirmations sans cesse remises en question, humilité, curiosité et pédantisme. Cela m'a paru long. A partir de la moitié du récit, à l'invitation de la prière du Touareg accompagnateur, on en vient à un questionnement sur l'existence de Dieu ainsi que du hasard, de la mort, de la survie de l’âme... Ce sont là des thèmes récurrents que le décor particulier suscite, mais l'expérience de l'auteur, sa découverte de la foi et surtout son retour à la vie ne sont pas sans poser aussi d'autres questions existentielles pertinentes sur son destin, le choix de sa personne, les circonstances de ce qui devait être un rendez-vous avec Dieu, le hasard, l'usage qu'il fera de ce « cadeau », le message de Charles de Foucault...

A titre personnel, je n'ai jamais voyagé dans le désert mais le hasard de mes visites dans les bibliothèques m'a fait croiser l’œuvre de Lorand Gaspar. A la lecture de ses poèmes, moi le béotien du voyage, bien campé dans mes charentaises, j'ai vraiment vu les ergs et les oasis ce qui m'a fait lui avouer humblement cette incroyable et inattendue sensation que je n'ai pas vraiment retrouver ici. Mais ce n'était pas vraiment le sujet. Quant à l'existence de Dieu qui fait l'objet d'un de mes questionnements intimes, comme sans doute nombre d'hommes, je n'ai guère avancé sur ce sujet à l'invite de ce texte. Peut-être devrais-je moi aussi répondre à cet appel du désert pour avancer sur ce thème ? Il est un fait que l'imminence de la mort incite à se rapprocher de Dieu, on ne sait jamais, surtout si on n'a guère respecté le « pari » du même Pascal. Il y a effectivement une relation entre Schmitt et l'auteur des « Pensées » qui lui aussi frôla la mort avant de trouver Dieu lors de sa « nuit de feu ». La perspective de réaliser un documentaire sur Charles de Foucault contenait sans doute en filigrane ce rendez-vous et cette révélation ? La foi est une chose qui nous est donnée, non pas qui est acquise au terme de je ne sais quelle démarche et j'ai toujours respecté ceux qui avouent être ainsi l'objet d'une telle révélation, en pensant peut-être qu'ils ont eu bien de la chance puisque, après tout, il ne faut négliger aucune aide pour supporter cette vie qui n'est pas un cadeau mais juste un prêt temporaire. Pour lui il s'ensuit une véritable béatitude que ne lui avait pas pas procuré la philosophie. Dans l'histoire, il ne manque pas de ces conversions qui, pour être intimes, n'en sont pas moins spectaculaires. Pourtant, je ne suis pas bien sûr qu'il suffise de se mettre à genoux pour croire, comme l'abbé Huvelin l'ordonna au jeune officier Charles de Foucault qui allait devenir ermite, prêcheur et « bienheureux ».

E.E. Schmitt avait déjà abordé le thème de la mort et de Dieu dans « Oscar et la dame rose » que j'avais bien aimé (La Feuille Volante nº749). Il s'agissait d'un roman ce qui n'est pas le cas ici. Dans le domaine religieux, ce témoignage ne m'a pas convaincu, partagé que je suis, quand je referme un tel livre, entre le solipsisme et le prosélytisme mais j'ai quand même eu plaisir à le lire à cause du style de l'auteur.

 

Hervé GAUTIER – Novembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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