la feuille volante

La vengeance du pardon

La Feuille Volante n° 1196

La vengeance du pardon – Eric-Emmanuel Schmitt. Albin Michel.

 

Vengeance : dédommagement moral de l'offensé par punition de l'offenseur, c'est à dire punition de ce dernier, ce qui peut parfois attendre des années. Pardon : action de tenir une offense pour non avenue, considérer qu'elle n'a jamais existé. Cela implique l'oubli, l'indulgence. Ce titre en forme d'oxymore ne pouvait qu'attirer mon attention, provoquer ma réflexion et mes commentaires. A lui seul, il illustre les contradictions constantes qui émaillent notre vie. Tout ce qui est fait contre nous appelle normalement de notre part une riposte à la mesure de l’agression dont nous avons été l'objet. Dans d'autres cultures on a élevé cette réaction au rang d'une réponse à la fois logique et normalement admise et on l'a appelé par exemple « loi du talion ». Les religions nous enseignent que, lorsque quelqu'un porte préjudice à une autre personne, celui qui fait l'objet de cette agression se grandit en faisant montre de magnanimité, voire en tendant l'autre joue, ce qui n'est pas sans désarçonner l'adversaire. Le pardon est divin, dit-on et c'est faire preuve d'une réelle grandeur d'âme que de l'exprimer, à tout le moins officiellement. On évoque souvent ce « droit au pardon » pour les fautifs, quand la loi ne s'en mêle pas en organisant la peine du délinquant ou du criminel, déclarant qu'après cela, il « a payé sans dette à la société » et peut, dès lors, vivre normalement. Pour être plus crédible, cette même loi prévoit « le droit à l'oubli » en instituant la prescription, laps de temps au-delà duquel, en principe, toute action judiciaire est éteinte. La société, en tant que concept social réclame, pour exister et fonctionner, « l'ordre public », mais qu'en est-il de la victime qui doit se reconstruire et assimiler, sans toujours le comprendre, tout ce qu'on a fait contre elle, vivre toute sa vie avec ce sentiment d'injustice ?

L'auteur se propose de traiter ce thème, à mon sens difficile, puisqu'il touche chacun d'entre nous. Il choisit de le faire à travers quatre nouvelles dont la première « Les sœurs Barbarin » met en scène deux jumelles, Lily et Moïsette. Le principe de gémellité est d'emblée affirmé et facilite la tâche de l'écrivain. Lily est plus douée que sa sœur ce qui ne manque pas de créer des différences inévitables entre elles et d'attiser de la part de Moïsette des jalousies et des avanies à l'endroit de sa sœur qui pourtant les lui pardonne. Son pardon est-il pour autant réel et définitif, je n'en suis pas sûr au vu de la manière dont il traite le sujet, tant il est vrai que, quoiqu'on en dise, chacun garde en soi un ressentiment et la certitude que cette décision généreuse peut-être aussi l'invitation à recommencer et que toute faute mérite une sanction à l'image de cette « mule du pape » qui, selon Daudet, rumina sa vengeance pendant sept ans! « Madame Butterfly », la deuxième nouvelle qui évoque cet opéra de Puccini dont s'inspire l'auteur, suggère autant l'abandon qu'un de ces scandales financiers dont notre civilisation basée sur le profit, la réussite et le mensonge, a le secret. William est attiré par Mandine, une simple d'esprit, mais n'en veut surtout pas pour être son épouse et la mère de ses enfants. Les circonstances s'imposent cependant à lui et cet abandon qui est aussi une trahison illustrant un penchant de l'espèce humaine, appelle plus, à mon sens, le rachat et le sacrifice personnel que le pardon ou la vengeance. Qu'est ce qui justifie la trahison d'un être ? Chacun a sa propre valeur et qu'à de plus celui qui se croit autorisé à disposer d'un autre, surtout s'il lui a préalablement jurer fidélité ? Plus qu'un pardon ou une vengeance, il y a ici une dimension de rachat et de sacrifice personnel qui grandit celui qui en est l'auteur. Dans la troisième nouvelle qui donne son titre au recueil, il y a une forme subtile de vengeance pour une mère que de visiter en prison, et ce depuis des années, l'assassin de sa fille unique, de le mettre en quelque sorte face à ses responsabilités, de sa réalité de « tueur en série », de faire échec à son propre oubli. C'est une forme de supplice qu'elle lui impose et que, bizarrement il accepte, comme une forme de rédemption, entre silence et dialogue, refus et rencontres au parloir. Elle joue le rôle inattendu du pardon, mais je n'ai pas cru à ce qui nous est présenté comme un miracle. J'y ai vu une forme de perversion qui l'amène à prendre conscience de ses actes, à intégrer l'humanité, pour mieux lui faire connaître ce qu'est l'enfer du remords, c'est à dire l'inverse du véritable pardon. En revanche c'est réellement une vengeance. La quatrième nouvelle « Dessine-moi un avion » fait penser à Saint-Exupéry, et pas seulement à cause de l'avion, de la fable ou de l'écriture poétique. J'y ai lu une sorte de pardon que trouve cet aviateur allemand pour son action pendant la guerre, action qu'il ne peut effacer de sa mémoire, à cause du devoir qui était le sien et auquel il ne pouvait se dérober, un secret trop lourd à porter qu'il gardera pour lui, une sorte de pardon qu'il se donne à lui-même par sa propre mort. Cela illustre la remarque de la petite Daphné qui note qu'« on ne pardonne pas quelque chose, on pardonne à quelqu'un ».

J'ai toujours plaisir à lire Eric-Emmanuel Schmitt pour la qualité de son style et l'hommage qu'il rend à notre belle langue française. Je ne suis cependant pas bien sûr d'avoir adhéré au message des nouvelles, d'avoir peut-être compris le sens de ces deux mots contraires, « vengeance » et « pardon », d'avoir admis qu'on puisse véritablement pardonner quand on a été soi-même l'objet d'une injustice. Je crois au contraire, et c'est humain, qu'aucune indulgence n'est vraiment possible et que le ressentiment qu'on garde après une injustice reste vivace et appelle revanche

© Hervé GAUTIER – Décembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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