la feuille volante

Les deux messieurs de Bruxelles

La Feuille Volante n° 1189

Les deux messieurs de Bruxelles – Eric-Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

 

André Malraux disait « Pour l'essentiel, l'homme est ce qu'il cache, un misérable petit tas de secrets ». C'est bien de secret dont il s'agit, que ce soit celui de deux homosexuels qui souhaitent favoriser après leur mort des gens dans le besoin ou la conduite énigmatique d'un notable qui ne révèle que post-mortem, et pour sa fille, ce qu'a été sa vie antérieure ou les manœuvres sentimentales d' une veuve pour s'attacher son second mari, les rapports difficiles au sein d'un couple… Je me suis souvent interrogé sur le secret qui entoure chaque être humain, soit qu'on se recroqueville sur sa propre histoire personnelle avec honte, soit qu'on participe aux blocages communs né de la guerre ou de la déportation dont il vaut mieux ne pas parler pour lui préférer la vie (merci Jorge Semprun). D'ailleurs le secret entretient le mystère et la couverture qui donne à voir une reproduction d'un tableau de Magritte me paraît être particulièrement pertinente puisqu'elle évoque le surréalisme dont la démarche créatrice était pour le moins hermétique.

 

Le secret c'est aussi le mensonge qui fait partie de la vie parce qu'il est l'inverse de la confiance qu'on accorde par principe aux nôtres, parce que cela va de soi, parce qu'ils sont nos parents, nos enfants, notre conjoint, ceux-là mêmes qui en abusent sans vergogne. Nous nous ressemblons tous et ce faisant, nous tissons autour de nous une atmosphère de dissimulation, d'hypocrisie, de délation, de volonté de reconnaissance et d'ascension sociale par la séduction quand ce n'est pas une ardente envie de jouissance. Pour cela l'adultère en est la forme la plus élaborée et les déclinaisons en sont infinies qui minent les fondements de la famille et de la société. Quand elles sont découvertes, ces manœuvres, ces tromperies révèlent l’étendue de la naïveté de ceux qui ont eu la légèreté d'être honnêtes et la profondeur du mépris qu'on éprouve à l'égard ceux qui en sont responsables. Cette prise de conscience est douloureuse, déstabilisante, révélatrice pour ceux qui en sont les victimes et tous les serments, déclarations et affirmations qui ont pu être faits s'évanouissent ainsi d'un coup. Même si elle est maintenant plus libérée, la société, aidée activement en cela par la religion, nourrit ses propres tabous, les entretient avec le droit à l'oubli, le maintient des apparences jusque dans les replis du couple et consacre plus ou moins officiellement le non-respect des promesses de toute nature dont chacun, pour peu qu'il y ait quelque intérêt, s’accommode. Je ne suis pas sûr, tant actuellement les divorces sont nombreux, que les gens faits l'un pour l'autre existent vraiment comme nous le proclame une littérature de midinettes. L'expérience nous enseigne qu'il ne faut pas se fier aux apparences qui sont trompeuses, pourtant, le « coup de foudre » qui préside à l'amour se réfère bien à cela. D'ailleurs « le grand amour » existe-t-il vraiment ? En revanche le hasard me semble de plus en plus présider aux choses humaines, et il ne fait pas toujours bien les choses. L'amour fait partie de la vie, non seulement il contribue à la donner mais il est aussi bien souvent le moteur de la création artistique.

J'ai souvent dit dans cette chronique que l'univers de la nouvelle est particulier. et souvent difficile d'accès . A la fin de cet ouvrage, l'auteur, dans un « journal d'écriture » , précise ce qu'a été la genèse de chacun de ses textes, les recherches qu'il a pu faire, les réflexions qu'il a menées, les événements de sa propre vie qui les ont suscités et enrichis pour en réaliser l'écriture. L'amour y tient une grande place et je n'ai pas fait l'impasse sur cet aspect. Tout le monde en parle et en son nom on prend des décisions parfois hâtives qui gouvernent et surtout pourrissent ensuite toute une vie que, contrairement à une idée généralement admise, on ne peut réellement refaire. Il est facile de le simuler en fonction de son intérêt et là on rejoint le mensonge qui, bien sûr, y a pleinement sa place. Ainsi, le faire rimer avec « toujours » est une façon bien idéalisée de voir les choses. Il se décline aussi dans l'amour maternel qui est abordé dans « un cœur sous la cendre » à travers le personnage de deux femmes et les fantômes de leurs enfants morts. C'est l'occasion pour lui de réaffirmer l'existence de la douleur morale provoquée par un amour injustement avorté qu'on tente vainement d'exorciser. Dans ce « journal », l'auteur évoque l'avortement qui dans ce cas de figure est thérapeutique mais reste une décision essentielle pour la vie du couple, le suicide comme un moyen inefficace à ses yeux venir à bout de cette douleur, et de conclure « Toute sagesse commence par l'acceptation de la souffrance » ce qui est à la fois stoïcien et judéo-chrétien. Accessoirement, il pose aussi le problème de l'aspect comptable des soins en vigueur dans certaines démocraties et le risque de propagation de ce concept. Dans cette nouvelle, importante à mes yeux, il parle aussi de l'individu au regard d'une greffe d'organes vitaux, la vie de quelqu'un contre la mort d'un autre, l'utilité de la mort contre la vie mais aussi de l'immortalité comme un mythe inatteignable et non souhaitable. « Le chien » évoque aussi le pardon, c'est à dire peu ou prou l'aspect religieux d'un acte humain qui ainsi prendrait une dimension divine. Il conclut que « Seuls les morts ont le pouvoir de pardonner » ce qui, pour le moins, suscite la réflexion.

C'est donc une mine d'informations érudites et un voyage original dans l'univers créatif de l'auteur auquel le lecteur est convié. Il nous avertit cependant « La littérature nous met en garde contre les idées simples » et il ne se prive pas pour aborder des sujets inattendus qui font de chacun de ses livres, au-delà de la rencontre avec un bon écrivain et de l'histoire qu'il nous fait découvrir, une invite à la méditation.

 

J'ai toujours plaisir à lire Eric-Emmanuel Schmitt et ce recueil a été encore une fois un bon moment de lecture.

 

© Hervé GAUTIER – Novembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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