Créer un site internet
la feuille volante

Tristesse de la terre

N°1627 - Février 2022

 

Tristesse de la terre – Eric Vuillard – Actes sud.

 

Quel petit garçon de ma génération n’a pas rêvé d’incarner, le temps d’une récréation, Buffalo Bill ou un héros de bandes dessinées de cette époque vouée à la lutte cinématographique entre les cow-boys et les Indiens ou demandé une telle panoplie à ses parents? Ce personnage représentait le ranger blanc, incarnation du bien et du courage, citoyen d’un pays parfait et mythique qui luttait contre les sauvages et, bien entendu, était vainqueur. L’auteur choisit de nous révéler le vrai visage du véritable William Cody, ancien employé des chemins de fer en qualité de chasseur de bisons, d’où son surnom, puis héros de roman à quat’sous, devenu organisateur de spectacles populaires mettant en scène des Indiens que les États-Unis étaient par ailleurs en train d’exterminer sur leur propre territoire. Dans une ambiance de carton-pâte, il donne l’illusion aux spectateurs venus en masse pour assister à son Wild West show à partir de 1870, de revisiter en la falsifiant, avec la complicité temporaire de Sitting-Bull, un authentique chef de tribu et de quelques rescapés indiens ravalés au rang de figurants, l’histoire de ce massacre dans un pays qui se veut le chantre de la liberté. Tout cela n’était évidemment qu’une image de l’Ouest américain, le mythique Far West, que du grand spectacle qu’on donnera également en Europe et en Russie, que le décor de pacotille d’un triste épisode derrière lequel se cache ce mythomane devenu célèbre grâce à cette mise en scène grandiose. C’est un divertissement, une parodie qui falsifie l’Histoire, transformant sciemment la défaite américaine controversée de Little Bighorn (1876) en victoire de la cavalerie. Cela cache mal cette volonté de montrer la suprématie de l’homme blanc, sa supériorité sur les sauvages qu’il doit exterminer au nom de la civilisation. Pour les Américains, la vie n’est qu’un spectacle que rien ne peut interrompre et qui doit impérativement se poursuivre, comme le veut leur phrase emblématique « the show must go on ». Cette démarche était de nature à mettre en valeur Buffalo Bill et la recherche du profit mais répondait aussi à une demande d’exotisme de la part du public et illustrait aussi cette habitude de l’espèce humaine qui vit dans l’illusion et le mensonge permanent qu’elle choisit d’ignorer naïvement ou d’accepter par commodité.

L’auteur ajoute à un texte fort bien écrit, des photos d’époque. C’est précisément ici que tout bascule puisque derrière le grand spectacle ainsi donné aux spectateurs, qui se veut l’incarnation de la réconciliation de deux peuples, les visages fixés sur la pellicule trahissent ce qu’on voulait leur cacher. Derrière les coiffes emplumées, les stetsons et les bannières étoilées, on y lit la solitude et la résignation des indiens pour leur liberté perdue, leur humiliation de devoir rejouer leur propre destruction aux côtés de ceux qui en étaient les auteurs, la certitude des rangers d’avoir imposé l’ordre politique et militaire et d’avoir contribué à la marche du progrès, dans un pays qui se construisait sur l’élimination des indésirables.

Les temps et les goût du public changent et petit à petit on se désintéressa d’un spectacle dans lequel Buffalo Bill avait mis toute sa vie, avait joué inlassablement son propre rôle, avec lequel il avait connu un succès mondial, qui lui avait rapporté beaucoup d’argent et avait fait de lui un mythomane et un mégalomane. Dans l’indifférence générale, il redevint William Cody, pauvre et abandonné de tous, à l’image de ces indiens dont il s’était abondamment servi toute sa vie. Il avait 70 ans.

Est-ce pour souligner la relativité et la vanités des choses de ce monde que l’auteur évoque dans l’épilogue la figure de Wilson Bentley (1867-1931), le photographe des éphémères flocons de neige ?

 

J’avais déjà lu « L’ordre du jour » où Eric Vuillard s’était fait l’historien des débuts bluffeurs destructeurs du nazisme face aux atermoiements des démocraties et qui donneront ce qu’on sait.

 

 

 

 
  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire