la feuille volante

FABRIQUÉ A NIORT - MÉMOIRES OUVRIÈRES (W2).

N°628– Février 2013.

FABRIQUÉ A NIORT - MÉMOIRES OUVRIÈRES (W2).

Spectacle du vendredi 15 février 2013 par la Compagnie des Hommes.

Je ne suis niortais que d'adoption, je n'ai donc aucune racine ici et pas non plus de famille. J'y suis venu un peu par hasard parce que le travail m'y a amené, il y a bien longtemps et j'y suis resté au mépris d'une promotion qui m'en eût éloigné, pour la qualité de vie notamment... et je ne le regrette pas.

Il y a cependant ici une chose qui m'a frappé et même un peu désolé, c'est l'oubli du passé ouvrier de cette ville. Avant d'y poser mes valises, son nom était pour moi associé à l'angélique et aussi à celui de grandes entreprises qui dépassaient largement le cadre local, c'était Brivin, Marot, Rougier, la chamoiserie... Il y avait, certes, et ce depuis la Libération, les mutuelles d'assurance et, plus tard le secteur bancaire qui s'y étaient développé ce qui permettait à Niort non seulement de limiter la pollution inhérente à la production industrielle mais aussi de générer un niveau de vie et un environnement exceptionnels dont évidemment personne ne se plaignait. On en parlait alors comme d'une "planète", comme "d'une ville à la campagne", c'est à dire comme d'un endroit un particulier, un lieu unique... mais, quand on n'était pas de la région, il était difficile de la situer sur la carte de France.

Niort est donc devenue une ville de "cols blancs" sauf qu'il n'y a finalement pas très longtemps, il y a eu ici un contexte industriel bien implanté mais qu'on s'est dépêché d'oublier, de laisser se dégrader jusqu'à la disparition, sans que la gouvernance locale, pourtant d’obédience socialiste, s'en soit beaucoup ému. Il est vrai que, du point de vue politique, le secteur tertiaire génère moins de mouvements sociaux que le secteur industriel et les heurts sont moins violents. Cette ville s'est donc progressivement enfoncée dans une torpeur qui lui a fait perdre, sans qu'on en parle vraiment, les Transports Brivin, les usines Rougier et différents ateliers de confections et il a fallu, il y a quelques années, la fermeture de la Camif et la dimension médiatique qu'on y a donné pour qu'on prenne conscience véritablement que Niort est une ville comme les autres et que les licenciements et le chômage y existent aussi.

On a du mal actuellement à s'imaginer que cette ville, au XIX° et dans la première moitié du XX° siècle a été industrielle. Il existait ici une forte implantation d'ateliers d'imprimeurs; on y produisait des voitures automobiles, des cycles, des chaussures, des trieurs pour l'agriculture, on y transformait le bois et, bien entendu, et ce depuis longtemps, la chamoiserie faisait vivre toute une population d'ouvriers et de gantières... Pour autant, quand on fait des recherches sur ce thème, on a beaucoup de mal à trouver, même au musée ou dans les bibliothèques, des traces de ce passé laborieux. C'est étonnant car, si on veut bien s'en souvenir, nos parents ou nos grands-parents ont bien souvent été ouvriers ou paysans même dans cette ville ou le secteur tertiaire est désormais roi.

Il était donc urgent de remettre à l'honneur la mémoire ouvrière. Elle nous a été restituée à travers le témoignage de travailleurs maintenant à la retraite qui sont venus nous parler de leur métier, qui nous ont dit combien le travail manuel apportait une valeur ajoutée à la matière, que, grâce à lui, elle devient un objet, un élément qui s'intègre dans un produit destiné à faciliter la vie de l'homme. Ils nous ont montré leurs outils, nous ont parlé de l'amour qu'ils portaient à leurs fonctions, nous ont raconté leur histoire individuelle, leur parcours, la nécessité, parfois, de s'adapter à un nouveau métier ou d'affronter le chômage. Ils n'ont pas manqué de mentionner la nécessité de gagner son pain, la dureté de leur labeur, les relations difficiles avec la hiérarchie et les inévitables "petits chefs", les conflits sociaux, les cadences et le rendement... Mais j'ai aussi entendu le message de cette femme qui a évoqué ses parents travaillant aux usines Rougier. Elle nous a parlé de son père pour qui son métier à l'usine "était toute sa vie" et pour qui la retraite avec son inactivité a été fatale. Elle a évoqué Roger Rougier, cet emblématique patron niortais que ses ouvriers appelaient presque amicalement "Monsieur Roger". Il les connaissait tous individuellement et les respectait parce que, bien souvent, ils avaient été à l'école ensemble. Il savait qu'il leur devait la richesse de son entreprise et avait à cœur de les récompenser. A sa mort, ils lui ont rendu un hommage digne et émouvant. C'est vrai que "les trente glorieuses" ont correspondu à une période de plein emploi, que le patronat a toujours été tenté par la paternalisme mais, à travers ce témoignage, il m'a semblé qu'à l'époque on respectait encore l'ouvrier en tant que personne humaine quand, actuellement, la déshumanisation et le mépris sont la règle et qu'on n'hésite plus, au nom de le rentabilité, à licencier, à précipiter au chômage, dans la précarité et parfois même dans la rue des hommes et des femmes qui ne demanderaient qu'à travailler et à vivre normalement.

Ce qui m'a frappé c'est que cette parole ainsi redonnée à des gens qu'on entend jamais en dehors des revendications salariales ou des grèves a été spontanée, authentique. Certes, il y a eu une mise en scène minimale pour les besoins de ce qui était malgré tout un spectacle et qu'il fallait bien organiser, mais rien n'était vraiment récité. Ces gens n'ont pas délivré leur message comme l'auraient fait des comédiens professionnels et c'est ce qui m'a plu.

©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

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