la feuille volante

PANIQUE SUR LA GRANDE MURAILLE [Les nouvelles enquêtes du Juge Ti]- Frédéric LENORMAND. - Editions FAYARD.

 

 

N°301 – Juin 2008

 

PANIQUE SUR LA GRANDE MURAILLE [Les nouvelles enquêtes du Juge Ti]– Frédéric LENORMAND. - Editions FAYARD.

 

 

La Grande Muraille reste un symbole fascinant pour un humain. Elle représente à la fois la puissance de l'Empire du Milieu qui l'a construite et la marque de la peur d'un ennemi dont on se protège et qu'on craint, mais aussi le symbole de l'enferment, du repli sur soi, du refus de s'ouvrir au monde... Le juge Ti est à ce point de sa carrière où il doit se rendre dans une de ces villes frontalières jouxtant cet édifice. Sa mission est d'autant plus importante qu'il menace ruine et que les Turcs ont des velléités d'invasion. Il doit donc boucher ce trou béant qui rend la protection illusoire, rassurer la population locale autant qu'affermir les frontières et réaffirmer l'autorité du pouvoir. Voilà donc le décor planté.

 

Notre juge se montrera, comme à son habitude, à la fois grand connaisseur de cette société, fin observateur des moeurs de son temps, psychologue averti des humains dont il a la charge et habile manoeuvrier dont l'intelligence le dispute à une grande de connaissance de l'âme de ses administrés qui sont des humains, animés d'esprit de grandeur et d'honneur, mais aussi de crainte, de lucre et d'appétit de pouvoir. A tout moment tout peut basculer dans le chaos et la révolte.

 

Pourtant, ce n'est pas seulement à un plaisant récit qui emprunte beaucoup à l'Histoire [saluons au passage l'important travail de recherches documentaires] que nous convie Frédéric Lenormand, c'est aussi à une évocation de cette société chinoise de la dynastie Tang, aristocrate, bureaucratique et brillante mais aussi faite d'un petit peuple d'ouvriers, de serviteurs, d'esclaves et de prostituées. C'est à une pertinente étude de caractères que se livre l'auteur quand il confronte notre mandarin, responsable de la sécurité et de la vie des habitants de cette cité, désormais assiégée et menacée de destruction, aux réalités du moment. Il doit non seulement faire face à un ennemi bien supérieur en nombre mais aussi, à l'intérieur des murs, au fanatisme religieux qui veut faire prévaloir le suicide collectif comme réponse au siège de la ville, à l'opportunisme flagorneur d'un autre haut fonctionnaire qui ne pense qu'à sauver sa vie et sa carrière, au sens discutable de l'honneur de militaires qui ne pensent qu'à mourir au combat, à la facilité de la trahison de certains citoyens, à l'esprit de renoncement des autorités...

 

La situation semblant désespérée, c'est donc là que Ti va donner toute sa mesure, faisant tour à tour appel aux crédulités bien ancrées dans l'esprit de ses contemporains, montrant un pragmatisme lucide autant qu'une audace étonnante. En bon confucéen, il ne manquera jamais de retourner en sa faveur une situation qui, sans lui, se serait transformée en fiasco et face à une énigme policière qu'il affectionne il n'a jamais trop de sa roublardise et de son esprit d'observation pour solutionner un problème qui se pose à lui comme un défi. C'est qu'il instrumente et agit au quotidien pour la défense de la société et de l'ordre face à la mythologie compliquée de cette civilisation superstitieuse où les dragons ailés voisinent avec des fantômes de revenants et des diables malfaisants. Il connaît tous les arcanes de la guerre psychologique, manie le paradoxe avec une aisance surprenante, profitant à l'occasion, dans les situations les plus compromises, de la moindre faille de l'ennemi ou de l'opposant pour finalement en triompher là où d'autres se seraient fourvoyés.

 

Il sera aidé efficacement dans sa tâche par sa première épouse, désireuse, malgré un âge avancé, d'avoir un enfant tout autant que de consolider sa position matrimoniale dans une société polygame. C'est là l'illustration à la fois traditionnelle de l'épouse chinoise qui se doit de donner un héritier mâle à son mari autant que la place grandissante que la femme prend, à cette époque, dans un empire... gouverné par une impératrice. Cela révèle, en tout cas, la clairvoyance de ce magistrat atypique qui sait reconnaître, en dehors de toutes références à la Chine ancestrale, la valeur de ceux à qui il accorde sa confiance et son attachement.

 

 

A l'exposé de ses décisions, le lecteur attentif et passionné ne peut pas ne pas se dire que décidément ce magistrat était quelqu'un de bien, notable respectable et respecté, fin lettré et cultivé, certes un peu chanceux, mais surtout plein de sagesse et de sagacité et qu'il devait y avoir du bénéfice à le rencontrer! Et de remercier l'auteur de faire revivre ainsi ce personnage historique.

 

J'ajouterai que chez Lenormand l'écriture est jubilatoire, l'humour se décline en multiples facettes, naît de l'assemblage de quelques phrases, parfois anodines, parfois artistement ciselées comme on compose une liqueur ou un tableau. Il les instille, l'air de rien, quand on ne s'y attend pas, dans un texte descriptif ou poétiquement évocateur et l'effet est immédiat : le lecteur le gratifie d'un sourire dans le secret et l'anonymat de sa lecture. Cela restera à jamais ignoré de l'auteur, mais qu'importe, ces quelques mots ont eu leur pesant de plaisir et c'est là l'essentiel. L'auteur est latin et cela se sent.

Il fait aussi partie, à mes yeux, de ces écrivains qui s'emparent de leurs lecteurs dès la première phrase du livre, les mènent avec bonheur dans tous ses développements jusqu'à la fin, sans que l'intérêt initial suscité ne retombe. C'est là bien servir notre si belle langue française, donner l'occasion d'en apprendre davantage sur cette civilisation chinoise étonnante et évoluée et cultiver cette ambiance que j'aime retrouver dans la lecture de chacun de ses romans.

 

©Hervé GAUTIER

 

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