la feuille volante

VIVRE POUR LA RACONTER - Gabriel Garcia MÁRQUEZ-Editions Grasset.

 

 

N°263 - Novembre 2006

 

 

VIVRE POUR LA RACONTER – Gabriel Garcίa MÁRQUEZ– Editions Grasset.

(traduit de l’espagnol par Annie Morvan)

 

J’ai déjà écrit dans cette chronique à plusieurs reprises combien j’apprécie l’écriture de Gabriel Garcia Marquez. Je n’ai aucune mérite puisque son talent a été largement récompensé, mais quand même ! Jusque là, il était un romancier dont je célébrais les qualités et notamment celles qui consistaient à débuter son texte par une première phrase apparemment anodine et, à partir de celle-ci, de dérouler toute une fiction de plusieurs centaines de pages pour la plus grande joie de son lecteur passionné, déçu simplement par le mot « fin ». Ici, c’est la même chose et ce qui débute le récit «  Ma mère me demanda de l’accompagner pour vendre la maison » vous entraîne pendant six cents pages sans que l’ennui ne s’insinue dans votre lecture. Pourtant ce n’est pas exactement un roman, plutôt une autobiographie, comme l’indique le titre, encore qu’avec lui, il faille se méfier, puisque tout est prétexte à l’écriture et que l’exercice dans lequel il excelle est, avant tout, de raconter une histoire, fût-ce celle de sa propre vie !

 

A partir d’un voyage effectué avec sa mère dans le but hypothétique de la vente de la maison de son enfance, ses souvenirs remontent de la terre natale comme l’eau d’une source. C’est aussi l’occasion pour lui de nous indiquer qu’à cette époque de sa vie il était étudiant, puis journaliste « dans un hebdomadaire indépendant et à l’avenir incertain », de nous faire découvrir avec quelque effroi, le parcours initiatique qui fut le sien sur le chemin de ce merveilleux état qui, à défaut d’être un métier, est sans doute la plus extraordinaire des raisons de justifier son passage sur terre : être écrivain !

 

Il est rassurant de lire sous sa plume des conseils qu’on lui donna et qu’il n’oublia pas de mettre en pratique, de « continuer à écrire, ne fût-ce que pour [sa] santé mentale » et de « ne jamais montrer à personne le brouillon qu’[il] est entrain d’écrire »

 

Pour le plaisir de son lecteur, il remonte le moindre rameau de son arbre généalogique en révélant tous les travers de cette société quelque peu clanique, à la fois intolérante et pétrie de principes surannés, avec un sens de la formule qui n’appartient qu’à lui «  Ce préjugé atavique, dont les séquelles subsistent encore aujourd’hui, a fait de nous une vaste fratrie composée de vieilles filles et d’hommes débraguettés avec toute une ribambelle d’enfants semés dans les rues ». Il nous invite à parcourir les arcanes de ces histoires intimes où les enfants légitimes côtoient les bâtards, où les amours tumultueuses et passionnées de ses parents le disputent aux querelles d’honneur, aux improbables aveux et aux rebondissements inattendus dans un contexte de principes moraux, d’interdits religieux et de retournements de fortune !

 

Dans cette quête de souvenirs, les fantasmes font bien souvent place à la réalité idyllique, parce que, chez lui aussi la mémoire enjolive les moindres faits, les sublime et y instille un arrière-goût de nostalgie. Il nous invite avec un humour consommé, à parcourir cette enfance, à la fois dissipée et innocente, rapidement désabusée et pourtant amusée, à l’image de l’enfant qu’il était et qui ouvrait sur le monde ses grands yeux étonnés, comme le montre la photo de la couverture. Elle s’est déroulée sous l’égide, sinon sous la bienveillance complice, de son grand-père, ex-colonel dans l’armée révolutionnaire, d’une mère aimante et généreuse, d’un père éternel rêveur un peu volage, de la pauvreté, de la chance … L’auteur y déroule avec humour une vie où son histoire personnelle, faite de lectures, de femmes, d’alcool, d’amitiés, de rencontres dans des bars, des bordels, des salles de rédaction, se confond parfois avec celle de son propre pays. Ce livre montre à quel point sa propre existence nourrit une œuvre littéraire hors du commun.

 

 

Lire un livre de Gabriel Garcia Marques c’est tout simplement passer un moment merveilleux et j’appliquerai volontiers à cet ouvrage la remarque qu’il fait lui-même «  Je n’ai jamais oublié qu’on ne devait lire que les livres qui nous obligent à les relire ».

 

 

 

 
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